Dans le cadre d'un projet de requalification urbaine de la Place Denfert-Rochereau, dans la partie nord de la ville, l'Inrap fouille deux zones distinctes, situées juste au-delà de l’enceinte historique érigée dans le courant du XIIIe siècle. Le diagnostic préalable, en 2019, avait révélé la présence d'un cimetière extra-urbain des périodes médiévale et moderne.

Dernière modification
25 novembre 2024

Une complexité historique

Historiquement, ce cimetière serait rattaché depuis son origine à une aumônerie voisine (aumônerie Saint Georges de Beauchamps) mentionnée à la fin du XIIe siècle (1198). Détruite durant la guerre de cent ans (fin XIVe- début XVe siècles), elle serait reconstruite vers 1430 avant de subir de nouveaux dommages autour de 1440, très vite suivis d’une réédification. L'aumônerie est alors supposée déplacée au nord, éloignée de l’enceinte, lors de l’une de ces dernières reconstructions. En 1568, les guerres de religions entraînent sa ruine et les documents disponibles ne nous indiquent pas si elle est relevée par la suite. Le cimetière, semble oublié durant les XVe-XVIe siècle, mais il apparait comme être celui des protestants pendant la période liée à l’édit de Nantes. Rentré dans l’obédience catholique après la révocation de ce dernier en 1685, rattaché à la paroisse intra-muros de Saint André dont il deviendrait l’annexe, le cimetière est dit alors « purgé des tombes huguenotes dont les restes auraient étés jetés dans un souterrain voisin ». Pour certains auteurs, un bâtiment sous coupole, semi-enterré, dont la destination originelle est mal définie, redécouvert à l’occasion du diagnostic dans la partie orientale du projet d’aménagement, « aurait servi alors d’ossuaire à ce moment-là ». Ces assertions n’ont pu être vérifiées durant la fouille de la Place Denfert-Rochereau.

Un espace funéraire préservé à la période médiévale 

Sur le terrain, la distinction des deux zones a permis de constater deux états du cimetière, dont une zone assez bien préservée au sud (zone 2) constituée de tombes simples en fosses creusées dans le substrat calcaire, de formes anthropomorphes pour certaines, ou en coffrage de dalles de pierre placées de chant. Certaines mixent ces deux types, en partie « creusement rupestre » et bordure de dalles. Les sépultures sont en majorité couvertes de dalles mais juxtaposées à plat. Des vases en céramiques, potentiels dépôts funéraires, accompagnent un petit nombre de défunts, et concernent autant des individus adultes qu’immatures.

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Place Denfert-Rochereau, Niort (79) - 2023 - Sépulture simple de forme anthropomorphe creusée dans le substrat rocheux avec dépôt de vases céramiques.

© C. Scuiller, Inrap

Dans cette partie peu de sépultures sont réutilisées ou se recoupent, ce qui, au regard de la zone voisine, laisse supposer que cet espace s’avère inaccessible, protégé, et oublié à partir de la fin du Moyen-Age (terminus post quem XIIe-XIIIe siècle donné par une première datation des vases déposés, mais restant à confirmer par l’étude exhaustive du mobilier). Dans un secteur particulièrement bien préservé de cette zone, il a été possible d’observer au-dessus de la couverture d’une tombe, les niveaux de comblements et de fermeture de la fosse avec, notamment, une fine surface du scellement terminal constitué de sable et mortier compactés. Non loin, une autre sépulture, gardait en position originelle à son extrémité occidentale une pierre dressée, sorte de stèle, la signalant à la surface du cimetière.

Densification de l’espace funéraire à l’époque moderne

A l’opposé, la zone 1 au nord, révèle une densification de l’espace funéraire illustrée par de très nombreux recoupements de sépultures, des superpositions de squelettes, des doublements de dépôts de corps si ce n’est plus.

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Exemple de densification de l’espace funéraire en zone 1 avec superpositions de squelettes et recoupements de sépultures.

Photo drone : © J. Coudrin, Inrap

Des amas localisés d’ossements traduisent également des bouleversements répétés. Si les fosses rupestres et les coffrages de dalles y sont perceptibles, il s’agit essentiellement d’inhumations réalisées dans des contenants aux architectures à premières vues « non visibles », associées, soit à des cercueils cloués et non cloués, ou effectuées en « pleine terre », avec la possible utilisation d’enveloppes souples (habits, linceuls ou linges).

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Place Denfert-Rochereau, Niort (79) - 2023 - Exemple d’aménagement de fosse sépulcrale : traverses d’os longs humains employés comme support d’un contenant disparu (cercueil, planche ou brancard en matériaux périssables).

