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Expérimentation sur des silos souterrains, entre archéologie et agronomie
Les silos souterrains sont des vestiges communs en archéologie, mais leur propriété de conservation, vitales pour les sociétés anciennes, sont encore largement inconnues. Pour mieux les connaître, une équipe pluridisciplinaire, réunissant des chercheurs de l'Inrap et de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l'alimentation et l'environnement (INRAE), teste l’ensilage des céréales dans des fosses-silos.
L’Inrap et l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) collaborent depuis 2016 à l’élaboration d’expérimentations d’ensilage. Ce projet, cofinancé par la Direction régionale des affaires culturelles Occitanie (DRAC Occitanie) l’Inrap et INRAE, ambitionne de répondre à de multiples questions ayant trait à l’archéologie ainsi qu’à l’agronomie. Ces expérimentations à la croisée des sciences éclairent à la fois notre Histoire et contribuent à enrichir nos connaissances sur le vivant.
Les silos souterrains, des structures aux propriétés encore méconnues
L'ensilage est une technique traditionnelle ancestrale visant à conserver au sein de cavités creusées dans le sol (silos) certains produits agricoles. Or le stockage est une étape critique au cours de la vie d’un grain, entre la récolte et son utilisation pour préparer un aliment, où il est susceptible d’être consommé par des rongeurs, des insectes, et d’être altéré par des moisissures, dont des producteurs de mycotoxines. L’optimisation du stockage a ainsi constitué un paramètre vital pour les sociétés anciennes visant à réduire les pertes alimentaires globales. Son étude reste fondamentale pour répondre aux problématiques actuelles de conservation.
Parallèlement, l’archéologie livre de très nombreux exemples de silos désaffectés aux formes et aux dimensions variées, avec très exceptionnellement ce qui y était stocké à l’origine. Cependant, elle laisse sous silence des points essentiels tel que la durée de vie d’un silo ou la durée maximale de l’enfouissement souterrain garantissant la conservation des propriétés alimentaires, sanitaires et germinatives des céréales.
Silo enterré servant de stockage de grains souterrain (Bitry).
François Malrain, Inrap.
Des objectifs scientifiques à la croisée des disciplines
L’objectif du programme commun de recherche « Expérimentation archéologique d’ensilage souterrain préindustriel » est de tester, scientifiquement et de manière reconductible sur une dizaine d’années consécutives, l’ensilage des céréales dans des fosses-silos afin d’éclairer la recherche archéologique sur les savoirs faire mis en œuvre par les sociétés humaines du passé. L’expérimentation a ainsi pour ambition d’apporter des éléments de réponses à ces questions en suspens en les croisant à la fois aux données archéologiques, historiques, ethnographiques, aux savoir-faire de paysans en activité, ainsi qu’aux connaissances actuelles sur la conservation des céréales dans les domaines de l’agronomie et de la biochimie.
Le suivi de l’évolution des grains et des microorganismes associés permet aux chercheurs d’INRAE d’acquérir des données biologiques utiles pour leurs propres recherches.
Un projet collectif de recherche pluridisciplinaire
Le programme d’expérimentation de l’ensilage des céréales dans des silos enterrés a vu le jour en 2015 dans le cadre du projet collectif de recherche Habitats groupés/Villae du haut Moyen Âge en Languedoc et Roussillon mené par l’Inrap. Son objectif initial était d’éclairer la communauté archéologique sur divers aspects de cette pratique agricole ancienne. Progressivement l’équipe a intégré des archéologues du Service régional de l’archéologie et un carpologue du CNRS. En 2016, un partenariat est réalisé avec un paysan/céréalier pratiquant l’agriculture biologique afin de fournir des variétés anciennes de céréales. L’année suivante, le laboratoire de Mycologie et Sécurité des Aliments, MycSA, d’ INRAE à Bordeaux adhère à l’expérimentation dans le but de prendre en charge le contrôle de la qualité sanitaire des denrées après stockage et le contrôle de la qualité nutritive. Le spécialiste français du stockage des céréales, Francis Fleurat-Lessard, ancien chercheur de ce laboratoire poursuivant son activité d’expertise et consultance dans son entreprise, Insecto-Net IAA, est associé au programme.
