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Les berges de la Sambre médiévale : nouvelles données à Maubeuge (Nord)
Une équipe d’archéologues de l’Inrap mène actuellement une fouille à Maubeuge, sur le secteur de la Clouterie, selon la prescription de l’État (Drac Hauts-de-France). Un premier bilan de la fouille, en décembre 2022, permettait de faire état des découvertes réalisées depuis le mois d’octobre. D’autres vestiges significatifs sont apparus depuis dans les deux secteurs étudiés.
La Sambre, de la rivière sauvage à la rivière anthropisée
Sur le premier secteur, les recherches menées en collaboration avec un spécialiste en géomorphologie se sont concentrées sur les chenaux les plus anciens qui se sont succédé au fil des siècles dans cette zone de méandre de la rivière Sambre.
À près de 12 mètres de profondeur, un sondage profond a permis d’atteindre un paléo-chenal (vestige d'une ancienne rivière). Celui-ci est recoupé par plusieurs phases d’un large chenal alto-médiéval à la sédimentation caractéristique d’une rivière sauvage avec des crues et des décrues, sur un vaste espace appelé lit majeur.
Outre quelques traces fugaces d’aménagements de petits pieux plantés, ce chenal a livré de nombreux tessons et des restes fauniques datés d’entre le VIIe et le Xe siècle. Ce chenal est donc contemporain des premières occupations historiquement attestées pour Maubeuge, dont celle de l’abbaye créée par Sainte Aldegonde vers 673 et du proto-bourg postérieur associé.
Le dégagement d’autres chenaux de la seconde moitié du XIVe siècle et du tout début du XVe siècle a permis de mieux appréhender le bouleversement hydrographique (inondations, déplacement de chenaux) consécutif à la construction, au travers de la vallée de la Sambre, de la grande enceinte urbaine accordée en 1339 par le comte de Hainaut. La fouille a ainsi révélé les vastes travaux d’endiguement du méandre, réalisés à l’aide d’une importante masse de remblais d’incendie (celui mentionné en 1398 ?), et de création d’une berge anthropique sur laquelle sera installé, dans le courant du XVe siècle, le grand bâtiment en pierre dégagé lors du diagnostic de 2021.
Le mobilier archéologique dégagé des chenaux des XIVe-XVe siècles est assez conséquent, notamment en ce qui concerne la céramique, l’artisanat du cuir (dont des dizaines de semelles de chaussures) et le métal (activité de dinanderie), mais aussi le bois (planches, pieux, bois flotté).
L’une des surprises dans ce secteur réside dans la mise au jour d’un canal maçonné de dérivation de la Sambre, de près de 1,80 mètre de largeur et profond de 3 mètres. Séparant la zone de bâti domestique des activités de berge, ce canal a probablement été aménagé au cours du XVe siècle, de même qu’un petit pont en pierre à une seule arche le surplombant. Ce pont est associé à une venelle pavée reliant à l’époque la rue d’Entre-deux-Ponts au grand bâtiment de berge. Le canal sera abandonné dans le courant du XVIe siècle, servant alors de dépotoir au voisinage.
Le béguinage de Maubeuge, quatre siècles d’occupation révélés
Sur le second secteur prescrit avait été dégagé, jusque fin décembre, un grand ensemble architectural de cinq maisons de béguines (lieu où vivait une communauté religieuse laïque de béguines) relativement bien conservé. Ce dernier est hypothétiquement associé, sur base des données archéologiques, à la mention historique de la reconstruction, en 1576, de six habitations de béguines (une étant alors située hors emprise).
Tout comme le reste du béguinage et l’église paroissiale Sainte-Élisabeth voisine, cet ensemble sera arasé en 1679 par ordre de Vauban afin d’ériger l’un des bastions de sa fortification.
Après une étude exhaustive, les vestiges du béguinage des XVIe et XVIIe siècles ont fait l’objet dès janvier d’un démontage raisonné afin de mettre en évidence l’occupation médiévale du site. Trois bâtiments (habitations de béguines ?) ont d’ores et déjà été partiellement dégagés. Leurs élévations de maçonnerie conservées et les niveaux de recharge de sols internes en terre battue témoignent de plusieurs phases de réfection. Celles-ci semblent être consécutives aux inondations récurrentes de la Sambre distante de quelques dizaines de mètres.
Du point de vue chronologique, les trois bâtiments s’inscriraient globalement dans le courant des XIVe et XVe siècles. Rien ne permet pour l’heure de les associer à la phase initiale du béguinage, fondé probablement au cours de la seconde moitié du XIIIe siècle (avant 1273 ?). Ces bâtiments ont été entièrement détruits par un violent incendie. Parmi les déblais effondrés sur place, une grande quantité de blocs de torchis indurés par le feu indique clairement qu’une partie des élévations des bâtiments devait être en pans de bois. Situé vers la fin du XVe siècle, cet incendie pourrait par hypothèse être associé au siège et à la destruction de la ville par les troupes de Louis XI en 1478. Après l’incendie, la zone des deux bâtiments laisse place à une friche jusqu’à la reconstruction de 1576.
C’est aussi à l’occupation médiévale du béguinage qu’est associée la découverte d’un réseau de petits chemins ou venelles soigneusement pavés. Ces derniers semblent relier les différents secteurs bâtis de l’enclos béguinal. Dans l’attente de l’étude du mobilier archéologique, une datation de ces chemins vers la fin du XIVe ou le début du XVe siècle apparaît comme la plus probante. Les béguines n’ont toutefois dû les fouler qu’un laps de temps relativement court, avant que des sédiments d’inondations et les constructions postérieures ne les scellent durant plus de six siècles et que ces chemins ne soient de nouveau parcourus par des bottes d’archéologues…
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (Drac Hauts-de-France)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Alain Henton, Inrap