Dans le cadre du projet de réhabilitation du musée des Jacobins, l'Inrap a mené des fouilles archéologiques à l'intérieur de l'église du couvent, le plus ancien monument religieux de la ville conservé en élévation. Depuis septembre 2024, ces recherches se poursuivent avec une étude d’archéologie du bâti dont les premiers résultats ont révélé, sous une couche d'enduits blancs, de nombreuses traces de polychromie et de peintures inattendues.

Dernière modification
21 mars 2025

L'étude du bâti : une étape clé pour la restauration du couvent des Jacobins

L’objectif principal de cette étude du bâti est de reconnaître les différentes phases de construction du monument, de documenter les techniques de construction employées à différentes périodes et, le cas échéant, d’orienter les choix de restauration. Elle intervient à un moment stratégique du chantier : après les opérations de piquetage mais avant que les restaurateurs interviennent et modifient ou effacent des indices parfois ténus mais précieux pour comprendre l’histoire du monument.

Pour mener à bien cette analyse, l’étude repose d’abord sur une documentation graphique complète en plans, coupes et élévations. Ce travail est assuré par des topographes et des photogrammètres de l’Institut. Les archéologues s’appuient également sur les compétences de nombreux spécialistes : historiens pour analyser les sources écrites et graphiques associées au couvent ; géologues pour examiner les matériaux de construction ; dendrochronologues pour dater les bois ; experts en peinture médiévale pour identifier et étudier les traces de polychromie encore présentes sur les murs ou les décors sculptés. Cette approche pluridisciplinaire garantit une analyse approfondie et précise du monument.

À ce stade de l’étude, et après la première phase d’investigations menée au début septembre, les premières observations ont permis de mettre en évidence trois grandes phases de construction.

Morlaix bis 8

Vue-intérieure de l'église des Jacobins.

© Ronan Louessard, Inrap

État 1 : le couvent des origines (XIIIᵉ siècle)

Le premier état, daté du milieu du XIIIᵉ siècle, correspond à la nef originelle de l’église qui conserve ses deux murs pignons (est et ouest) ainsi que son mur gouttereau sud. Cet édifice, relativement simple, se compose d’un vaisseau unique à plan rectangulaire et d’un chevet plat. L’éclairage était assuré par des baies en arc brisé. Ce premier état témoigne des débuts du couvent, fondé en 1234 sous l’impulsion de l’évêque de Tréguier et avec l’accord du duc de Bretagne, qui, pour cela, aurait cédé aux dominicains son ancien « palais ».

Morlaix bis 3

Encadrement d'une fenêtre, XIIIe siècle.

© Teddy Bethus, Inrap

 

État 2 : les grands travaux du XIVᵉ siècle

Au XIVᵉ siècle, des travaux d’envergure modifient profondément l’édifice. Un collatéral est ajouté au nord, séparé de la nef et du chœur par de grandes arcades brisées soutenues par des piliers octogonaux. Ces transformations nécessitent la démolition de l’ancien mur gouttereau nord ainsi que d’importants travaux de terrassement. Ces aménagements sont datés provisoirement du milieu du XIVᵉ siècle, et les sources écrites indiquent que des travaux considérables ont été réalisés entre 1342 et 1371, financés par Charles de Blois, prétendant au duché de Bretagne, ainsi que par le comte Hervé de Léon.

État 3 : une chapelle du XVe siècle

Le dernier état de construction daté de la fin du XVe siècle correspond à l'ajout de la chapelle, formant une sorte de transept du côté nord. Cette chapelle, insérée au centre du collatéral, se distingue par l'utilisation quasi exclusive de pierre de taille en granit avec des restes de polychromie. Les observations réalisées ont confirmé par ailleurs que le blason visible au sommet de cette chapelle, du côté extérieur, est celui des ducs de Bretagne. Il pourrait même s’agir de celui d'Anne de Bretagne, avec la couronne et la cordelière qui la caractérisent. Cette interprétation reste à confirmer, mais elle ouvre d’ores et déjà des pistes de réflexion intéressantes sur le lien que la duchesse aurait pu entretenir avec les familles de la région, dont les blasons sont présents en partie basse de la chapelle côté intérieur.

