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Prix Clio pour la fouille du cimetière d’Atlit (Israël)
Fondé en 1997 pour encourager la recherche archéologique française à l’étranger, le 2e Prix Clio de l'Archéologie a été attribué à Yves Gleize, chargé d’opération et de recherche à l’Inrap (UMR5199 PACEA et associé au CRFJ) et à son équipe pour les travaux de la Mission archéologique française sur le cimetière médiéval d’Atlit.
Le cimetière d’Atlit est le plus grand espace funéraire conservé de l’Orient Latin. Il se situe à 15km au sud de Haïfa, à proximité du Château-Pèlerin construit entre 1217 et 1218 et confié aux Templiers, afin de protéger les voies terrestres littorales. Après 1265, le château a encore sous sa tutelle au moins 16 villages. Il s’agit d’une des dernières implantations du royaume latin de Jérusalem puisqu’elle est évacuée, après la chute d’Acre en Mai 1291, le 14 août 1291.
pratiques funéraires de l’Orient latin durant les Croisades
Les fouilles réalisées dans les années 1930 sous la direction de Cedric Norman Johns ont livré les vestiges d’une écurie, d’une église et de bains. L’extension des fouilles à l’extérieur au nord-est de l’enceinte a permis la découverte en 1934 d’un cimetière s’étendant sur une aire de 75 sur 100 m. Dans le contexte de l’Orient latin, l’archéologie s’est plutôt concentrée sur les édifices fortifiés et religieux et plus récemment sur la culture matérielle et les habitats. Les données funéraires connues restent souvent limitées à des découvertes anciennes ou ponctuelles de sépultures (Césarée, Acre, Vadum Jacob, Sidon…). Depuis sa découverte en 1934, le cimetière d’Atlit n’a jamais fait l’objet d’une étude archéologique approfondie, bien que, par son état de conservation exceptionnel, il soit amené à devenir une référence majeure en matière de pratiques funéraires de l’Orient latin durant la période des Croisades. Les modes d’inhumations témoignant de sépultures chrétiennes et les monnaies et la céramique très caractéristique découvertes, datées du XIIIe siècle, confirment la contemporanéité de l’espace funéraire avec le château. La mission archéologique du cimetière d’Atlit a pour objectifs de s’intéresser aux modes d’inhumation et à l’identité des défunts. Il est ainsi possible d’appliquer les méthodes de l’archéothanatologie développées en France dans un contexte qui manque cruellement de références, mais d'autres questionnements méritent d'être approfondis, notamment sur la période d’utilisation du cimetière car si ce site n’a fonctionné réellement que 80 ans, soit la période d’occupation du château, pourquoi renferme-t-il autant de tombes ? Quels ont été les différents groupes culturels en présence ?
Les fouilles du cimetière d’Atlit
Près de 1000 m² du cimetière ont disparu en 80 ans. Chaque année, des tempêtes hivernales impactent durement le cimetière. L’ampleur de ces destructions avait été une raison conduisant à l’urgence de la mise en place de la mission archéologique et à l’exploration du cimetière médiéval avant que le site ne soit trop détérioré. Suite à une première mission d’expertise en 2014 et à l’obtention d’une autorisation de fouilles, des sondages réalisés entre 2015 à 2017 et le projet de quadriennal 2018-2021 ont permis d’approfondir l’étude du cimetière. Un des premiers résultats importants concerne tout d’abord l'évaluation de l’impact des restaurations, principalement dans la partie nord-ouest du cimetière, durant le mandat britannique (1934) qui ont pu fausser l'interprétation de la physionomie du site. Une autre donnée nouvelle se rapporte au nombre des inhumations. Ainsi le décompte de 1700 tombes de C. N. Johns a nettement sous-évalué l’effectif total des inhumés. Les résultats des nouveaux sondages ont mis en évidence un nombre élevé d’inhumations non marquées en surface, de nombreux recoupements de tombes ainsi que la présence de nombreux ossements en position secondaire. S’il n’est pas possible de proposer une estimation précise, ces éléments permettent cependant de supposer un effectif de plusieurs milliers d’inhumations. Au vu de sa taille et de sa durée courte d'utilisation, le cimetière n’a pu uniquement accueillir les défunts du château et de son bourg.
