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Doyenné, rue Saint-Hilaire
A Poitiers, Vienne, l'opération archéologique, réalisée sur 900 m² au sud de l'église Saint-Hilaire, au sein de l'enclos de la collégiale du même nom, s'organise autour de deux secteurs distincts séparés par un bâtiment reconnu comme étant le réfectoire du chapitre.
Trois études ont été menées conjointement : une étude documentaire, une étude du sous-sol et une étude de bâti, concernant le « réfectoire » et le mur d'enceinte qui longe la rue Saint-Hilaire.
La zone 1 est circonscrite entre l'église et le réfectoire, à l'emplacement du cloître et s'étend sur 700 m². La zone 2, d'une superficie de 200 m2, est située au sud du réfectoire.
La somme d'informations fragmentaires et souvent ténues a permis de dévoiler une partie de l'occupation funéraire et religieuse aux abords de la basilique Saint-Hilaire, de sa fondation au IVe siècle à son abandon au XVIIIe siècle.
La première occupation reconnue correspond à une carrière d'extraction de calcaire installée en bordure de falaise. Sa production pourrait être associée à la mise en place du complexe religieux au IVe siècle. Hilaire, premier évêque attesté de Poitiers, meurt en 367 ou 368. C'est au-dessus de son tombeau, en marge de la principale nécropole qui ceinture la ville du Bas-Empire, que va se développer un important complexe funéraire suburbain.
Signe de la nouvelle religion, ce monument, situé à l'extérieur de la cité, favorise une concentration de sépultures ad sanctos. Entre 70 et 90 sarcophages mérovingiens, certains peut-être plus anciens, sont ainsi estimés dans l'emprise de la fouille. Localisés principalement au nord-ouest du terrain, sur 200 m2, ils témoignent de la volonté de se regrouper autour de l'épicentre qu'est le mausolée d'Hilaire. Les sarcophages, tous orientés est-ouest, sont installés, à différentes altitudes, de part et d'autre d'une maçonnerie d'axe est-ouest, construite avec des remplois antiques, et d'un mur de terrasse orienté nord-sud, aujourd'hui disparu. Cet effet de palier perdure jusqu'à la fin du Moyen Âge et explique la différence de conservation des vestiges entre les zones orientales et occidentales du terrain.
L'étude stratigraphique démontre que pendant la durée d'utilisation de la nécropole les sarcophages apparaissaient semi-enterrés laissant les couvercles visibles. Les contenants pouvaient donc être aisément réutilisés, comme le confirme la présence de deux individus inhumés successivement dans le seul sarcophage fouillé.
Au sein de cet espace funéraire ouvert et accolé à la maçonnerie est-ouest, un bâtiment de type mausolée a été identifié. Ses murs, qui délimitent un espace carré de 5 m de côté, ceinturent trois sarcophages, trapézoïdaux et de facture similaire, partiellement visibles dans le bâtiment. Les maçonneries de cette construction ont été par la suite complètement récupérées.
Une large variabilité typologique des sarcophages a pu être mise en évidence : forme trapézoïdale ou rectangulaire, couvercle en bâtière ou décoré d'une croix à triple traverse à acrotères très marqués de type poitevin, etc. Un christogramme est également gravé sur le seul sarcophage dégagé dans sa totalité.
Autour du VIIIe siècle, la basilique, d'abord martyriale puis cimetériale, destinée aux pèlerins, devient une importante collégiale dont la renommée s'étend à tout l'Occident. L'aire sépulcrale s'étend alors au reste de la parcelle. Des inhumations estimées à une soixantaine, qui s'inscrivent dans une fourchette chronologique comprise entre le VIIIe et le Xe siècles, occupent en effet la totalité de la zone située au sud du « réfectoire ».
