Vous êtes ici
Le passé antique et médiéval d’Avranches ressurgit dans le quartier Saint-Gervais (Manche)
Au cours de l'hiver 2023-2024, un important chantier de fouilles archéologiques s'est déroulé dans le quartier Saint-Gervais à Avranches, dans le cadre de travaux d’aménagement urbain par la Ville. L’intervention a livré de nombreux vestiges, permettant d’approfondir les connaissances sur le passé antique et médiéval de la ville.
Pendant près de six mois, entre octobre 2023 et février 2024, une équipe d’une dizaine d’archéologues de l’Inrap est intervenue dans le secteur du quartier Saint-Gervais à Avranches. Ils ont fouillé successivement sous le parking d’Orléans, dans le secteur Ormond-Destouches puis sous le parking Saint-Anselme, explorant environ 6000 m2. En complément des méthodes classiques de fouille, ils ont fait appel à des méthodes géophysiques (détection d’anomalies dans le sol à l’aide d’un géoradar).
Vue aérienne du secteur Ormond-Destouches en cours de fouille.
© Inrap
Une luxueuse maison romaine de type domus
Les recherches ont livré de riches informations sur le passé antique de la ville romaine, Legedia, complétant les données des années 1980 (D. Levalet). Ainsi, les archéologues ont mis au jour un ensemble de maçonneries et notamment les restes d’une maison urbaine luxueuse (domus), dotée de thermes privés et de plusieurs pièces ornées de fresques (enduits peints). Les morceaux d’enduits peints, arrachés des murs au moment du démontage de l’édifice à la fin de l’Antiquité, proviennent en majorité de panneaux verts et rouges séparés par des lignes jaune dorées. Les archéologues ont également recueilli de nombreux fragments de céramiques, témoignant de la vie quotidienne à cette époque : restes d’amphores à vin et à huile, plats et bols en sigillée, pots de stockage, pots à cuire, etc. Le mobilier archéologique et le luxe de l’habitat contrastent avec les habitats plus modestes, faits de bois et de terre, trouvés plus au nord dans les années 1980.
Fragments d’enduits peints retrouvés lors de la fouille d’Avranches.
© Inrap
Autour du forum de Legedia…
La fouille a en outre permis d’étoffer les observations anciennes au nord de la basilique Saint-Gervais. Dans ce secteur qui accueillait le forum, centre névralgique de la cité romaine, ainsi qu’un axe de circulation majeur (le cardo), les archéologues ont fait de nouvelles découvertes. Ils ont pu préciser, par géoradar, le tracé des galeries bordant chaque côté de la grande rue.
Analyse de l’emprise de la fouille (secteur du parking Saint-Anselme) au géoradar.
© Inrap
Puis, lors de la fouille manuelle, ils ont retrouvé différents niveaux de la chaussée ainsi que les vestiges de l’ensemble architectural (bâtiments administratifs et galeries de colonnades) qui encadrait le forum. Si la pierre locale (le granite) était utilisée pour les constructions dans un premier temps, les artisans romains ont importé du calcaire lors de la dernière phase d’embellissement des bâtiments.
Fouille manuelle d’un sol gallo-romain avec au premier plan un fragment de meule.
© Céline Prigent, Inrap
Placage en calcaire mouluré et gravé sur les deux faces (époque romaine).
© Céline Prigent, Inrap
Les archéologues ont notamment mis au jour des fragments de colonne, d’un diamètre de 75 cm environ, provenant sans doute d’un important monument public. Des traces d’incendie et de foyers suggèrent qu’après sa désaffection au Ve-VIe siècle, le monument a été occupé de façon plus anarchique.
Fragment de colonne en calcaire.
© Laurent Paez-Rezende, Inrap
Un mobilier abondant dans les « terres noires »
La fouille d’Avranches a aussi livré de nombreux éléments sur l’occupation médiévale. Ainsi, des dizaines d’objets, piégés dans des terres noires, accumulations organiques typiques datant de 500 à 1000 ans ap. J.-C. environ, ont été recueillis : monnaies (bronze et argent), épingles, appliques décoratives.
Matrice de sceau ayant appartenu à un dénommé Jean Guitoun, membre du clergé.
© Laurent Paez-Rezende, Inrap
Applique décorative de ceinture en alliage cuivreux (XIIIe–XIVe siècles)
Identification Karine Chanson, Inrap ; © Céline Prigent, Inrap
Ensemble de boucles de chaussures en alliage cuivreux (XIVe–XVIIIe siècles).
Identification Karine Chanson, Inrap ; © Céline Prigent, Inrap
Quelques éléments plus rares, un fragment de sceau en plomb ou une enseigne de pèlerinage du XVe siècle représentant l’archange Saint-Michel terrassant le dragon attestent que le secteur est resté très fréquenté par l’ensemble de la population au Moyen Âge et notamment les élites locales. Des traces de combustion rendent compte de la présence de foyers plus conséquents et peut-être d’activité de réduction de chaux. Enfin des traces d’habitations plus récentes (XVIe-XVIIIe siècles) permettent aussi de comprendre l’évolution du quartier à l’Époque moderne.
Enseigne de pèlerinage du XVe siècle représentant l’archange Saint-Michel terrassant le dragon.
© Laurent Paez-Rezende, Inrap
Un espace funéraire médiéval et moderne
Le long de la basilique Saint-Gervais, les archéologues ont identifié plus de 300 tombes médiévales et modernes du cimetière paroissial de l’ancienne église Saint-Gervais. L’étude anthropologique permettra de mieux comprendre l’organisation et l’évolution du cimetière. Les observations faites sur le terrain montrent déjà que les corps ont été inhumés selon deux orientations distinctes : la première, strictement ouest-est, est celle de la basilique, et la deuxième, sud-ouest/nord-est, correspond à celle du mur de l’enceinte du cimetière. Si la majorité des individus sont inhumés sur le dos, les jambes allongées, dans un cercueil de bois, quelques individus sont inhumés directement en pleine terre dans des coffrages en pierre ou avec des pierres de calage.
Dégagement des sépultures au pied de la basilique Saint-Gervais.
© Raphaëlle Lefebvre, Inrap
Au moins une trentaine de sépultures contenaient du mobilier déposé avec les défunts. Il s’agit principalement d’objets de dévotion (chapelets en os ou en pâte de verre, petites statuettes en os), de bijoux (bagues) ou d’accessoires vestimentaires. Enfin, la présence d’un individu au crâne scié et comportant un trou de trépan visible sur l’os pariétal gauche, indique l’existence d’interventions post-mortem sur le corps de ce défunt, peut-être en lien avec une pratique d’embaumement ou d’autopsie du corps.
Petit crucifix trouvé dans l’une des tombes d’Avranches.
© Raphaëlle Lefebvre, Inrap
L'ensemble des découvertes permettra de renouveler les connaissances sur l’histoire d’Avranches et la manière dont la Ville s’est structurée depuis l’Antiquité gallo-romaine jusqu’à l’Époque moderne. Faisant suite à la phase terrain, une importante phase d’études s’ouvre. Elle aboutira à la rédaction d’un rapport de fouilles qui compilera l’ensemble de ces nouvelles données.
Fouille manuelle lors de la deuxième phase de fouille (secteur Ormond-Destouches).
© Inrap
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (Drac Normandie)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Laurent Paez-Rezende, Inrap