À Thonon-les-Bains, en Haute-Savoie, une équipe de l’Inrap étudie un atelier de potier de la seconde moitié du Ier siècle de notre ère situé dans un quartier artisanal au sud-est de l’agglomération antique.

Dernière modification
04 juillet 2017

En amont du démarrage de la construction par le promoteur immobilier Kaufman & Broad Savoies d’un immeuble de 51 logements au sein du quartier des Romanies, dans l’ancien Clos Banderet, à Thonon-les-Bains, une équipe de l’Inrap réalise, sur prescription de l’État (Drac Auvergne–Rhône-Alpes), une fouille sur une surface de 1 400 m², depuis le 18 avril et jusqu’au 7 juillet 2017. Cette opération permet d’étudier un atelier de potier de la seconde moitié du Ier siècle de notre ère qui s’insère dans un quartier artisanal situé au sud-est de l’agglomération antique de Thonon.
 

Un quartier artisanal antique connu

La fouille confirme l’hypothèse d’une activité de forgerons et de potiers dans ce secteur au Ier siècle. En effet, des fours avaient été détruits lors de la restructuration du Clos Banderet en 1959, et dans les années 1970, des ateliers de production de céramiques du IIIe siècle avaient été mis au jour lors de la rénovation urbaine des quartiers des Ursules et des Suets. Cependant, aucune fouille stratigraphique n’avait porté sur un site de cette époque dans le centre-ville.

Les archéologues sont en train de restituer l’organisation des espaces de travail au sein de l’atelier et de comprendre la technologie mise en oeuvre par les potiers : morphologie des fours, type d’argile utilisé, type de cuisson, qualité du façonnage des céramiques… Ils se livrent à un travail minutieux sur le terrain : fouiller, prélever tous les éléments mobiliers, photographier, dessiner en plan et en coupe tous les vestiges, les relever grâce au GPS, pour notamment restituer en 3D les structures les plus complexes comme les fours.

Les fours de potier

Le site est caractérisé par deux zones de production, séparées par un bâtiment à murs en terre sur fondations en pierres et par des installations à poteaux porteurs.

Ces vestiges sont associés aux fours de cuisson des vases, à des tours de potier (dont un emplacement a pu être identifié), ainsi qu’à des puits qui permettaient l’approvisionnement en eau nécessaire à la préparation des argiles. Une cave, sans doute postérieure, est remblayée au IIIe siècle. Une dizaine de fours a fonctionné dans l’atelier du Clos Banderet, mais pas simultanément. En effet, chaque four, construit avec des éléments hétéroclites (blocs de pierre, galets, parois d’argile…), pouvait servir pour de nombreuses fournées, parfois pendant plusieurs années, mais finissait par s’effondrer. Un nouveau four était alors aménagé dans les décombres du précédent ou à côté de celui-ci. La construction d’un four nécessite d’abord de creuser une vaste fosse ovale qui permettait de limiter le bâti à mettre en œuvre et la déperdition thermique. La moitié, environ, de celle-ci est réservée à la construction du four proprement dit. De forme circulaire, il est constitué de deux volumes superposés et est bâti, généralement, avec des fragments de tuiles ou des pierres liés à l’argile. Précédée de l’alandier où le bois était jeté, la chambre inférieure est l’espace où circulaient les flammes et l’air chaud. Des piliers et, parfois, un ressaut périphérique supportaient la sole de cuisson qui était percée d’orifices, les carneaux, par où remontaient les flammes. Le second volume de forme cylindrique se développe à partir de ce niveau. Situé au-dessus des sols de circulation, il n’est pas conservé mais on en retrouve des éléments effondrés.

C’est dans ce laboratoire que sont placés les vases à cuire. Une petite cour de service occupe l’autre moitié de la fosse creusée. Elle permet l’approvisionnement du foyer en combustibles et la purge des cendres. La cuisson des céramiques occasionne le bris de nombreux vases dont les restes, parfois très fractionnés, sont répandus aux abords des fours, et par la suite évacués dans des dépotoirs.

La production d’une céramique commune inédite

L’abondant mobilier céramique recueilli (des centaines de kilogrammes), permet de mettre en évidence des productions inédites. Cet atelier a fabriqué de la céramique commune tournée grise : des pots, des jattes et des plats pour la cuisine ainsi que des vases imitant le dolium (jarre pour le stockage ou le transport des denrées). La chronologie précise du site reste à confirmer mais il semble que la constitution des dépotoirs date des années 70-80 de notre ère, sous la dynastie des empereurs flaviens (Vespasien, Titus et Domitien). Les productions sont caractéristiques du groupe haut savoyard-genevois, observé d’Annecy à la vallée de l’Arve et Genève au cours du premier siècle de notre ère. Jusqu’à présent, aucune officine de production n’avait été identifiée au sud du lac Léman.

La signature chimique des pâtes des céramiques mises au jour dans cet atelier permettra de définir un référentiel, essentiel pour la recherche des origines des vases de la région, et pour les distinguer des productions de Nyon, d’Yverdon et, surtout, de Lausanne. Cette démarche permettra de déterminer la diffusion de la production thononaise, et d’évaluer l’importance de cet atelier dans le réseau économique régional.

Aménagement : Promoteur Kaufman & Broad Savoies, Agence Annecy
Contrôle scientifique : Service régional de l’Archéologie (Drac Auvergne − Rhône-Alpes)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Christophe Landry, Inrap