Les nouvelles fouilles du cimetière d'Atlit ont par ailleurs apporté des données inédites sur les modes d’inhumation puisque, jusqu’alors, les observations étaient limitées aux marqueurs des tombes et à des inhumations dégagées rapidement. Toutes les sépultures fouillées au cours des cinq campagnes contiennent un défunt en dépôt primaire. La majorité des tombes fouillées correspond à des fosses fermées par des couvertures en bois, dans lesquelles le corps est directement déposé et, plus rarement, des coffrages en pierre, en bois et des cercueils en bois. Le mobilier en place se limite à une ferrure de bâton de pèlerin et quelques éléments de parure (croix en nacre, épingle en alliage cuivreux, boutons). Des céramiques du XIIIe siècle se retrouvent brisées et incomplètes dans le comblement de plusieurs tombes. Ces vestiges témoigneraient de l’utilisation de vaisselles lors des funérailles et des cérémonies commémoratives. La diversité des pratiques funéraires et la taille du cimetière interrogent ainsi sur l’identité des défunts et sur l’existence de distinctions spatiales au sein de l’espace funéraire.
Organisation du cimetière et populations inhumées
Le cimetière n’a pas été constitué autour d’une église qui aurait pu influencer son organisation interne. Les marqueurs de surface montrent une certaine diversité (dalles monumentales, radiers enduits…) et ne sont pas répartis de façon uniforme dans le cimetière. La comparaison de deux secteurs bien préservés, le premier dans la zone sud-est, présentant une très forte densité de marqueurs funéraires enduits constitués de blocs de pierre, le second dans la zone nord-est, présentant une densité plus faible et renfermant les tombes les plus monumentales, a permis de mettre en évidence quelques singularités.
Le secteur 1 contient une densité très importante d’inhumations qui se
traduit par de nombreux recoupements et des vidanges de sépultures. Il regroupe à la fois des défunts immatures et des adultes des deux sexes. Enfin, la majorité de la céramique médiévale a été découverte dans ce secteur. Le secteur 2, quant à lui, se démarque par une densité d’inhumations moindre et la présence quasiment exclusive de sujets adultes masculins et de jeunes enfants. Cette sélection et la présence de tombes monumentales pourraient traduire l’existence d’une zone funéraire réservée à des sujets
au statut social élevé. La proportion des témoignages de décès liés à des combats est également plus nombreuse dans le secteur 2.
© Slava Pirsky
Dans le contexte du Château-Pèlerin, l’hypothèse d’une zone en partie réservée à des moines soldats pourrait aussi être soutenue. À l’opposé du cimetière, le secteur 1 semble avoir connu une utilisation très intense pour une population qui semble a priori non sélectionnée, employant des céramiques lors des funérailles ou des commémorations, peut-être pour des repas. En cela, elle se rapproche des traditions médiévales observées à Chypre et dans le monde byzantin. Ces gestes posent la question de l’identité des défunts et de leur lien avec les pratiques funéraires. Toutefois, la présence de certains marqueurs de surface de même type dans les deux zones étudiées et l’utilisation, bien que rare, de céramiques dans le secteur 2, tout comme la petitesse des zones fouillées (moins de 1% de la surface du cimetière), invitent à manier ces résultats avec prudence.
Poursuite des travaux de recherche
La dotation du Prix Clio va permettre de poursuivre les travaux en cours et notamment de mieux préciser l’origine et le mode de vie des individus inhumés dans les deux secteurs fouillés qui se distinguent par leurs pratiques funéraires. La comparaison des deux zones explorées pourra ainsi être complétée par des analyses génétiques et isotopiques de la population inhumée. Les données en cours d’étude laissent déjà entrevoir la complexité du recrutement du cimetière. Certains résultats pourraient laisser penser à la présence d’individus originaires d’Europe occidentale, mais aussi du centre de la Méditerranée et d'origine locale. Étant donné cette diversité, des analyses isotopiques permettraient de distinguer des régimes alimentaires différents et d’autre part, de préciser si les défunts enterrés à Atlit sont nés au Proche-Orient (populations locales ou descendants de croisés— « poulains » — ou dans une autre région méditerranéenne ou d’Europe occidentale, dans le cas de pèlerins, croisés ou commerçants). D’autres analyses sont prévues comme des analyses parasitologiques et du contenu des vases et une étude de la composition des enduits et des mortiers utilisés pour les marqueurs de surface.
La suite des opérations de fouilles aura, elle, pour objectif de reprendre l’étude des abords du cimetière (mur de clôture) et les liens avec la route observée en 1934 qui mène au château. Ces différents résultats seront intégrés dans un travail plus large de comparaison avec les rares cimetières connus de l’Orient latin mais aussi de Méditerranée orientale (en premier lieu Chypre et Grèce) et d’Europe occidentale (par exemple, commanderies templières).