À Chalindrey, en Haute-Marne, la fouille réalisée par l'Inrap en 2005, préalablement à l’aménagement d’une zone industrielle, a pour objet l’étude d’une voie gallo-romaine détectée lors d'un diagnostic archéologique (Inrap, 2004).

Dernière modification
23 octobre 2017

La fouille consiste à suivre la chaussée sur 400 m, dans une pâture inondable, l’objectif étant d’explorer cette modeste voie gallo-romaine, invisible dans le paysage et inconnue des textes historiques.

La fouille a permis de prouver la datation gallo-romaine de la voie. Elle est créée de toute pièce au cours du Ier siècle, ou peut-être même un peu avant l’an 0. Cette datation est assurée par les objets mêlés à l’empierrement de la chaussée et par les techniques de construction utilisées.

Les techniques de construction de la voie

La construction présente des caractéristiques constantes : une tranchée est creusée sur 8 m de large et une quarantaine de centimètres de profondeur. L’empierrement est construit selon la technique dite du « hérisson » : les cailloux sont disposés non pas à plat mais hérissées sur une de leur tranche. Les pierres les plus massives sont réservées aux deux bordures et au centre, afin de former une ossature stable qui forme une surface légèrement bombée. Le reste du hérisson est comblé de pierres moins soigneusement agencées. D’après les méthodes antiques, ce hérisson devait se trouver recouvert du cailloutis de la surface de roulement, mais il n’est pas conservé.

Les pentes plus abruptes qui bordent le ruisseau ont emporté la majorité des pavés, probablement à cause d’intempéries, ou au cours de périodes d’utilisation intense. Plus récemment, la mise en culture des terrains a nivelé le relief et arasé tous les tronçons de voie qui traversaient de légères buttes. Au final, sur les 400 m de voie fouillée, 150 seulement ont conservé leur hérisson.

Le système de drainage des eaux présente une diversité étonnante. La majorité du tracé ne présente plus de fossés d’accotement, et n’en ont peut-être jamais eu. En revanche, deux secteurs particulièrement humides ont obligé les terrassiers à drainer. Rive droite, deux fossés successifs barrent le ruissellement avant son arrivée sur la chaussée, et le conduisent au cours d’eau. Sur l’autre rive en revanche, des sources émergent de toute part, sans qu’aucun relief ne les dirige dans une hypothétique zone à fossoyer. Il semble même que certaines sources affleurent sous la voie même. La solution adoptée est ingénieuse : utiliser la chaussée elle-même en drain : le hérisson est posé sur un enrochement massif, où l’eau s’infiltre et se dirige dans le ruisseau en suivant la voie.

Les objets perdus

La majorité des objets provient d’un seul secteur, et se trouve au sein de l’empierrement. Dix-huit objets sont recensés : cinq clous, quatre fragments d’objets non identifiés, et neuf autres objets liés à l’harnachement des animaux de transport et à leur attelage. Il s’agit sans doute d’objets perdus lors des travaux. Leur regroupement est dû soit à un important accident de transport à cet endroit, soit à la présence d’un poste de stationnement ou de réparation.
Les objets liés au transport sont typiques. Il s’agit d’abord d’une pièce de jouguet, c’est-à-dire la pièce placée sous le cou de l’animal afin de maintenir le demi-joug à l’encolure. Sa petite taille n’a rien de surprenant puisque le transport tracté de l’époque romaine s’effectue bien plus avec des mules ou des mulets qu’avec des chevaux.
Un passe-guide en alliage cuivreux est également présent. Il s’agit d’un solide anneau fixé au harnachement, destiné à maintenir les rennes au dessus de la tête de l’animal. La présence de quatre hipposandales est elle aussi caractéristique. Ces objets romains se fixent aux sabots des équidés. Leur fonction reste discutée, entre ferrure thérapeutique ou concurrent du fer cloué.
Il faut enfin signaler une clochette en bronze, probablement issue d’une série fixée en guirlande à un élément du harnachement.

D’où vient cette voie, et où va-t-elle ?

La destination de cette voie pose question. Son axe nord-sud la positionne à la perpendiculaire des deux grandes voies au long cours qui l’encadrent, et qui se resserrent ici, pour se rejoindre à Langres, 15 km au nord-ouest. L’étude du réseau local, particulièrement bien documenté grâce à deux décennies de recherches de Serge Février, montre des voies de même facture, et apporte une possibilité quant au prolongement sud. La voie fouillée pourrait se raccorder à une autre du même type qui dessert quelques occupations connues par prospection pédestre seulement, ainsi qu’une nécropole à incinérations fouillée. Mais l’hypothèse la plus convaincante reste l’existence d’une voie de raccordement, entre les deux grandes routes voisines, celle se dirigeant à Bâle et celle qui mène à Besançon. Il s’agirait donc d’une sorte de « rocade », installée dans un secteur où les deux voies à joindre sont particulièrement proches. Bien que peu commenté, ce genre d’aménagement existe, notamment autour de Langres même, au pied de la ville antique, où une petite chaussée relie deux grandes voies.

Des voies modestes mais certainement conservées sur tout le territoire

Ce type de voie devait constituer l’essentiel du réseau mais ce sont surtout les plus imposantes, créées par l’Empire romain pour les déplacements au long cours de l’armée et dont les terrassements marquent encore aujourd’hui le paysage des campagnes, qui ont jusqu’à présent été étudiées.
Bien que majoritaires, les petites voies sont bien plus difficiles à détecter que les grandes qui ont tant passionné les archéologues. Ni le micro relief, ni les limites de parcelle, ni les limites de commune, ni les lieux-dits du cadastre ne trahissent le passage de la voie fouillée. Cette discrétion apparaît bien comme une des caractéristiques du réseau local, à laquelle seule l’archéologie préventive peut pallier en diagnostiquant les terrains que les travaux d’aménagement rendent accessibles.

Aménagement : Syndicat mixte d’aménagement économique du Pays de Langres
Contrôle scientifique : Service régional de l’Archéologie, Drac Grand Est
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Raphaël Durost, Inrap