Ils indiquent que les hommes sont présents sur le site depuis au moins le Cedrosan-saladoïde (Néoindien ancien, de 400 avant notre ère à 960 de notre ère) jusqu'aux séries Troumasoïdes et Suazoïdes (Néoindien récent, de 740 à 1600 de notre ère) postérieures à l'an mille.
Les indices précolombiens
Ce sont de grandes fosses, riches en poteries, contenant parfois des individus inhumés, des trous de poteau et un mobilier archéologique varié dispersé sur le site.
Restitution d'une habitation-sucrerie
Les autres vestiges marquants portent sur l'activité sucrière. Les recherches dans les archives locales confirment que la fouille, localisée sur la montagne de l'Espérance, est située à l'emplacement d'habitations sucreries fondées au XVIIe siècle par les Néerlandais, et notamment par un certain Jacob de Sweers.
Le moulin
Les fondations de bâtiments ont été mises au jour. Elles sont bordées d'un imposant fossé, qui servait de réserve d'eau, énergie indispensable pour entraîner la roue à aubes destinée à broyer la canne à sucre. S'il ne reste rien aujourd'hui du moulin à eau en bois, l'iconographie et les témoignages de chroniqueurs, tels que les pères missionnaires dominicains Du Tertre et Labat, permettent d'en élaborer une restitution précise. La roue à aubes, par un système de roues crantées, entraînait un axe favorisant la rotation d'une « rolle » : un tambour de bois parfois chemisé de métal. De chaque côté de ce tambour, deux autres rolles étaient actionnées par un système d'engrenages. Les tiges de canne à sucre, préalablement brûlées pour les débarrasser de leur feuillage, étaient écrasées entre ces pièces en mouvement. Le jus, ou « vesou », tombait sur une planche incurvée appelée la « table », puis s'écoulait dans une cuve maçonnée. Le lieu dans lequel on fabriquait le sirop, la sucrerie, était attenant au moulin.
Les sucreries des Français
Deux types de sucreries coexistaient alors. Celles dites des Français étaient abondamment maçonnées. Par trop-plein ou manuellement, le vesou était acheminé vers au moins cinq marmites en métal, généralement noyées dans une maçonnerie et équipées chacune de leur fourneau. En passant d'une marmite à l'autre, le vesou était filtré, débarrassé de ces impuretés par écumage, clarifié et réduit en sirop. La cristallisation se faisait dans des barriques percées, si l'on désirait du sucre brut non raffiné ou dans des formes de terre cuite pour obtenir du sucre blanc, « raffine » ou « terré ». Enfin, réduit en « cassonade », le sucre était envoyé en Europe dans des fûts de bois.
Les sucreries « à l'Angloise »
Aux Amériques, un autre type de sucrerie était constitué d'une architecture légère et d'un seul fourneau, situé sous la dernière chaudière, un conduit de section quadrangulaire transmettant la chaleur d'une chaudière à l'autre. À son extrémité, la fumée s'évacuait par une cheminée assurant également le tirage. Deux séries de chaudières pouvaient fonctionner parallèlement dans les plus grands ateliers.
L'habitation-sucrerie étudiée ici pourrait correspondre à celles utilisées durant l'occupation hollandaise du Brésil : plus économique, plus légère que les sucreries des Français, ses fourneaux sont dits « à l'Angloise ».
Des bâtiments partiellement ouverts
Les outils nécessaires à la fabrication du sucre étaient abrités des intempéries sous des bâtiments partiellement ouverts. La couverture était faite de larges tuiles épaisses au profil en S, appelées « tuiles flamandes ». On trouve ce type de tuile dans les anciennes colonies hollandaises, à Curaçao par exemple, ou encore sur les toits de l'est de l'Angleterre et du nord de la France. À l'image des peintures flamandes du Brésil, les toitures devaient être déformées par leur poids. Ces lourds toits de tuiles et l'architecture de bois qui les soutient reposaient sur des fondations de blocs de roches volcaniques parfois équarris et liés entre eux par un mortier argileux.
