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Une ferme médiévale en vallée de la Seine, à La Villeneuve-au-Châtelot (Aube)
Une occupation du Ier siècle de notre ère et une ferme médiévale (XIIe-XIVe siècles) ont été découvertes dans le nord-ouest de l’Aube. Ce type de vestige médiéval est encore très peu étudié dans la région par l’archéologie préventive.
Avant la construction par GRTgaz d'une canalisation de transport de gaz reliant la Méditerranée à la mer du Nord et passant notamment par la Champagne, l'Inrap a réalisé en juin-juillet 2014 une fouille sur 1 469 m2 à la sortie sud de La Villeneuve-au-Châtelot (Aube). L’opération a permis d’étudier des structures en creux antiques, ainsi que la partie orientale d’une ferme entourée de fossés datée du Moyen Âge.
Une occupation du Haut-Empire très perturbée
L’occupation antique consiste en 124 faits anthropiques associés aux années 30-35 à 65-70 apr. J.-C. La majorité sont des fosses, trous de poteau et tronçons de fossé, mais on trouve aussi un puits, un silo, et des ornières. La plupart se concentrent dans la partie ouest d’une emprise déjà très étroite (10 m au plus large) : il est très probable que la quasi-absence de faits antiques dans la moitié est soit due à une destruction par le creusement des fossés successifs ceignant l’occupation médiévale ultérieure. L’organisation spatiale de l’occupation antique nous échappe ; aucun plan de bâtiment n’a été identifié. Le mobilier recueilli oriente vers une activité agro-pastorale. Cette interprétation est confirmée par les données carpologiques, qui indiquent une polyculture des céréales d’hiver et d’été.
Dans la seconde moitié du XIIe siècle : l’aménagement d’une ferme fossoyée
Après un hiatus important dans la fréquentation des lieux (aucune occupation structurée avérée entre l’Antiquité et le Moyen Âge central), l’occupation reprend dans la seconde moitié du XIIe siècle. Cette occupation médiévale, dont seule la partie orientale nous est connue, connaît trois phases. Lors de la première, une ferme fossoyée est construite sur une plateforme légèrement exhaussée, ceinte d’un système de fossés marquant une interruption au milieu de son côté est. La partie nord du système fossoyé dessine l’angle nord-est de la ferme. Au sud, l’angle sud-est permet de raccorder cet ensemble à une noue qui l’alimente ainsi en eau. L’occupation telle que nous la connaissons a une longueur totale de 68 m. Le bâti de cette première phase est très lacunaire. Un fragment de mur et sa tranchée de récupération sont les seuls vestiges de construction ; un autre mur n’est pas associé à une phase précise, et pourrait donc avoir été construit dès le début de l’occupation.
Une ferme fréquemment remaniée
Une première phase de destruction voit le comblement des fossés avec des matériaux probablement issus de la démolition de certains éléments du bâti de la ferme. Immédiatement après, un nouveau système de fossés moins profond que le premier est creusé lors de la deuxième phase de construction et d’occupation médiévale (début du XIIIe siècle). Il est situé en léger décalage vers l’extérieur par rapport au premier, mais selon le même tracé global. Il s’interrompt également au milieu de son côté est, le seul connu dans toute sa longueur (79 m). Là encore, le fossé sud se raccorde au chenal du sud de l’emprise. Deux tranchées de récupération permettent d’établir que le système de fossés était bordé sur la plateforme par des murs.
Lors d’une seconde phase de destruction (milieu du XIIIe siècle), le fossé nord est remblayé. À son emplacement est élevé, lors de la troisième et dernière phase de construction, un mur large de 1,30 m, le plus imposant parmi ceux mis au jour. Un autre mur est chaîné avec lui en angle droit. Quant au fossé sud, il semble que son comblement ait été naturel et simultané à celui du chenal sud, à une date indéterminée mais antérieure à la récupération finale des matériaux du site.
La partie fouillée du site médiéval est détruite, récupérée et abandonnée au milieu du XIVe siècle. La cause de cet abandon ne peut être déterminée avec certitude. Les troubles liées à la guerre de Cent Ans peuvent constituer un élément de réponse, mais cela reste purement hypothétique.
Un type de vestige encore peu fouillé dans la région
La caractérisation de l’occupation médiévale est problématique ; les données sont trop lacunaires pour déterminer s’il s’agit (ou non) d’une maison forte, notamment en l’absence d’archives mentionnant la ferme. Mais le mobilier recueilli permet tout de même d’esquisser les contours d’une ferme habitée par une élite rurale tournée vers l’agriculture, voire très hypothétiquement aussi vers la meunerie : les archives mentionnent un Pont du Moulin à proximité. La présence sur place de céréales est assurée par l’étude carpologique. Il est probable que les carporestes de blé proviennent de la manipulation des céréales au sein de la ferme, et non de leur culture à proximité immédiate, les sols inondables des environs du site étant peu favorables à la culture des espèces identifiées. La pêche est également pratiquée, comme en témoignent des lests de filet. Enfin, la présence de scories atteste une activité métallurgique, pour laquelle aucun autre élément n’a cependant été mis au jour ; une forge pourrait être située hors emprise.
En définitive, la fouille de la ferme de La Villeneuve-au-Châtelot est indéniablement d’un intérêt majeur dans la connaissance de l’implantation humaine en milieu rural en Champagne pour les XIIe-XIVe siècles : aucun site régional étudié via l’archéologie préventive et présentant des vestiges contemporains et comparables à ceux de La Villeneuve n’avait été publié jusqu’ici.
Objets métalliques issus de l’occupation antique : rouelle (en haut, à gauche), pied de candélabre (en haut, à droite) et fibules.
© Dessin et DAO : Jean-Jacques Bigot, Inrap 2014
Ce mur de la troisième phase de l’occupation médiévale occupe l’emplacement des fossés comblés à cette époque.
© Arthur Guiblais-Starck, Inrap 2014.
Carreau de pavement de sol provenant de la ferme médiévale.
© Simon Loiseau, Inrap 2014.
Figurine zoomorphe médiévale dont la fonction reste indéterminée ; il pourrait s’agir d’un fragment de salière.
© Simon Loiseau, Inrap 2014.