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Un ensemble cultuel au sein de l’agglomération antique de Saint-Valérien (Yonne)
À Saint-Valérien, l'Inrap a fouillé une zone recélant des vestiges de l'antique cité des Sénons et révélé un ensemble cultuel inédit.
Une agglomération antique préservée sous les labours
Située à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de Sens, la localité de Saint-Valérien est connue pour abriter les vestiges d’une ville romaine étendue sur une vingtaine d’hectares à l’ouest du bourg actuel à l’emplacement de parcelles qui sont pour la plupart aujourd’hui cultivées. Le choix du site de fondation de la ville romaine le long d’une voie reliant Sens/Agedincum à Orléans/Cenabum, réside très probablement dans la présence d’une source d’eau naturelle. Dotée, selon les considérations de l’époque, de vertus prophylactiques, cette eau fut canalisée pour alimenter des thermes publics, mais aussi un complexe cultuel se développant au cœur de l’ancienne trame urbaine.
Localisation de l'agglomération antique par rapport au bourg actuel.
© Stéphane Venault, Inrap
L’existence d’une agglomération antique en frange de la commune est connue depuis le XIXe s. grâce à la découverte fortuite de divers vestiges, dont un probable four de production de tuiles qui a donné lieu à une première fouille en 1926. Au cours des années 1960 et jusque dans les années 1980, les connaissances sont complétées, d’une part, par des prospections pédestres dans les labours et, d’autre part, par des campagnes de photographies aériennes qui ont notamment révélé un réseau de voies se croisant à angle droit. À partir des années 2000, divers projets immobiliers localisés au nord de la voie Sens-Orléans ont donné lieu à des fouilles préventives qui ont révélé entre autres des vestiges d’habitations modestes, d’artisanat du fer et des structures de production de tuiles et de poteries, dont plusieurs fours.
Plan interprété de l'agglomération antique au Haut-Empire.
© Stéphane Venault, Inrap
Enfin, une campagne de détection des vestiges par mesure du magnétisme du sol, réalisée sur une quinzaine d’hectares, a fourni une vision à grande échelle de l’organisation urbaine avec la mise en évidence d’un ensemble de douze temples répartis en îlot autour desquels se répartissent les occupations domestiques.
Carte des anomalies magnétiques sur fond aérien (orthophotographie IGN).
© François-Xavier Simon, Inrap.
L’ensemble des données recueillies à l’occasion de ces diverses recherches ne montre pas un développement de l’agglomération avant le milieu du Ier s. de notre ère. Le déclin de la ville romaine se traduit à la fin du IIIe s. par une apparente rétraction de l’habitat le long de l’axe viaire principal Sens-Orléans, le IVe s. marquant probablement l’abandon définitif du secteur. L’absence de découverte remontant au premier Moyen Âge suppose que le foyer d’occupation s’est déplacé à la toute fin de l’Antiquité à l’emplacement du bourg actuel même si aucune donnée tangible ne permet de le confirmer. Les ruines de la ville romaine ont été ensuite peu à peu spoliées de leurs matériaux qui ont été réutilisés pour servir à l’édification de la ville médiévale.
Vue aérienne du site de Saint-Valérien, rue du Gâtinais.
© Jérôme Berthet, Inrap
Un îlot à vocation cultuelle
Le dépôt de permis de construire qui est à l’origine des investigations qui sont menées rue du Gâtinais participe d’un processus de densification urbaine le long d’une route qui s’est progressivement urbanisée depuis les années 1960, les nouvelles constructions s’insérant dans les lots cadastraux encore vides de bâti. La découverte d’au moins quatre temples à plan centré lors de la phase diagnostic, qui conjuguait sondages et détections magnétiques, a motivé une prescription de fouille sur une emprise de 3000 m². Ces temples, caractéristiques du monde gallo-romain, se composent d’une pièce centrale (la cella) dans laquelle se trouvait la statue de la divinité, et autour de laquelle se développe un portique servant à la déambulation.
Évocation du sanctuaire de la Chapelle-des-Fougeretz dont les bâtiments, ici en contexte rural, s’apparentent à ceux retrouvés à Saint-Valérien.
