Des travaux d'extension du réseau de chauffage urbain dans la Rue Diderot à Dijon ont été l’occasion pour les archéologues de l’Inrap d’effectuer de nouvelles observations sur les fortifications médiévale et moderne de la ville, ainsi que sur l’évolution de ce quartier situé au nord-est du centre historique.

Dernière modification
18 octobre 2023

Un quartier déjà urbanisé au XIVe siècle

Situées dans l’enceinte primitive médiévale de Dijon, les actuelles Rue Vannerie et Rue Diderot sont à distance de l’axe de l’ancienne Rue Saint-Nicolas (aujourd’hui Rue Jean-Jacques Rousseau) qui débouchait dès le XIIIe siècle au moins sur la Porte au Comte de Saulx (1273), puis Porte Saint-Nicolas (1447). Jusqu’à ce jour, faute d’observations archéologiques, l’histoire de cette portion intérieure de la ville était totalement méconnue. En mettant au jour des murs arrières du parcellaire bâti de la rue Vannerie sur environ 150 m de longueur, la fouille engagée dans le cadre du réseau de chauffage urbain permet de confirmer pour la première fois que ce secteur est urbanisé au moins depuis le XIVe siècle. 

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Vue drone de la tranchée d’installation du réseau de chauffage urbain à l’intersection des rues Dietsch et Diderot avec mur du bastion Saint-Nicolas visible.

© P. Noguès, Inrap

Ce linéaire, large de 0,90 m et observé en moyenne sur 1 m de hauteur, est composé d’une succession de tronçons maçonnés, parfois seulement mitoyens. Malgré une certaine homogénéité des maçonneries faites de moellons équarris et d’un liant en argile jaune, chaque parcelle est identifiable grâce aux murs de refend et aux techniques de construction particulières mises en œuvre. L’élévation encore conservée montre par ailleurs de nombreuses reprises de maçonnerie.

Les datations fournies par le mobilier archéologique et les datations radiocarbones indiqueraient que ces constructions sont associées à « la restauration des murailles, portes, remparts et fossés de la ville de Dijon » ordonnée en 1358 par Jeanne, Reine de France, en l’absence du Gouverneur du Duché de Bourgogne. En effet, à cette même occasion, une allée de 13 pieds de large (environ 4 m) est créée entre le mur d’enceinte et l’arrière des bâtis. Celle-ci permet une circulation continue à l’arrière de la fortification.

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Plan du tracé des remparts XVIe siècle à l'intersection des rues Diderot et Dietsch avec emplacement des observations 2023 concernant l'enceinte médiévale et le bastion Saint-Nicolas.

© L. Gaëtan, Inrap

De l’enceinte médiévale au bastion moderne

Le 6 septembre 1513, Dijon est assiégé par les Suisses qui viennent de battre les Français à Novare (Italie) et tentent de gagner Paris. Sur leur trajet, l’empereur Maximilien d’Autriche, époux de Marie de Bourgogne, les incite à attaquer la ville dans l’espoir de récupérer le duché de Bourgogne. L’épreuve est toutefois courte puisque les assiégeants lèvent le camp dès le 13 septembre 1513. L’épisode marque les esprits et les Dijonnais engagent sous les ordres de Louis de la Trémouille, gouverneur de Bourgogne, une série de travaux visant à renforcer les fortifications.
L’emprise de la tranchée du chauffage urbain située à l’intersection des rues Dietsch et Diderot renseigne directement sur ces aménagements. Elle a mis au jour une partie de la jonction entre l’enceinte médiévale et le bastion Saint-Nicolas, construit en 1552. Ce bastion en forme d’as de pique, aujourd’hui situé sous la place de la République, dispose d’une base plus large et d’un orillon sur le flanc sud-est. Large de 3,30 m au niveau de la Rue Diderot, il présente un parement extérieur fait de blocs calcaires très réguliers avec bossage, tandis que son parement intérieur est composé de moellons plus irréguliers. Les observations côté intérieur de la ville montrent également une série de décrochements sur l’élévation. Ceux-ci peuvent s’expliquer par une persistance du tracé primitif de l’enceinte et une volonté de renforcer ce raccordement.

