Les reliefs ornant les propylées du pavillon de l'URSS de l'Exposition internationale de 1937 à Paris ont été récemment redécouverts sur le sol français, et avec eux leur sculpteur : Joseph Moiseevitch Tchaikov (1888-1979). Si la découverte des reliefs et leur histoire a déjà fait l'objet de publications1, le parcours artistique de Tchaikov reste largement méconnu. Pourtant, de Kiev à Moscou en passant par Paris et Berlin, il nous donne un accès privilégié à la complexité de l'avant-garde russe entre 1910 et 1930 environ, bien au-delà des cloisonnements habituels.

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19 février 2016
L'étude de l'oeuvre de Tchaikov pose de façon aigüe la question des rapports entre art et idéologie. L'artiste se met aussi bien au service de la Kultur-Lige - institution culturelle qui a pour but de diffuser la langue yiddish et de donner accès à la culture juive au plus grand nombre - que du plan de propagande monumentale de Lénine. Profondément attaché au réalisme en sculpture bien avant la mise en place du réalisme socialiste, il contredit une vision de l'avant-garde russe beaucoup trop centrée sur l'abstraction.
Faisant de ses recherches formelles une quête identitaire, Tchaikov échappe à toute classification. Avec lui, la Ruche n'est plus celle de Chagall ou de Soutine, mais un laboratoire pour la création d'un « style juif dans la plastique »2. L'avant-garde yiddish retrouve sa place au sein de l'avant-garde russe, et le « super-éclectisme » de l'art juif défini par Abram Efros devient le moyen d'atteindre l'universel.
1 Aurélia Dufils, François Gentili, Marie Vacher, « De Moscou à Baillet-en France : le singulier destin des sculptures du pavillon soviétique de l'Exposition universelle de 1937 », dans Aden, vol. 10, octobre 2011, pp. 207-233. François Gentili, « Des héros soviétiques dans la glacière », dans Historia, vol. 779, octobre 2011, p. 11. Les reliefs sont pour l'heure exposés au Musée archéologique du Val d'Oise à Guiry-en-Vexin dans le cadre de l'exposition « Ruines & Vestiges ».
2 Marek Szwarc, Eugenia Markowa, « Un artiste est né », inédit, 1954, p.312 (tapuscrit conservé au Musée d'art et d'histoire du judaïsme à Paris).
Référence :
Marie Vacher, « Joseph Moiseevitch Tchaikov. De la Ruche des Makhmadim à l'idéologie soviétique (1910-1937) », Cahiers de l'Ecole du Louvre. Recher-ches en histoire de l'art, histoire des civilisations, archéologie, anthropologie et muséologie [en ligne] n°1, septembre 2012, mis en ligne le 15 septembre 2012.
Auteur : Marie Vacher est doctorante à l'École du Louvre et à l'INALCO sous la direction de François-René Martin et de Taline Ter Minassian. Après avoir travaillé en collaboration avec le CNCS sur le fonds de costumes des opéras russes de Diaghilev, elle s'est intéressée aux dessins et aux sculptures de l'artiste Joseph Tchaikov (1888-1979). Ses recherches portent désormais sur l'art contemporain dans l'espace postsoviétique.