Des traces de peintures inattendues

Les investigations ont réservé, en outre, quelques surprises majeures. De nombreux enfeus, ces niches funéraires en forme d’arcades, ont d’abord été mis au jour grâce au piquetage des enduits modernes. Ces enfeus, ajoutés après la construction initiale, se distinguent par leurs arcs surbaissés et, plus rarement, par des gables (élément architectural et décoratif de forme triangulaire), un trait peu commun qui témoigne d’une architecture funéraire sophistiquée.

Autre révélation majeure : la découverte de nombreuses traces de polychromie à divers endroits de l’église. Sur le mur sud, notamment dans l’encadrement de la baie la plus à l’est du mur gouttereau, un décor partiellement dégagé met en valeur l’encadrement et est accompagné de blasons peints. Ailleurs, des blasons ont été identifiés au sommet des piliers du collatéral nord. Le deuxième pilier à l’est, par exemple, en porte au moins quatre, tandis que d’autres, encore en cours d’analyse, sont visibles sur d’autres piliers. Ces armoiries sont vraisemblablement celles de familles nobles locales, qui ont marqué de leur empreinte l’espace religieux.

Morlaix bis 1

Chapiteau peint daté du XIVe siècle.

© Teddy Bethus, Inrap

Les chapiteaux sculptés au sommet des piliers conservent également des traces de polychromie soulignant les décors sculptés avec parfois des motifs floraux. Dans certains enfeus, des vestiges de décor peint subsistent également, tout comme sur les encadrements des grandes arcades construites au-dessus des piliers. Une découverte particulièrement remarquable a par ailleurs été faite dans le chœur : les restes très effacés d’une scène de Crucifixion montrent encore le Christ en croix, accompagné de deux personnages, dont un chevalier agenouillé. Un blason peint, similaire à ceux retrouvés sur les piliers, orne également cette scène.

Morlaix bis 7

Visage du Christ en croix avec sa couronne d'épines, XIVe-XVe siècle.

© Ronan Louessard, Inrap

Enfin, dans le collatéral nord, un décor plus sobre a été mis au jour : un faux appareil imitant un mur construit en pierre de taille.

Ces peintures, qui sont actuellement en cours d’étude par les archéologues et les spécialistes, seront restaurées cette année dans le cadre du chantier de restauration.

Morlaix bis 6

Représentation d'une hermine, XIVe -XVe siècle. L'hermine etait associées à la pureté morale. C'est Pierre de Dreux (1187-1250), duc de Bretagne, qui ajouta en premier l'animal au blason de son père.

© Ronan Louessard, Inrap

 

Une charpente médiévale au cœur de l’étude

La dernière phase de l’étude, menée cet hiver, s’est concentrée sur la moitié est de la charpente de l’église. Réalisée en collaboration avec les dendrochronologues de Dendrotech, cette étape essentielle a permis de mieux comprendre les techniques de construction, les matériaux et les ressources employés. Surtout, elle a permis de dater précisément la mise en place de la charpente autour du milieu du XIVe siècle, confirmant ainsi les hypothèses initiales.
Une ultime phase d’étude est prévue à l’automne prochain afin d’examiner la moitié ouest de la charpente, une fois les échafaudages déplacés.

Le musée des Jacobins

Créé en 1887, le musée des Jacobins est sous appellation « musée de France ». Musée municipal jusqu'au 1er janvier 2025, il est désormais placé sous la tutelle de Morlaix communauté. Il rassemble une collection de Beaux-arts et d'art graphique mais aussi d'objets d'ethnographie locale et extra-européenne ainsi que du mobilier archéologique issu de fouilles de sites du pays de Morlaix.

Morlaix 2

Lire aussi : Fouille de l’église du couvent des Jacobins à Morlaix (Finistère)


Maître d’ouvrage : Morlaix Communauté, maître d’ouvrage délégué : Ville de Morlaix
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (Drac Bretagne)
Recherche archéologique : Inrap
Directeur adjoint scientifique et technique : Michel Baillieu, Inrap
Responsable scientifique : Elodie Cabot, Inrap
Chargé de l’archéologie du bâti : Teddy Bethus, Inrap