© Marie Millet, Inrap
Le décapage extensif de la parcelle a révélé la présence d’autres bâtiments intercalés entre les temples, certains pouvant être assimilés à des édifices religieux supplémentaires (temple à cella unique) ou à des bâtiments accompagnant la pratique du culte (annexes fonctionnelles).
Plan des vestiges au 13 rue du Gâtinais.
© Stéphane Venault, Inrap.
Si les deux temples les plus imposants à l’ouest (cella : 4 x 4 m, galerie : 10 x 10 m) ont conservé leurs sols intérieurs, constitués d’une couche de gravier à la surface lissée au mortier, les autres constructions ne sont préservées qu’au niveau de leurs fondations. L’importante profondeur de celles-ci qui excède parfois 1 m pour 70 à 80 cm de largeur suppose une hauteur conséquente des élévations. Quelques fragments d’enduits retrouvés écrasés contre le sol d’un des temples témoignent de murs peints de couleurs ocre, blanche, jaune et verte.
Fouille des enduits peints écrasés sur le sol d’un des temples.
© Stéphane Venault, Inrap
Sans être parfaitement alignés, les bâtiments s’inscrivent dans une même trame orthogonale orientée sur les principaux points cardinaux. Espacées de 1,5 m pour les plus proches, à 13 m pour les plus éloignés, aucune des constructions n’empiète sur une autre, ce qui laisse entendre qu’elles ont pu fonctionner de manière synchrone à une période donnée. L’emploi des matériaux de construction diffèrent d’une fondation à l’autre (nature de la pierre, type de mortier). L’érection des bâtiments ne procède donc probablement pas d’un programme architectural réalisé en une seule fois. Pour autant, il est difficile de déterminer dans quels intervalles de temps se succède chaque phase de mise œuvre des édifices.
Vue en coupe du sol construit de la galerie de déambulation d’un des temples.
© Stéphane Venault, Inrap.
Par ailleurs, le fort arasement des vestiges et la compacité des sols construits, non propices au piégeage du mobilier, offrent très peu d’occasions de découvrir du matériel datant. Celui-ci se résumant à quelques monnaies et de rares tessons de céramique. Enfin, on note que le flanc oriental de la parcelle est bordé d’un large fossé, doublé d’un alignement de poteaux, qui longe un axe viaire. Ce fossé marque la limite vers l’est de cet îlot urbain dédié aux pratiques religieuses. Si la limite au sud est également connue par le passage d’une autre voie, nous ne savons pas jusqu’où s’étire cet espace cultuel vers l’ouest et le nord.
Des déchets métallurgiques témoins des ressources économiques de la région
Dans plusieurs cas, les fondations en tranchée étroite sont remplies dans leur partie inférieure d’un blocage de scories (résidus métalliques résultants d’un processus de réduction du fer) accumulées sur environ 1 m d’épaisseur. L’emploi de ce matériau facile à mettre en œuvre pouvait avoir une fonction drainante dans un terrain soumis à de fréquentes remontées de la nappe phréatique.
Vue en coupe de la fondation d’un bâtiment remplie de scorie de réduction du fer.
© Corentin Dujancourt, Inrap
Ces scories employées ici en masse témoignent de l’intensité de la production du fer à l’époque romaine dans cette région riche en minerai. Il s’agit en effet de déchets caractéristiques de la réduction du minerai de fer générés par les bas-fourneaux. L’omniprésence de ce matériau sur les sites antiques de Saint-Valérien, utilisé en grande quantité tant pour la construction des bâtiments que pour les voiries, trahit une proximité des sites de réduction et une pratique suffisamment étalée dans le temps pour générer des déchets en abondance. Cette production locale du fer a sans nul doute contribué à l’essor économique de la ville romaine.
Création d’un plan d’eau au XIXe s.
Les vestiges ont été en partie détruits par le creusement sur 1000 m² d’un plan d’eau comblé au début du XXe siècle. Figurée sur le cadastre de 1841, à l’instar de plusieurs autres aujourd’hui disparues, cette pièce d’eau nous renseigne cette fois sur l’histoire récente de Saint-Valérien à une période où les habitants ont mis en œuvre des stratégies de stockage d’une ressource toujours précieuse de nos jours.
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (DRAC Bourgogne Franche-Comté)
Recherche archéologique: Inrap
Responsable scientifique : Stéphane Venault, Inrap