Parmi la trentaine de fouilles prescrites sur le tracé de la future autoroute A19, le site C8, qui se trouve à cheval sur les communes d'Aschères-le-Marché et de Villereau (Loiret), avait surtout été remarqué pour son occupation gauloise caractérisée par une vaste aire d'ensilage datée de La Tène moyenne (environ 400 à 250 av. J.-C).

Dernière modification
29 août 2016

Si les travaux d'excavation ont également mis au jour de nombreuses structures qui peuvent être rattachées à la période médiévale, la découverte la plus singulière et inattendue consiste en un souterrain apparu en fin de campagne. 

En effet, la fouille de ce qui semblait être un simple cellier excavé a réservé une surprise de premier ordre. Cette pièce, aujourd'hui à ciel ouvert, est pourvue d'un double système d'escaliers aux marches irrégulières taillées dans le substrat qui donnaient accès à l'entrée principale d'un souterrain. Le caractère exceptionnel de cet ensemble ainsi que son excellente conservation ont justifié la mise en place d'une seconde intervention exclusivement consacrée à l'étude et à la fouille de ce souterrain. C'est donc une équipe réduite, composée d'archéologues et de topographes de l'INRAP, qui s'est attelée à cette tâche pendant un peu plus de deux semaines. Les conditions particulières du milieu souterrain, si familier aux spéléologues, ont entraîné des contraintes rendant le travail plus malaisé et plus pénible qu'en surface. De même, il a été nécessaire de renforcer la sécurité, selon des normes spécifiquement adaptées à cet environnement : contrôle de la qualité de l'air pour prévenir d'éventuelles accumulations dangereuses de CO2 et CO, pompage des infiltrations d'eau, etc.
Cet ouvrage soulevait de nombreuses questions, tant sur sa datation, sa fonction, que sur les modalités de son creusement. Même si bien des interrogations subsistent encore à l'issue de l'opération archéologique, les données récoltées font d'ores et déjà apparaître des éléments de réponses. Par ailleurs, la participation de spécialistes provenant de différents domaines permettra de préciser certaines caractéristiques du milieu naturel et son exploitation au travers de l'analyse des restes végétaux et animaux (os, charbons de bois, graines, etc.).

Description du réseau

Une fois franchie l'entrée, le souterrain se composait d'un système de galeries creusées dans le calcaire marneux du Miocène. Développé sur une trentaine de mètres, ce réseau a été taillé à échelle humaine, avec des dimensions relativement modestes, mais qui restent, somme toute, très confortables : à l'origine, la hauteur sous plafond est rarement inférieure à 1,60-1,70 m pour atteindre jusqu'à 1,80-1,90 m dans les salles ; la largeur moyenne des galeries (0,60 m) permet à une personne de circuler aisément. Un premier tronçon (gal. 0 et 1), à la pente prononcée et au tracé coudé, était barré par une porte dont il ne reste que la feuillure pratiquée dans les parois pour recevoir un cadre dormant. Il débouchait sur une galerie rectiligne (gal. 2), longue de quelque mètres et qui desservait deux salles oblongues de dimensions relativement réduites (environ 3 m par 1,60 m). L'une de ces pièces présente la particularité de n'être accessible que par une chatière, petit goulot d'une cinquantaine de centimètres de diamètre qui oblige à ramper pour y entrer. Après un nouveau coude, la galerie (gal. 3) descendait vers une dernière salle, plus vaste que les précédentes et dont la finition est moins soignée.
Ce schéma général était complété par deux accès techniques, correspondant à des puits d'extraction. Le premier, aux parois verticales et étroites pourvues d'encoches pour faciliter la montée et la descente, a été rebouché sitôt la salle 2 excavée. Un second, à profil cylindrique, était associé au creusement de la salle 3. A la différence du précédent, il a vraisemblablement été laissé ouvert durant le fonctionnement du souterrain.
Enfin, l'éclairage était assuré par de petites niches pratiquées dans les parois des galeries et des salles dans lesquelles pouvaient être placées lampes ou chandelles.