Une activité sucrière développée par les Néerlandais
En 1634, Charles Liénard de l'Olive, colon dans l'île de Saint-Christophe (Petites Antilles) s'associe à Jean du Plessis d'Ossonville pour coloniser la Guadeloupe, au nom de la Compagnie française des îles d'Amérique. Ils y débarquent le 28 juin 1635 du côté de Sainte-Rose à la Pointe-Allègre. Pour ces premiers émigrants, les débuts sont difficiles. Victimes de maladies et du manque de nourriture, nombre d'entre eux succombent. Les survivants s'installent dans le sud de l'île, dans l'actuelle commune de Vieux-Fort. Autour des paroisses Notre-Dame-du-Mont-Carmel et Saint-François, s'organisent des activités agricoles et proto-industrielles : culture de la canne à sucre, du tabac et du café.
En 1654, des Néerlandais, expulsés du Brésil qu'ils occupent depuis 1624 par les Portugais, cherchent refuge en Guyane et aux Antilles. En Guadeloupe, ils perpétuent leur activité sucrière sous l'oeil bienveillant du gouverneur de l'île, Charles Houël.
En 1661, 71 moulins à sucre existent sur l'île. Entre la rivière aux Herbes et celle du Galion, le lieu-dit La montagne de l'Espérance abrite cinq habitations sucreries. Elles se composent généralement d'un village d'esclaves, d'une maison de maîtres, d'un moulin, de chaudières, d'une purgerie (grand bâtiment maçonné dans lequel le sucre était travaillé), d'un espace de stockage.
En 1655, Jacob de Sweers, un Hollandais venu du Brésil, fonde une de ces habitations-sucreries. Au gré des aménagements, destructions, reconstructions de ses bâtiments, elle passera aux mains de différentes familles jusqu'au XXe siècle, pour devenir une distillerie, jusque dans les années 1990.
Les indices menant à Jacob de Sweers
L'archipel guadeloupéen a subi de nombreuses attaques de nations ennemies de la France à la recherche de nouvelles terres. Deux d'entre elles, en 1703 et 1759, sont à l'origine de la destruction des habitations sucreries de La montagne de l'Espérance. Le père Labat, dans son récit de la bataille qui oppose les Français aux Anglais en 1703, signale la destruction systématique par ces derniers de tous les pots et formes à sucre des manufactures rencontrées, et de 29 sucreries dans leur intégralité.
Ainsi, confirmant les récits historiques, la fouille a mis en évidence une habitation-sucrerie incendiée ainsi qu'une grande quantité de poteries fragmentées exhumées d'un remblai et du comblement de la réserve à eau du moulin étudié.
Certains fragments sont issus de céramiques destinées à l'industrie du sucre, notamment de pots à mélasse importés de la région bordelaise, caractéristiques de la fin du XVIIIe siècle, ainsi que de tuiles flamandes. D'autres tessons de vaisselle, datés pour certains de la seconde moitié du XVIIe et du tout début du XVIIIe siècle, constituent des vestiges de la vie quotidienne. Autant d'indices qui semblent mener à la sucrerie fondée au milieu du XVIIe siècle par Jacob de Sweers.
De l'activité sucrière aux plantations
Parmi les vestiges découverts, un cimetière destiné aux différents propriétaires de l'habitation-sucrerie a été mis au jour, ainsi qu'un petit bâtiment, vraisemblablement une maison qui aurait succédé à la fin du XVIIe siècle
à l'habitation-sucrerie découverte.
Au début du XVIIIe siècle, ce qui ressemble à une carrière est aménagé, puis en partie comblée puis aménagé d'un radier de petits blocs de roche volcanique, sur lequel une couche d'argile grise pourrait révéler la présence d'une marre. Proches des habitations, les marres étaient utilisées pour les besoins domestiques et sanitaires. Comblée à nouveau dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, elle devient une zone agricole, comme l'attestent de nombreuses fosses carrées, souvent interprétées en Guadeloupe comme les traces d'anciennes plantations.
Des recherches complémentaires
Si l'étude du mobilier archéologique, notamment des céramiques, permettra d'approfondir la connaissance de la vie quotidienne des habitations sucreries - vaisselles utilisées, nourriture, échanges commerciaux, etc. -, les recherches archivistiques, menées en particulier en Hollande, donneront un éclairage particulier sur l'histoire de la famille Sweers.
Aménagement : Région de la Guadeloupe
Coordinateur scientifique : Fabrice Casagrande
Contrôle scientifique : Service Régional de l'Archéologie (Drac Guadeloupe)