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Le patrimoine archéologique précolombien et amérindien exposé au Centre spatial guyanais
Le CNES et l’Inrap, en partenariat avec la Direction des affaires culturelles de la Guyane, ont inauguré la première exposition permanente sur le patrimoine archéologique précolombien et amérindien au Centre spatial guyanais (CSG) à Kourou, le 20 septembre dernier, à l’occasion des Journées européennes du patrimoine, en présence de Didier Faivre, directeur du CSG, Guy San Juan, directeur des Affaires culturelles de Guyane et de Daniel Guérin, directeur général de l’Inrap.
En 2014 et 2015, L’Inrap a mené plusieurs campagnes exploratoires de sondages mécaniques dans des carrières de sable, à l’intérieur des installations du Centre spatial guyanais de Kourou, en vue de la construction du pas de tir du futur lanceur Ariane 6. Le diagnostic de la carrière Luna-S2, réalisé sur 13,6 ha, a mis au jour plusieurs occupations humaines anciennes réparties sur deux secteurs restreints, Luna 1 et 2. Une fouille archéologique d’une surface de 2 435 m2 a finalement été prescrite sur le premier secteur, « S2-Luna 1 », qui s’est déroulée au cours du printemps 2016, alors que le deuxième secteur a fait l’objet d’une mesure conservatoire.
Sandrine Delpech, responsable de recherches archéologiques à l’Inrap, revient sur ces recherches et ce projet d’exposition.
Vue aérienne du site, Centre Spatial Guyanais
Aéroprod Amazonie
Vue aérienne des fouilles dans la carrière Eva
VIDELIO, P. Baudon
Sondage en contexte de savane, carrière Léa
Sandrine Delpech, Inrap
Pouvez-vous décrire le site archéologique de S2-Luna 1 ?
Sandrine Delpech : Le site de S2-Luna 1 est localisé sur une barre prélittorale formée de sables blancs qui émerge à 12 m au-dessus de la savane. Il est constitué de trois niveaux d’occupations distinctes, datant des débuts de la colonisation jusqu’au Mésoindien récent. Au cours de la phase de diagnostic, nous avions identifié 2 niveaux seulement, de sorte que nous avons dû prévoir pendant la phase de fouille une session de décapage intermédiaire et traiter les 2e et 3e niveaux en continu. En raison du temps imparti pour ces recherches, nous avons dû restreindre en conséquence la surface de fouille de ces deux autres niveaux à 1031m2, au lieu des 2435 m2 du premier niveau.
Qu’avez-vous trouvé sur ces trois niveaux ?
Sandrine Delpech : Le premier niveau, entre 40 et 80 cm sous la surface actuelle, remonte au début de la période coloniale, entre le milieu du XVIIe et le XVIIIe siècle. C’est un village amérindien abandonné qui a laissé des nappes de fragments de céramique et deux sépultures en pleine terre. On y a trouvé des objets en métal qui étaient couramment utilisés pour la traite, comme des lames de couteaux, des haches en fer, des balles de mousquet et une monnaie en cuivre datée de 1628 trouvée, elle, pendant la phase de diagnostic, ainsi que plus de 9 000 perles de verre provenant d’Europe, d’Italie et de Hollande. Elles ont été trouvées pour leur plus grande part dans les deux sépultures.
Dispersions importantes de fragments de céramiques, XVIIe-XVIIIe siècles
P. Brouard, Inrap
Tamisage de sépulture, niveau XVIIe-XVIIIe siècle
l. Bernard, Inrap
Un écu armorié partiel, bouteille en grès allemand, XVIIe siècle, carrière Léa
Sandrine Delpech, Inrap
Le deuxième niveau, à partir de 80 cm en profondeur, semble correspondre en réalité à deux niveaux : un habitat sédentaire du IIe-Ier siècle avant notre ère et une succession d’occupations nomades à semi-nomades entre 750 et 1500 avant notre ère, soit du Néoindien ancien. On y a trouvé des éléments de débitage du quartz, des éclats, des nucléus et des percuteurs, ainsi que des objets de broyage et de mouture, quelques haches polies et des outils retouchés, ainsi que des éléments de céramique très altérés.
Le troisième et dernier niveau précolombien, à 1,65 m de profondeur, remonte à une occupation indienne datant de 3000 ans avant notre ère, soit du Mésoindien récent. Ce niveau se caractérise par une forte densité d’amas de blocs ou de galets de quartz assez altérés, de formes et de tailles variées, autour desquels de très nombreux outils en pierre ont été trouvés, des meules, des molettes et des éclats, ainsi que quelques éléments en céramique qui sont parmi les plus anciens trouvés en Guyane. Certains amas de blocs correspondent à des structures de chauffe de type foyers, mais dont les fonctions réelles nous échappent encore. Posé sur un de ces amas, nous avons trouvé un objet exceptionnel qui est un demi disque de granit de 2 cm d’épaisseur qui correspond à la moitié d’un disque parfait de 30 cm de diamètre. Des résidus de cuisson semblent indiquer qu’il s’agirait d’une plaque à cuire, c’est-à-dire, de l’ancêtre des « platines » encore utilisées aujourd’hui pour cuire le manioc.