Stratigraphie, céramique et techniques de taille : les révélateurs de l'Histoire

Rarement riches en mobilier archéologique, les fouilles et l'étude d'un souterrain sont pourtant essentielles pour restituer les différentes phases qui se succédèrent depuis son creusement jusqu'à son abandon définitif.
La morphologie du réseau trahit un savoir-faire qui a su assurer la stabilité des galeries et salles jusqu'à aujourd'hui. La forme même des voûtes, la largeur des galeries, le volume et la distribution des espaces excavés, n'ont pas été laissés au hasard. Ainsi, le constat géotechnique effectué préalablement aux fouilles souligne que « le profil des ses salles et galeries en ogive et en demi cintre permet de limiter les portées et d'assurer un bon profil d'équilibre des zones creusées, vis-à-vis du report latéral des contraintes ».
Une étude des traces d'outils encore visibles, menée en collaboration avec Marc Viré (CNRS), a permis de faire le point sur la technique de creusement du réseau souterrain. Les différents sens de taille ont mis en évidence la présence de deux équipes dont le point de jonction a pu être retrouvé. Cette donnée nous amène à attribuer au puits de la dernière salle une fonction primaire de puits de creusement et d'évacuation des matériaux, transformé peut-être ultérieurement en puits de ventilation, voire de puisage (ce dernier point restant très hypothétique). On a pu reconnaître deux types d'outils employés : un pic plat, associé au creusement brut et un pic pointu en relation avec les retouches de finition et avec des  reprises.  
L'analyse stratigraphique de la sédimentation du souterrain apporte des informations supplémentaires sur les travaux d'excavation ou de maintenance et sur les processus d'accumulation volontaires ou accidentels durant son usage ou après son abandon. En plus d'un phénomène d'épandage associé à un moment de destruction des structures en surface et du comblement terminal destiné à sceller et rendre inutilisable le souterrain, on a pu constater un surhaussement localisé du niveau du sol. Plusieurs pistes s'offrent pour expliquer les raisons de cet apport massif de calcaire concassé : reprise partielle de l'ouvrage, volonté de freiner le passage, système pour endiguer les remontées d'eau en provenance de la dernière salle.
Quoi que peu abondante, la céramique (étudiée par Sébastien Jesset, INRAP) joue un rôle essentiel pour définir non seulement un cadre chronologique précis mais aussi le niveau social ou économique de ses utilisateurs. Les quelques restes trouvés appartiennent à des pots à cuire et à des cruches, c'est-à-dire à des ustensiles avant tout utilitaires, qui ne démontrent pas un statut particulièrement élevé et qui situent l'utilisation du souterrain entre les XIIe-XIIIe siècles.

La fonction du souterrain : les limites (actuelles) de l'interprétation

Plus qu'un parti pris constructif, cette structure semble être liée à une volonté défensive (réserve, stockage), non destinée à un habitat permanent. En effet, le système de fermeture permettant de bloquer le premier tronçon de galerie, les coudes à angle droit et la chatière, représentent autant d'indices qui suggèrent d'y reconnaître un refuge à la défense passive. Un autre aspect à prendre en compte est celui du stockage. L'association de ces fonctions n'est évidemment pas contradictoire ni exclusive. L'atmosphère confinée (voire pauvre en oxygène en cas de fermeture hermétique de la salle 2 par exemple), la température constante, l'absence d'exposition au soleil sont, tous, des éléments favorables à la conservation de denrées. Mais, en l'absence de silos ou d'autres types de contenants (jarres, etc.) à l'intérieur du souterrain, la présence de graines carbonisées (essentiellement des légumineuses) dans les premières couches du comblement pourrait être un argument supplémentaire pour corroborer cette idée. Toutefois, le fait que ces restes ne soient pas associés à une pièce précise, mais proviennent d'un épandage venu de l'extérieur, limite sa valeur informative.

Le caractère exceptionnel de cette structure excavée tient tant dans sa conservation que dans sa relation avec un ensemble fouillé en surface daté, grâce au mobilier céramique, des XIIe-XIIIe siècles. En effet, le souterrain doit être mis en relation avec une petite unité agricole composée d'un enclos à entrée en chicane enserrant un ensemble de silos et un bâtiment. De ce dernier, édifié en bois et en torchis, il ne reste que les trous de poteau et quelques fragments de torchis conservant des empreintes du clayonnage. Il est intéressant de noter que l'un des escaliers du souterrain devait aboutir directement à l'intérieur de cette construction, tandis que le second, légèrement en retrait, menait probablement à l'extérieur.
Si l'on se trouve donc face à un ensemble complet et cohérent qui illustre la complexité des processus de formation des sites ruraux médiévaux, il est, cependant, encore trop tôt pour appréhender son environnement culturel et social et l'intégrer dans une perspective historique.