Fin 2017, fort d’une équipe pluridisciplinaire et de son potentiel, l’expérimentation prend la forme d’un projet collectif de recherche (PCR) autonome intitulé Expérimentation archéologique de l’ensilage souterrain préindustriel. Cette évolution a été soutenue par la direction scientifique et technique de l’Inrap ainsi que par le service régional de l’archéologie (DRAC Occitanie).
Méthodologie, premiers bilans et observations
Afin de faire varier les différents paramètres de l’expérimentation, l’équipe de recherches s’est d’abord attachée à réussir le stockage sur une année et à tester ce mode de conservation sur une plus longue durée. Ce processus sera effectif lorsque la récupération du volume de grain au désilage sera consommable et le plus proche possible de la masse stockée un an auparavant. Or les premières observations issues des campagnes d’ensilage apprennent qu’à un même principe de conservation en terre, il existe une multitude de solutions techniques adaptées au terroir exploité, à la nature du substrat et au climat.
Un silo en coupe
Inrap/Inrae
A la fin de la campagne de 2019, le site expérimental compte sept silos de capacité comprise entre 600 et 800 litres. Cinq contiennent exclusivement de l’engrain issu de l’agriculture biologique. Un est réservé pour un usage ultérieur et le dernier est abandonné afin d’observer la dynamique de colmatage par érosion lente. Sur les six silos utilisés, des critères techniques d’aménagement des parois et de la fermeture destinés à rendre étanche la chambre de stockage sont expérimentés. Les ouvertures des silos sont réalisées après 1, 2 ou 3 ans pour renseigner l’efficience de ce mode de stockage pour la conservation à long terme. Chaque vidange de silo s’accompagne de prélèvements de grains analysés en laboratoire par l’unité MycSA de INRAE, de tests de semis en plein champs et pour la première fois début 2020, d’un test de mouture et de panification par un boulanger professionnel. Les premiers résultats indiquent que des mycotoxines s’accumulent dans les grains stockés dans les silos souterrains, mais aussi qu’il est possible d’améliorer les conditions de stockage et de minimiser les contaminations avec des moyens à disposition des populations anciennes.
Le bouchage du silo. Mise en oeuvre de torchis (mélange de terre humide et de paille sèche) destiné à colmater de façon étanche de la goulot d'accès.
Christophe Coeuret, Inrap
Un archéologue de l'Inrap projette le mélange terre humide et paille destiné à boucher le silo.
Christophe Coeuret, Inrap
Enduit de terre et de paille appliqué sur les parois du silos afin de limiter les infiltrations d'eau souterraine qui risqueraient de faire moisir le stock de céréale.
Christophe Coeuret, Inrap
Silo en cours d'étude par un archéologue de l'Inrap. Il réalise différentes observations sur la nature et la stabilité du substrat.
Christophe Coeuret, Inrap
Préparation du stock d'engrain vêtu issu de l'agriculture biologique (petit épeautre) utilisé pour l'expérimentation d'ensilage.
Christophe Coeuret, Inrap
Remplissage du silo avec de l'engrain vêtu issu de l'agriculture biologique.
Christophe Coeuret, Inrap
L’année 2020 constitue une nouvelle étape dans le projet. Elle permettra de conforter le protocole de conservation réalisé en 2018 dont la qualité sanitaire avait permis de transformer les grains en farine, de les panifier et de les consommer ! Par ailleurs, elle donnera lieu à l’observation de deux ensilages différents, l’un réalisé avec un paillage épais, l’autre enduit de torchis. Les résultats obtenus permettront de définir les objectifs 2021/2022 ayant pour ambition notamment de parvenir à une conservation durant 3 ans et d’introduire de nouvelles denrées (projet : orge, blé poulard, légumineuse).
Vidange du silo
Christophe Coeuret, Inrap
Recherche agronomique : INRAE
Responsables scientifiques : Cécile Dominguez et Eric Yebdri, Inrap
L’unité de recherche Mycologie et Sécurité des Aliments (MycSA) de l’institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement est localisée sur le Centre INRAE Nouvelle-Aquitaine Bordeaux. Les mycotoxines, composés naturels produits par des champignons, sont les principaux contaminants des produits céréaliers pouvant affecter la santé animale et humaine, et entrainer des pertes économiques pour les agriculteurs. MycSA réalise des recherches pour comprendre la régulation de la biosynthèse de mycotoxines, leur accumulation dans les grains et produits dérivés tout au long de la chaine alimentaire céréalière, et pour développer des solutions de réduction du danger.
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