Un diagnostic archéologique mené en 2009-2010 par Jean-David Desforges sur une partie du tracé du futur canal Seine-Nord Europe a permis la découverte de la villa gallo-romaine de Noyon.

Dernière modification
10 mai 2016

Le site s'étend sur le versant de Maigremont, au sud de la via Agrippa (voie romaine Amiens-Soissons) et à environ 900 m au sud-ouest de la ville de Noyon (Oise), l'antique Noviomagus. L'emprise de la fouille, d'une superficie de 6 hectares, concerne la pars rustica de l'établissement. Elle présente une importante densité de vestiges, parmi lesquels plus d'une trentaine de bâtiments.

Une grande villa « à pavillons multiples alignés »

Les dimensions de la villa de Noyon (480 m de long par 270 m de large) la classent parmi les plus grandes villae identifiées dans le nord de la France. Il semblerait que l'établissement ait connu principalement deux périodes d'occupation datées du Ier siècle.

Dans la première moitié du Ier siècle, le plan de la villa se caractérise par deux alignements de petits bâtiments sur poteaux, répartis à intervalles réguliers de part et d'autre d'une grande cour rectangulaire. La cour est bordée au nord et au sud par deux galeries, positionnées devant les bâtiments. L'ensemble est entouré par de grands fossés. Les espaces latéraux sont subdivisés en parcelles au moyen de fossés ou de palissades.
Après une phase de destruction et de labours, la deuxième période d'occupation correspond à la seconde moitié du Ier siècle. L'organisation et les dimensions d'origine de la villa semblent conservées, les bâtiments en dur (les « pavillons ») et les murs de clôture se superposant aux constructions sur poteaux. La villa adopte alors un plan à deux cours, avec une partie résidentielle (pars urbana) et une partie agricole (pars rustica).
La partie résidentielle (observée uniquement grâce aux photographies aériennes) s'organise autour d'une cour carrée, avec peut-être un bâtiment d'entrée. L'habitation occupe vraisemblablement le côté ouest. À noter la présence d'une deuxième cour latérale au sud-ouest, et probablement d'un balnéaire au nord-ouest.
La cour de la partie agricole est rectangulaire, bordée au nord et au sud par deux lignes de constructions parallèles alignées sur un mur de clôture. On y retrouve des bâtiments aux plans et aux dimensions plus ou moins réguliers. À l'arrière des deux lignes de construction, on observe également la présence d'autres bâtiments. Un fanum (temple) est implanté au centre de la cour, légèrement à est.

Fonction des bâtiments et activités pratiquées sur le site

Hormis pour les rares constructions identifiables (balnéaire, fanum...), il est difficile d'interpréter la fonction de la majorité des bâtiments. Quelques-uns pourraient avoir une vocation agricole : de rares structures sur quatre ou six poteaux porteurs s'apparentent à des greniers aériens ou à des granges, un bâtiment allongé monté sur sablières basses est dévolu à la stabulation (il pourrait aussi bien s'agir de bétail que de chevaux de monte ou d'attelage de véhicules). Quelques outils polyvalents, comme une serpette, un fer de hache ou encore un fer de bêche, renvoient à des activités secondaires ou extérieures, mais pas nécessairement agricoles.
Les activités artisanales ne laissent que peu de traces permettant de les localiser (le filage de la laine, par exemple, que seules trois fusaïoles illustrent). Les activités métallurgiques sont en revanche bien mises en évidence par leurs déchets ; toutefois le peu de scories découvertes sur l'ensemble du site dénoterait plutôt leur caractère restreint.
Les constructions vouées à l'entreposage, telles que caves et celliers, sont extrêmement nombreuses et attestent des capacités de stockage et de redistribution développées. Les séries de poids de balance et de tessères (jetons) en plomb et en bronze sont les indices d'activités commerciales pratiquées sur le site et/ou de sa fréquentation par des personnes extérieures. L'abondance de la monnaie apparaît comme un argument supplémentaire, avec plus de cinq cents pièces en bronze pour une dizaine en argent.

Statut de l'établissement

Proche de l'agglomération secondaire de Noviomagus, la villa lui est probablement antérieure (à l'heure actuelle, aucune découverte n'a été faite à Noyon pour la période gauloise). Au Haut-Empire (Ier-IIIe siècles), elle la dépasse même très largement en superficie (12 hectares pour la villa, quand Noviomagus n'en totalise pas plus de 10) ; on observe une certaine similitude entre le plan « à pavillons alignés » de la villa et celui du village-rue qu'est alors Noviomagus. La pars rustica de la villa présente un aspect urbain parfaitement illustré par la découverte de tronçons de voierie, ou encore d'un important réseau de canalisations et de bassins. Le caractère important de ce site est renforcé par la présence d'un aqueduc, découvert en 2008 par le Service archéologique de la ville de Noyon, dont le système d'adduction se dirige clairement vers la partie résidentielle.

Si les élévations des bâtiments ont pour la plupart disparu, récupérées jusqu'aux fondations, les structures excavées comme les caves, par exemple, montrent encore la qualité des constructions : emploi de l'opus vittatum (parement fait de moellons rectangulaires disposés en assises régulières), mais aussi d'assises en moyen appareil avec parfois une alternance de carreau et boutisse. Les restes d'enduits peints, de fûts de colonne, d'antéfixes (pièces en céramique ou en terre cuite, placées dans la partie inférieure des toitures pour empêcher les files de tuiles creuses de glisser), de tuiles décorées ou encore de dalles sciées pour sols à décors géométriques révèlent une qualité des bâtiments étonnante au regard de la fonction d'exploitation que l'on aimerait donner à cette pars rustica.

Le caractère urbain de l'occupation transparaît également dans les indices mobiliers, en particulier à travers les parures et les accessoires vestimentaires découverts en nombre (fibules, épingles, bracelets, anneaux, bagues, etc.) et en qualité (deux bagues en or). On note la présence d'objets liés à la médecine ou aux soins du corps (spatules, sondes), celle de vaisselle métallique (chaudron) ou de pièces d'harnachement (pendant de harnais). Les clefs, les garnitures de meuble, quelques pions de jeu et une entrave de prisonnier complètent ce mobilier, dont la diversité et la qualité sont révélatrices du statut élevé du site. La céramique révèle quant à elle un contexte atypique. Les indices de romanisation précoce sont nombreux : amphores et produits d'importations de l'ensemble du Bassin méditerranéen ; vaisselle de table en sigillée précoce des ateliers arétins (en Toscane) et céramique gallo-belge, rares dans les établissements agricoles, témoignent d'une richesse et d'une diversité de produits qui distinguent clairement la villa de Noyon des habitats ruraux contemporains régionaux.

Marjolaine De Muylder, Guillaume Aubazac et Bastien Dubuis