La fouille, réalisée par l’Inrap rue des Ponts-Chartrains, à Blois, à la marge du faubourg de Vienne, a révélé une occupation des premier et second Moyen Âge inédite.

Dernière modification
07 mars 2017

Un faubourg au-delà du fleuve qui semble une autre ville

Il est aujourd’hui admis que les origines de la ville de Blois sont anciennes : une agglomération antique se développe de part et d’autre des berges du fleuve à un point de franchissement succédant à une occupation de La Tène. Il s’agit d’une agglomération dite secondaire, dont le nom n’est pas connu, établie aux confins de la cité des Carnutes à mi-distance entre Caesarodunum (Tours) et Cenobum (Orléans). Les premières mentions de Blois datent de la période mérovingienne. Si la ville médiévale se fixe sur le coteau autour de la résidence castrale des vicomtes puis des comtes de Blois, qui deviendra à la Renaissance résidence royale, en revanche le faubourg de Vienne prend place sur l’autre rive dans la plaine soumise aux inondations. Ce faubourg très peuplé appartient à la paroisse Saint-Saturnin, attestée depuis le XIIIe siècle, qui représente 15 à 20 % de la population urbaine blésoise.

Une occupation du premier Moyen âge inédite

Concentrées dans la moitié nord-est de l’emprise, les structures, datées par le mobilier céramique entre les Ve et VIIIe siècles, se composent de fosses, de trous de poteau et de quelques tronçons de fossés. Elles se rattachent à une occupation agropastorale : clôtures, abris pour animaux, extraction, silo, etc. Les nombreux recoupements observés entre les structures indiquent une certaine pérennité de l’occupation et les quelques objets retrouvés relèvent de la sphère domestique : une épingle à cheveux en alliage cuivreux et une broche de tisserand décorée d’incisions. Aucun bâtiment n’a été identifié et il est probable que l’on soit ici à la périphérie d’un site beaucoup plus vaste. La présence d’une sépulture isolée d’un adulte inhumé dans un coffre en matériaux périssables, datée entre 646 et 766 par le radiocarbone, renforce cette hypothèse. En dépit de leur caractère peu spectaculaire, ces découvertes sont loin d’être anodines, car elles viennent alimenter le débat sur l’ancienneté de la seigneurie de Vienne qui dépendait du comte de Blois. Si un seigneur, Raymond de Vienne, est mentionné en 1169, une anomalie parcellaire concentrique, visible sur le cadastre de 1810, à proximité de la Loire au niveau de la tête du pont médiéval, pourrait se rapporter au site castral d’origine des seigneurs féodaux.

Un logis Renaissance d’exception

L’espace demeure ensuite sporadiquement occupé et toute l’emprise semble exploitée à des fins agricoles. Dans la seconde moitié du XVe siècle, à l’ouest du terrain, un premier bâtiment maçonné rectangulaire équipé de latrines et un pigeonnier sur pied circulaire de 7,50 m de diamètre sont établis dans une parcelle rectangulaire ceinturée par un robuste mur de clôture. Le grand logis Renaissance sur cave de 11,50 m de long sur 7,60 m de largeur est ajouté au début du XVIe siècle en bordure des autres bâtiments. Le programme architectural, en particulier les modénatures des fenêtres, reprend certains éléments de décor de l’aile Louis XII du château de Blois. L’expertise dendrochronologique réalisée sur la charpente en 2013 fournit une datation resserrée autour de 1511-1512. La cave était couverte de deux voûtes en berceau longitudinales qui reposaient sur quatre piliers. Son mode de construction est remarquable. On note l’emploi de mortier et de badigeon hydrauliques (tuileau) de grande qualité pour les murs et un cordon d’argile compacte jaune posé sur le fond ceinture l’ensemble, technique parfaitement adaptée au terrain humide qui rappelle celles de l’Antiquité et les enseignements de Vitruve. L’inspiration italienne est ici tangible, Blois est alors ville royale. Le propriétaire de ce logis n’a pas été identifié dans les textes mais la présence de cannelles en alliage cuivreux (robinet pour tonneau), d’un plateau de balance, de sceaux en plomb à usage fiscal ou commercial et de près d’une vingtaine de monnaies datées entre le milieu du XVe et le milieu du XVIIe siècles pourraient indiquer un commerce, peut-être du vin ?

C’est probablement la pression foncière qui sévit dans la ville enclose à cette période qui est à l’origine de l’extension de l’urbanisation en rive gauche de la Loire, dans le quartier de Vienne dans une zone soumise aux caprices du fleuve. L’action du fleuve est d’ailleurs bien perceptible à l’est du terrain, en bordure de la rue des Ponts-Chartrains : un chemin creux a été aménagé dans une boire, dépression d’origine naturelle creusée par un chenal lors d’une crue. Il sera ensuite colmaté par un dépôt de crue sableux.

L’extension de l’urbanisation freinée par les crues de la Loire

La moitié est du terrain semble être restée longtemps soumise aux crues de la Loire, même s’il est fait mention dans les textes, dès le XIIIe siècle, des Ponts Chastrés ou Châtrés, constitués d’arches et de levées servant à diriger les inondations au-delà du faubourg de Vienne et à circuler dans la plaine. En effet, on remarque que plusieurs bâtiments, un logis sur cave et ses annexes, établis en bordure de la rue des Ponts-Chatrains ont été entièrement démontés. Les sols absents ont été tronqués et tous les murs ont été récupérés. Tout porte qu’ils ont été en partie emportés par une crue. Les latrines maçonnées abandonnées et comblées ont livré un lot de vaisselle en étain (pichets et assiettes) et quelques verres à jambe datés entre le dernier quart du XVIe s. et le XVIIe s. Sur le sol de la cave, aménagé d’une puissante dalle de béton de mortier de tuileau, quelques tessons de faïence datés du XVIIIe siècle ont été retrouvés. Ils étaient associés à des fragments de cannelle en alliage cuivreux.

Cette fouille a été possible grâce aux travaux d’inventaire et de prospection menés en amont par l’équipe du projet collectif de recherche (PCR) intitulé Blois ville et territoire ligérien depuis les premières installations humaines jusqu'à nos jours dirigé par Didier Josset (Inrap) qui assure la coordination des recherches sur la fabrique urbaine. Ces résultats s’intègrent dans cette réflexion.

Aménagement : Jacques Gabriel SA-3F
Contrôle scientifique : Service régional de l’Archéologie (Drac Centre)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Anne-Marie-Jouquand, Inrap