Vue large de mobilier en place, niveau mésoindien, carrière S1-Luna
Sandrine Delpech, Inrap
Plaque à cuire à impression de vannerie, céramique koriabo du Mésoindien, carrière Léa
Matthieu Hildebrand, Inrap
Tablette circulaire à décor d'incisions en spirales, céramique koriabo du Mésoindien, Carriere Léa S1
Matthieu Hildebrand, Inrap
Amas de blocs de quartz, niveau ancien
Sandrine Delpech, Inrap
Platine en pierre partielle, carrière S2-Luna, Kourou, Guyane.
Sandrine Delpech, Inrap
Ces niveaux sont-ils aisés à identifier ? Quelles sont les particularités de ces sols ?
Sandrine Delpech : Les sols sont constitués de sable blanc-gris et ils sont entièrement podzolisés (acidifiés) et lessivés par la pluie. C’est-à-dire qu’ils présentent un aspect absolument uniforme à tous les niveaux et qu’ils laissent peu de possibilité de trouver des éléments organiques comme des restes osseux. On ne peut donc dater les niveaux qu’en se basant sur les types de vestiges archéologiques. Pour détecter ces vestiges, il faut s’en remettre bien souvent à la dextérité du chauffeur de la pelle mécanique. Or, les niveaux sableux ne prêtent que peu de résistance face à un godet de curage de 2 m pesant plus de 800 kg. Il suffit d’un geste brusque et le godet peut traverser un niveau à l’insu du chercheur. La lecture des niveaux de sol peut être aussi biaisée par le lissage du sable, aplani sous l’action du godet. La fouille mécanique présente beaucoup d’avantages, mais on atteint la limite de l’exercice dans ce type de milieu de plein air sur sables blancs qui pose des questions spécifiques de méthodologie.
Cette savane de sable blanc soulève encore une autre difficulté : nous avons commencé la fouille en saison sèche, en plein soleil. La lumière et la réverbération sur le sable blanc étaient si fortes qu’elles rendaient très difficile la lecture de nos écrans sur nos appareils et la détection de petits éléments sur le sable. Malgré tout, un collègue a repéré une minuscule perle blanche sur le premier décapage de sable blanc, et c’est en fouillant autour que l’on a découvert la sépulture, puis le collier d’où provenait cette perle.
Structures en pierre, niveau ancien
Sandrine Delpech, Inrap
C’était un chantier dans un milieu naturel isolé. Une nuit, un gros félin, un puma ou un jaguar, est passé sur le site et y a laissé une empreinte de patte. Un autre jour, un grand fourmilier est aussi venu près de la fouille : une belle rencontre ! Quand a démarré la saison de pluie, il y a eu une conjonction d’averses et de grandes marées et notre base vie et la piste d’accès ont été entièrement inondées. On a donc tamisé les pieds dans l’eau !
Comment s’est déroulée la collaboration avec le Centre spatial guyanais ?
Sandrine Delpech : Il y avait des contraintes très strictes de sécurité et d’accès au site. Le site archéologique de Luna-S2 se situe entre les lanceurs Ariane 5 et Soyouz. Le centre spatial est une plateforme industrielle, qui comprend plusieurs établissements sensibles dont deux classés SEVESO II, avec des risques technologiques particulièrement surveillés, entre les transports d’éléments de fusée, de produits sensibles... Toute l’équipe a été sensibilisée à tous ces aspects par le CNES au cours d’une formation avant la fouille.
La fouille de S2-Luna 1 fait aujourd’hui l’objet d’une exposition de l’Inrap au Centre spatial guyanais. D’où est venue l’idée de ce projet ?
Sandrine Delpech : Les Amérindiens représentent aujourd'hui environ 5% de la population de la Guyane (sur 296 000 habitants) et sont très peu mis en avant. Les fouilles dans l'enceinte du CSG sont l’occasion pour le CNES de faire un geste fort en direction de ces communautés en mettant en valeur leur patrimoine. Le CNES a donc choisi de confier ce projet de valorisation à notre institut à l’issue de la fouille de Luna 1, en collaboration avec Cap Sciences pour la scénographie, et la DAC Guyane. Le 10 août, à l’occasion de la Journée internationale des peuples autochtones, l’exposition a été présentée en avant-première au Grand conseil coutumier des peuples amérindiens. Cela s’est très bien passé, car il s’agit d’un des premiers lieux d’évocation de leur histoire de manière chronologique. Lors de cette rencontre, il y a eu une prise de parole pour que cette collaboration continue. Pourquoi ne pas former les jeunes amérindiens à l’archéologie ou faire des campagnes de sensibilisation à ce patrimoine archéologique dans les villages amérindiens ? Á la demande du CNES, l’exposition est vouée à devenir permanente. Elle est intégrée dans le parcours de visite du Centre spatial guyanais. Chaque jour, une centaine de personnes qui viennent visiter la base de lancement vont désormais passer par l’exposition qui représente ainsi une fenêtre ouverte sur l’histoire et le patrimoine de ces peuples souvent oubliés.
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- Qu’avez-vous trouvé sur ces trois niveaux ?
- Ces niveaux sont-ils aisés à identifier ? Quelles sont les particularités de ces sols ?
- Comment s’est déroulée la collaboration avec le Centre spatial guyanais ?
- La fouille de S2-Luna 1 fait aujourd’hui l’objet d’une exposition de l’Inrap au Centre spatial guyanais. D’où est venue l’idée de ce projet ?