Un nouveau pan de l'histoire de Lutèce a été mis au jour par une équipe de l'Inrap, sous la direction de Didier Busson. Au sommet de la Montagne Sainte-Geneviève, un des premiers quartiers d'habitations de la ville antique est en cours de fouille.

Dernière modification
31 août 2017

En 1632, le couvent de la Visitation est construit selon des plans de François Mansart. Le bâtiment, avec son cloître et son église, est élevé à la place des maisons d'origine médiévale en reprenant l'alignement de la rue du Faubourg-Saint-Jacques (actuelle rue Saint-Jacques).
Le jardin du couvent s'étend beaucoup plus à l'est, jusqu'à l'actuelle rue d'Ulm. Le plan le plus ancien conservé, dit «de Bâle», montre qu'avant cette implantation il existait une zone de cultures peu bâtie, reflétant probablement la situation au Moyen Âge. En effet, à cette époque, nous sommes en dehors de la ville matérialisée par l'enceinte de Philippe Auguste.
En 1910, la réalisation de l'Institut océanographique entraîne sa démolition. La zone concernée par la fouille est implantée sur une partie de l'aile est du cloître, en retrait de l'alignement sur la rue Saint-Jacques.
 

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Sous un couvent du XVIIe siècle... la ville antique

Ses fondations, dont celles de la façade monumentale donnant sur le jardin, ont été retrouvées. Plus à l'est, une épaisse couche de terre végétale correspondant à l'installation de ce jardin a été mise au jour. Ces niveaux ont protégé les vestiges de la ville romaine.

Un quartier d'habitation de la Lutèce romaine

L'emprise de la fouille correspond à une zone d'habitations de l'époque antique. Les monuments de Lutèce s'étagent sur le versant nord de la montagne Sainte-Geneviève: en haut, le forum et ses thermes (rue Soufflot et rue Gay-Lussac), le théâtre (rue Racine), les thermes du Collège de France (rue des Écoles), plus bas, les thermes de Cluny (boulevard Saint-Germain), enfin, plus à l'est, l'amphithéâtre (arènes de Lutèce, rue Monge). Les fouilles menées ces dernières années dans cette partie de Paris montrent que le versant sud de la colline est uniquement occupé par des maisons.

La rue, témoignage de la première urbanisation de Paris

La fouille révèle l'existence d'une rue romaine. Son orientation est différente de celle des monuments et des principales rues de Lutèce, qui sont organisées de façon orthogonale à partir du cardo maximus (actuelle rue Saint-Jacques). Cette orientation pourrait trouver son origine dans un tracé plus ancien encore visible dans la partie de la rue Saint-Jacques, entre la rue de l'Abbé-de-l'Épée et la rue du Val-de-Grâce. On peut dater la création de cette voie du règne d'Auguste (27 avant J.-C - 14 après J.-C.). Elle a été précédée, toujours sous Auguste, par une petite installation pionnière destinée sans doute à préparer le terrain avant la fondation de la ville romaine.
L'un des objectifs de la recherche est d'affiner la datation de cette première installation.

La rue et ses aménagements

Large de près de 8 mètres, la rue est bordée dès l'origine par des fossés. Par la suite, elle connaît toute une série de recharges jusqu'à son abandon au IIIe siècle. Légèrement bombée, elle est constituée, selon les états, de cailloutis ou d'empierrements. Les aménagements successifs se traduisent par la constitution de caniveaux et de trottoirs souvent en marne. Le long de ces rues successives, des maisons sont élevées, et toujours reconstruites orthogonalement. Les dispositions internes peuvent être différentes, mais les parcelles d'origine sont généralement respectées.

Les maisons de part et d'autre

Les murs de ces maisons sont en torchis, armé par un clayonnage, et reposent sur des poutres sablières (fondations d'un mur en torchis) ; les sols sont en terre battue. La fouille devrait permettre de mieux connaître et mieux dater ces premières habitations. À partir du deuxième tiers du Ier siècle,
la construction en maçonnerie apparaît peu à peu et se substitue aux précédentes techniques. Des états plus sophistiqués, datant du IIe siècle, ont été relevés : parties d'un bain privé avec des dallages variés et hypocauste. Des éléments de peintures murales, généralement effondrés, ont également été prélevés. Il s'agit du dernier état de l'occupation antique de cette zone de Paris.

La ville abandonnée renaît au XVIIe siècle

Dans le courant du IIIe siècle, ce quartier est progressivement abandonné, les moellons des maçonneries sont en partie récupérés, ne laissant souvent aux archéologues que des fragments de murs ou leur «fantôme», des sols en place et des objets de la vie quotidienne. Il s'agit là d'un vaste mouvement de recul de la vie urbaine observable dans toute la Gaule. L'occupation se cantonne alors aux pôles monumentaux, puis à l'île de la Cité protégée à partir du IVe
siècle par un rempart. Il faudra attendre quatorze siècles avec l'installation du couvent de la Visitation pour que la ville reconquière véritablement le terrain perdu.

En savoir plus...

Prescription et contrôle scientifique : Ministère de la Culture - Drac/SRA Île-de-France

Recherches archéologiques : Inrap

Archéologue responsable scientifique d'opération : Didier Busson, Dhaap, Direction des affaires culturelles, ville de Paris.
www.paris-culture.fr

Terrain : Université Pierre et Marie Curie