Au Xe siècle, de nouvelles constructions se dressent à l'emplacement de la nécropole mérovingienne, maintenant remblayée. L'intérieur du mausolée est pourvu d'un sol qui masque les sarcophages. Cette intention marque peut-être une évolution du statut du bâtiment vers une fonction possible de chapelle. À l'ouest, un nouveau bâtiment est construit. S'appuyant également sur le mur d'orientation est-ouest le plus ancien, il est de dimension similaire au mausolée. Les niveaux successifs de sols qui y ont été découverts montrent une occupation continue pendant tout le Moyen Âge. Trois autres bâtiments, non identifiables car complètement arasés, ont été repérés sur la terrasse supérieure. Si les espaces inoccupés sont limités du fait de la présence de ces constructions, la volonté d'inhumer à cet emplacement semble toutefois perdurer.
Plus au sud, au niveau de l'actuel mur gouttereau du « réfectoire », une imposante maçonnerie d'axe nord-sud, actuellement conservée sur environ 2 m de hauteur, est construite. Son étude a révélé l'existence d'une porte d'accès, inconnue jusqu'alors. Une aire de circulation a été mise au jour en bordure sud-ouest de ce mur. Il faut noter la différence marquante d'occupation entre les deux zones de fouilles séparées par cette maçonnerie, peut-être unique vestige du Castrum de l'an Mil.
Au cours du Moyen Âge, le bâtiment dit « réfectoire » est construit dans les proportions et l'apparence qu'on lui connait aujourd'hui. Il s'implante sur la maçonnerie évoquée précédemment. Le mur gouttereau nord s'ouvre vers l'église grâce à un alignement de baies ébrasées très bien conservées. Le plancher du premier étage ainsi que les piliers de soutènement ont été datés par dendrochronologie du début du XIIIe siècle. Les ensembles canoniaux n'étant pas soumis aux strictes règles de l'architecture monastique, le terme couramment admis de « réfectoire » ne s'applique pas à ce bâtiment. Il doit être davantage envisagé comme un lieu de stockage type cellier, grenier...
Parallèlement au mur qui borde la rue Saint-Hilaire, une galerie de 5 m de large a été identifiée. Cet espace de circulation n'a malheureusement pas pu être mis en relation avec le reste du bâtiment.
L'occupation funéraire perdure au sud du bâtiment récemment édifié. Plusieurs sépultures en coffrage de pierre, typiques du Moyen Âge classique, ont ainsi été mises au jour.
Au cours de la période moderne, certaines des constructions situées de part et d'autre du « réfectoire » sont arasées, d'autres sont partiellement ou totalement récupérées et le terrain est de surcroit décaissé. La zone située au nord semble, après un décaissement général, avoir été remblayée et utilisée comme cimetière. Si une soixantaine de sépultures a pu être repérée et en partie fouillée, il faut estimer une occupation funéraire moderne d'environ 200 tombes sur l'emprise de la parcelle. Ce cimetière pourrait être lié au changement de statut de la collégiale, qui devient paroisse Saint-Hilaire en 1804. Une citerne présentant plusieurs phases d'aménagement est également installée au XVIe siècle pour récupérer les eaux du toit de l'église. Elle apparait régulièrement dans les sources écrites. Enfin, une nouvelle galerie est aménagée le long du réfectoire. L'ensemble sera une nouvelle fois arasé pour la construction de l'école Saint-Hilaire en 1882.
La zone sud se caractérise par un important hiatus chronologique. L'absence quasi totale de structures datées entre le Xe et le XIXe siècles est probablement la conséquence d'importants travaux d'urbanisme au XIXe siècle. Des modifications sont réalisées sur le réfectoire. Des ouvertures de style classique percent alors le premier étage et un bâtiment de type cellier est adjoint à l'extrémité occidentale.
Si l'étude reste succincte et les données lacunaire, l'opération s'étant davantage apparentée à une évaluation qu'à une fouille, les structures archéologiques mises au jour sont aussi remarquables qu'on pouvait l'espérer aux abords de ce site majeur de l'Occident chrétien. L'identification de la nécropole paléochrétienne, l'étude de l'évolution de l'occupation funéraire jusqu'à l'époque moderne et l'examen des vestiges de la collégiale depuis sa fondation enrichissent les données de la recherche archéologique chrétienne.