Les travaux de consolidation des fortifications au XVIe siècle se matérialisent également par la mise en place d’un rempart remplaçant l’allée de circulation ménagée à la suite de l’ordonnance de 1358. Ce dernier vient doubler l’enceinte médiévale par l’ajout d’un important remblai côté ville retenu par un mur de soutènement nouvellement construit. Large d’environ 1,40 m, ce mur correspond encore aujourd’hui en partie à l’arrière des constructions se déployant depuis la Rue Vannerie. Cette plateforme, large d’une dizaine de mètres, est progressivement transformée en promenade ombragée que les propriétaires des hôtels particuliers voisins tentent de récupérer. Le portique sur colonnade de style classique installé en 1777 à l’arrière de l’Hôtel du Commandant militaire est un des exemples les plus équivoques de la transformation de l’ouvrage militaire et de cette appropriation.

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Actuelle façade arrière de l’Hôtel du Commandant militaire avec colonnade (1777) reposant sur mur de soutènement du système de rempart (XVIe siècle), repris au XIXe siècle après arasement.

© L. Gaëtan, Inrap ; colonnade de l’Hôtel du Commandant militaire au XVIIIe siècle ouvrant sur les promenades aménagées au sommet du rempart du XVIe siècle © Lithographie de P. Lippe, 1885

Dans la seconde moitié du XIXe siècle, le projet de « débastionnement » de la ville de Dijon entraîne la destruction progressive des fortifications en commençant par le bastion Saint-Nicolas à l’hiver 1846-1847 et finissant par le bastion de l’Aide de Saulx dans les années 1880, avant la construction du lycée Carnot inauguré en 1893. Le rempart est alors totalement arasé, ne laissant plus aucun vestige visible dans le paysage urbain actuel.

L’Hôtel Chartraire de Montigny

Les hôtels Chartraire de Montigny et du Commandant militaire (39-41 Rue Vannerie), aujourd’hui siège de la DRAC Bourgogne – Franche-Comté, datent respectivement de 1670 et 1784. La fouille côté rue Diderot démontre que ceux-ci se développent sur un parcellaire plus ancien, remontant à la fin du Moyen Âge. Le prolongement de la tranchée du chauffage urbain dans les actuels jardins de ces bâtiments nous renseigne sur leur évolution architecturale et surtout sur les premiers états de construction de l’hôtel Chartraire de Montigny. Celui-ci se développe depuis la Rue Vannerie jusqu’au mur de soutènement du rempart XVIe siècle. La fouille de la tranchée du réseau révèle une série de murs appartenant à un bâtiment visible sur le plan Mikel (1761) et sur le cadastre de 1825. Cette construction correspond à une écurie pour chevaux et à une partie de la basse-cour. Dans l’angle de la cour formée au nord de ce bâtiment, un collecteur d’eau voûté et disposant d’un regard maçonné a été mis au jour. Son comblement a livré quelques boutons de culottes, des billes ou encore un ocarina appartenant certainement à des enfants. Ces trouvailles illustrent en effet le changement de statut de ces bâtiments historiques qui deviennent l’école Saint-François de Sales entre 1882 et 1971, sous l’impulsion de l’abbé Christian de Bretenières. À la fin du XIXe siècle, les locaux mis au jour sont en partie détruits pour agrandir les cours de l’école. La DRAC Bourgogne – Franche-Comté finit par s’installer dans ces deux hôtels particuliers en 1977.

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Vue générale de la tranchée dans la cour de la DRAC recoupant les bâtiments XVIIe-XIXe siècle à l’arrière de l’hôtel Chartraire de Montigny.

© L. Gaëtan, Inrap

Aménageur : Dalkia - Dijon Energies
Contrôle scientifique : Service Régional de l’Archéologie (Drac Bourgogne-Franche-Comté)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Loïc Gaëtan, Inrap
Équipe de fouille : Astrid Couilloud, Inrap