Au centre de la plaine orientale de la Corse, un habitat étrusque du VIe – IVe s. av. J.-C., établi à moins d’un kilomètre du rivage de la mer Tyrrhénienne, a été mis au jour par les archéologues de l’Inrap. Cette découverte constitue un témoignage privilégié de la présence de cette civilisation pré-romaine sur le territoire insulaire par la richesse de son mobilier céramique et parce qu'il s’agit du premier établissement domestique fouillé en Corse pouvant être rattaché à la culture étrusque.

Dernière modification
09 juillet 2024

Dans le cadre d’un projet de construction d’une maison individuelle sur la commune de Ghisonaccia en Haute-Corse, et sur prescription du Service régional de l’archéologie (Drac de Corse), une fouille préventive a été réalisée de la mi-octobre jusqu’au début du mois de décembre 2023 sur une surface de 605 m². L’emprise concernée par la fouille est située à 3,5 km à l’est de la commune de Ghisonaccia, au centre de la plaine orientale de la Corse délimitée à l’est par la mer Tyrrhénienne et à l’ouest par les versants de piémont de la chaîne hercynienne. Le site de Chiusevia est implanté, à une vingtaine de mètres au nord d’un méandre du ruisseau d’Alzetta et à environ 800 m de la mer.

Les vestiges d’un habitat et d’activités domestiques du VIe – IVe s. av. J.-C.

Le terrain correspond à une terrasse alluviale qui est marquée par une légère déclivité de 3 % du nord vers le sud en direction du ruisseau d’Alzetta. Un bâtiment sur fondations de galets est implanté au nord, sur un replat naturel. Il semble se développer au-delà de l’emprise selon un axe nord-ouest / sud-est. Son aménagement est précédé d’un nivellement anthropique du terrain. Trois solins de galets définissent un espace interne de 6,35 m de large pour une longueur observée de 5,30 m, soit une surface intérieure d’au moins 34 m². L’emprise au sol du bâtiment atteint au moins 50 m².

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Vue d’ensemble du bâtiment sur solins de galets.

© B. Chevaux, Inrap

Les trois fondations de murs du bâtiment présentent les mêmes principes de construction. Elles sont constituées de galets de modules variables, liés par un sédiment limoneux brun sombre, déposés au sein d’une tranchée de fondation aux parois évasées. Leur agencement est irrégulier et peu soigné. Elles sont conservées sur trois assises maximum et elles présentent une largeur oscillant entre 0,60 et 1 m. Plusieurs petites excavations destinées à recevoir un poteau en bois ont été identifiées sur les pourtours des constructions de galets. Leur positionnement stratigraphique et leur localisation laissent supposer qu’ils puissent être des éléments structurant les élévations et la toiture du bâtiment en matériaux périssables.

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Vectorisation et orthophoto du bâtiment à partir de l’acquisition photogrammétrique.

© B. Chevaux, Inrap

La présence de nombreux fragments de torchis dans le niveau d’abandon plaide en faveur de l’hypothèse de parois clayonnées remplies de terre à bâtir soutenues par les solins de galets. Une étude anthracologique (P. Poirier, I. Figueiral, Inrap) permettra d’obtenir des pistes d’interprétation à ce sujet. Toute la surface interne du bâtiment est recouverte d’un fin niveau limoneux relatif à son occupation. Il est jonché de petits nodules de torchis, de micro charbons de bois et surtout de plusieurs centaines de fragments de céramiques qui témoignent de sa fréquentation. Une sole foyère constituée de fragments de vases de stockage en remploi est aménagée au cœur du bâtiment et une grande fosse, creusée dans le niveau d’occupation de l’édifice, reçoit les rejets de combustion et les vidanges issus de l’utilisation de cette dernière.


Des aménagements en périphérie de l’habitat

Un grand fossé a été identifié à une vingtaine de mètres au sud du bâtiment. Reconnue sur 15 m de long, la structure excavée possède une largeur d’1,70 m. Elle semble se développer vers le sud-ouest au-delà de l’emprise en direction du méandre du cours d’eau d’Alzetta dont elle pourrait capter ses eaux pour alimenter l’établissement. Le fossé pourrait aussi être considéré comme un élément de structuration de ses limites et de son extension.

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Fossé, en cours de fouille, délimitant l’occupation.

© B. Chevaux, Inrap

Une vingtaine de trous de poteaux, dont certains ont conservés le fantôme du poteau, ont été appréhendés en périphérie de l’habitat. Ils semblent participer à la construction de plusieurs aménagements en matériaux périssables. Plusieurs fosses de rejets domestiques, contenant des parois de fours rubéfiées et colmatées par des matrices charbonneuses, sont également creusées à proximité du bâtiment et sont les témoins d’activités en lien avec la sphère domestique.

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Vue en coupe d’un trou de poteau et du fantôme de poteau conservé.

© A. Jamai-Chipon, Inrap


Un corpus céramique riche et son approche pluridisciplinaire

Le niveau d’occupation du bâtiment est constellé de fragments de vases rejetés sur place. De plus, la sole foyère est composée principalement de fragments de gros contenants destinés au stockage utilisés ici en remploi. Le corpus de la céramique collectée au sein de l’habitat rassemble ainsi un mobilier exceptionnellement riche pour ce type d’occupation (poids : 43,3 kg).

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Fragments de céramiques écrasés et rejetés au sein du bâtiment sur le niveau d’occupation.

© R. Antonietti, Inrap


Le taux de fragmentation est très élevé notamment pour les unités stratigraphiques liées à la sole foyère et au niveau d’abandon de l’habitat. Tous les fragments sont réalisés au tour et aucun n'est décoré. Les principales formes de récipients identifiées sont des formes fermées à bord évasé ou rentrant, à paroi épaisse, grossière ou semi-fine. Il s’agit de céramique commune étrusque et de vases de stockage. Aucune trace de passage au feu ou de résidu carbonisé contre les parois ou les fragments de fonds présents dans le corpus n’a été observée, excluant l’utilisation des récipients pour la cuisson. Le corpus, homogène, se caractérise notamment par l’absence de céramique modelée locale mais aussi par celle de productions raffinées étrusques (vernis noir, surpeintes, figures rouges) ou hellénistiques.
L’ensemble des éléments typologiques, les compositions des pâtes céramiques et autres caractéristiques mis en évidence tendent à indiquer une occupation du site dans une ère chronologique encore large, située entre de VIe et le IVe s. av. J.-C.

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Fragments de céramiques écrasés et rejetés au sein du bâtiment sur le niveau d’occupation.

© R. Antonietti, Inrap

L’étude typo-chronologique du mobilier (A. Jamai-Chipon, Inrap), couplée à l’analyse des marqueurs organiques potentiellement conservés dans quelques vases (N. Garnier, laboratoire LNG) et à l’étude pétrographique des pâtes (F. Convertini, Inrap), permettra certainement de définir un corpus de référence pour la Corse et offrira des perspectives intéressantes pour l’interprétation et la compréhension de ce site et la place de l’île au sein des circuits d’échange de l'espace méditerranéen.

Aménagement : particulier
Prescription : Service régional de l’archéologie, Drac de Corse
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Brice Chevaux, Inrap