Sur le site de La Serra de les Artigues à Bolquère, situé à 1600 mètres d’altitude en Haute-Cerdagne (Pyrénées-Orientales), les archéologues de l’Inrap mettent au jour les vestiges d’une exploitation de la poix vieille de 1500 ans

Dernière modification
08 novembre 2019

Une activité artisanale en haute montagne

Préalablement à la réalisation d’un centre technique d’exploitation routière,  les archéologues de l’Inrap mettent au jour les restes d’un petit four sur le site de La Serra des Artigues (Bolquère) situé à 1600 mètres d’altitude, dans un espace montagnard jusqu’alors peu documenté. Les vestiges retrouvés appartiennent à une activité spécifique, aujourd’hui disparue, celle de l’extraction de la poix. Appelé pega en catalan et pegue en occitan, la poix est un goudron végétal extrait du bois d’arbres appartenant à différentes familles de conifères, principalement des pins (pin d’Alep et pins maritimes en basse altitude et pin de type sylvestre en milieu montagnard) et des genévriers (Genévrier oxycèdre).

Des propriétés diversifiées : adhésives, hydrofuges et pharmacologiques

Ces goudrons ont été employés pour divers usages en fonction de leurs propriétés qui dépendent directement de leur composition chimique. Les goudrons de pins se caractérisent par des propriétés adhésives et hydrofuges que les hommes ont su utiliser depuis la Préhistoire. Au Moyen Âge, le goudron de pin est principalement employé dans la construction navale pour l’espalmage et le calfatage des coques de bateaux et la protection des cordages de marine. Au-delà de son usage maritime, le goudron de pin était employé pour étanchéifier et protéger des constructions et des récipients en bois ou pour imperméabiliser des amphores.

Goudrons de pins et de genévriers faisaient également partie de la pharmacopée médiévale. Ils entrent également dans la confection de différents onguents médicinaux en raison de leurs propriétés expectorantes, décongestionnantes et antibactériennes. En contexte pastoral, ils servaient essentiellement à soigner la gale des troupeaux de brebis et de chèvres, mais aussi comme vermifuge et comme désinfectant. Ces savoirs médicinaux sont toujours en usage au Maghreb et en Méditerranée orientale. 


Extraire du goudron par pyrolyse

Le procédé technique consiste à extraire différentes substances naturelles présentes dans le bois – sève et résine essentiellement – par traitement thermique. Durant la pyrolyse (décomposition chimique d’un corps en élevant la température), le bois va exsuder (suinter) et le résidu se transformer en goudron sous l’effet de la chaleur. Les textes et les fouilles archéologiques mettent en évidence deux procédés utilisés durant l’Antiquité et le haut Moyen Âge en Europe.
La pyrolyse peut être directe : le feu est mis directement à la matière première qui est aussi son combustible. Ce procédé se décline en deux méthodes. Dans la première, le tas de bois prend la forme d’une meule et est construit comme une charbonnière, recouvert de déchets (branchage, feuillages ou autre) et disposé sur un plan incliné. Au fur et à mesure de la pyrolyse à l’intérieur du tas, maintenue volontairement depuis l’extérieur sans flamme et sans lueur apparente du feu, le goudron coule hors de la meule par les rigoles du plan incliné jusqu’à un récipient en contrebas.
La pyrolyse peut aussi être indirecte : la matière première disposée dans un récipient, n’a pas de contact avec le feu. Ce dernier est conduit à l’extérieur des récipients, avec un combustible dédié.
 

Procédés d'extraction du goudron par pyrolyse. Documentation S. Burri, CNRS.

Procédés d'extraction du goudron par pyrolyse. Documentation S. Burri, CNRS.


Les vestiges de La Serra de les Artigues

En appui des archéologues de l’Inrap, la collaboration à la fouille de Sylvain Burri, archéologue et historien, chercheur au CNRS à Toulouse et membre de l'équipe Traces, a été anticipée dès le montage du projet. Elle apporte un regard aguerri sur les vestiges préservés de cet atelier de résiniers de La Serra de les Artigues, afin d'en comprendre le fonctionnement, le processus de pyrolyse mis en œuvre et  les possibles filiations et circulation de ce savoir-faire artisanal.

Des comparaisons avec les vestiges connus ailleurs seront déterminantes. Plusieurs fours ont été étudiés dans le massif de Madriu-Parafita en Andorre, au-dessus de 2000 m d’altitude. D’usage entre le IIe et le VIsiècle de notre ère, ils utilisent la pyrolyse directe. A contrario, des fours à combustion indirecte d’époque antique sont connus dans les grands Causses, dans les Landes, ou encore en Provence. La fouille menée a pour but de voir si plusieurs fours ont été construits, de les caractériser et de les dater, mais aussi d’appréhender les espaces de vie des artisans, par les traces laissées aux alentours. 

Aménagement : Département des Pyrénées-Orientales ​
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (Drac Occitanie)
Recherche archéologique : Inrap, avec la collaboration de S. Burri et V. Py, équipes Traces et Géode du CNRS Toulouse ​
Responsable scientifique : Jérôme Kotarba, Inrap