© C. Scuiller, Inrap)

Autant de possibilités que soulignent de manière non systématique des alignements de clous, d’épingles ou des traces de bois, et que révèle aussi l’analyse taphonomique liée à l’état des connexions articulaires et aux positions des os. L’étude archéo-anthropologique s’attachera, à discuter et préciser ces questions relatives aux faits et gestes funéraires, ainsi qu'à déterminer au mieux la population inhumée. Deux premières datations 14C effectuées sur des squelettes de cette zone donnent des fourchettes chronologiques largement comprises entre la fin du Moyen-Age et le courant de la période Moderne, avec cependant un hiatus notable de 1624 à 1668, ce qui laisse dubitatif quant à l’utilisation du cimetière par les Protestants à cette période. De futures datations devraient nous permettre d’y voir plus clair sur les phases réelles d’utilisation de l’aire funéraire dans son ensemble.

À remarquer que dans cette zone très peu de mobilier funéraire accompagne les squelettes (au regard du nombre de sépultures, les boucles de ceinture, monnaies, bagues et anneaux sont rares). Si bien que l’absence d’éléments comme les chapelets ou les médailles pieuses habituellement collectés, sans que ce soit à profusion, sur d’autres cimetières régionaux de la même période, interroge sur le statut social de la population inhumée.

Après l’usage funéraire, Promenade et Carrières

Suite à la clôture du cimetière en 1773, le secteur est transformé en espace public, la promenade Saint Gelais, du nom de la porte voisine. Pour ce faire, un premier nivellement, affectant surtout la zone 1 est réalisé. Des tranchées de plantations d’arbres sont creusées selon un axe principal est-ouest, au détriment des sépultures sous-jacentes. Elles se traduisent par de longues saignées parallèles de 1,10 / 1,20m de large et profondes de près 1m, visibles sur la surface du site. La deuxième zone de fouille, où elles sont plus rapprochées, a été la plus fortement impactée.

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Place Denfert-Rochereau, Niort (79) - 2023 - Vue de la carrière à ciel ouvert (fosse 1004).

© C. Scuiller, Inrap

Avant cette transformation, le secteur sert également de carrière, à ciel ouvert ou partiellement souterraine, pour fournir en matériaux de construction les édifices bâtis alentour, notamment la caserne de cavalerie Du Guesclin, située à moins de 200 m à l’ouest du site. Élevée à partir de 1736 derrière le rempart, elle est étendue au-delà sous le Premier Empire. L’une de ces carrières (fosse1004) a eu un impact certain sur le cimetière, puisque près d’un quart de la première zone de fouille (partie sud-ouest) s’est vue emportée lors de l’exploitation. La fouille partielle de cette large fosse a révélé un front de taille de près de 5m de hauteur, comportant trois bancs nets de calcaire dur sur lesquels les traces de pics liés à l’extraction s’avéraient encore visibles.

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Place Denfert-Rochereau, Niort (79) – 2023 - Vue rapprochée du front de taille avec traces d’outil (pic).

© C. Scuiller, Inrap


 

Le mobilier extrait des remblais de comblement de cette dernière est largement attribuable à la période contemporaine (XIXe siècle). Deux entrées de carrières souterraines ont également été appréhendées ; chacune à l’extrémité occidentale d’une tranchée de plantation dans les deux zones. Au XXe siècle se produit une nouvelle parcellisation de l’espace, avec le maintien d'une zone ouverte à l’ouest devant la caserne (Place Denfert-Rochereau), et la construction de bâtiments publics et privés à l’est.
 

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Place Denfert-Rochereau, Niort (79) - 2023 - Journée Portes Ouvertes.

© C. Scuiller, Inrap

Près de 450 sépultures ont été fouillées, enregistrées, photographiées en 3D et prélevées après plus de quatre mois passés sur le terrain. Toutefois, si les limites du cimetière sont repérées à l’est et à l’ouest par le diagnostic, les limites nord et sud, n’ont pu être appréhendées durant cette phase de travaux. Nous ignorons encore es raisons pour lesquelles une partie du cimetière apparait bien moins utilisée sur la durée que l'autre. L’hypothèse d’une zone protégée, car inaccessible à partir de la fin du Moyen Âge, reste à démontrer, en espérant que la confrontation des données de terrain et des sources d’archives textuelles, cadastrales et cartographiques apporteront les éléments de réponses attendus dans le cadre des études post-fouilles qui débuteront dès 2025. 

Parallèlement aux études de terrain, la fouille a fait l'objet d'une médiation. En plus de visites destinées à des classes de primaires, deux journées Portes Ouvertes ont été organisées sur le site en 2023, complétées par une conférence donnée aux Archives Départementales des Deux-Sèvres dans le cadre de l’exposition « Coexistence, Catholiques x Protestants dans les deux-Sèvres (1517-1905) ».

Aménagement : Niort Agglo
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (Drac Nouvelle-Aquitaine)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Christian Scuiller, Inrap