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« La romanisation par les fruits »
Responsable de la Cellule Économie Végétale et Environnement (CEVE) à la Direction scientifique et technique de l’Inrap, Manon Cabanis évoque l’apport des études archéobotaniques à la connaissance de l’alimentation des gallo-romains, ainsi que la contribution majeure de l’archéobotanique et de la paléogénétique à une réflexion sur l’agriculture durable dans un contexte de changements climatiques.
Quel est votre métier à l’Inrap ?
Manon Cabanis : Je suis archéobotaniste. C’est-à-dire que j’étudie des restes végétaux issus des contextes archéologiques. J’exerce principalement deux disciplines : la carpologie qui concerne l’étude des graines et des fruits, et l’anthracologie qui concerne l’étude des charbons de bois.
De quelle manière intervenez-vous sur le terrain ?
L’équipe de fouille fait des prélèvements sur le terrain, environ une trentaine de prélèvements de 10 litres par site moyen rural. Ces prélèvements doivent être effectués dans une diversité de contextes — ou unités stratigraphiques —, en fonction des problématiques de l’archéologue et du site. Une fois réalisés les prélèvements, les seaux de 10 litres sont envoyés au centre. Si les restes végétaux sont conservés par carbonisation, l’équipe de fouille fait un tamisage par flottation : les sédiments sont brassés à la main, les restes végétaux flottant à la surface. S’il s’agit d’autres types de conservation, comme la minéralisation ou l’imbibition par l’eau, nous faisons un tamisage par aspersion simple. Une fois tamisés, les macrorestes végétaux arrivent devant ma loupe binoculaire ou bien devant mon microscope s’il s’agit de charbons de bois.
Comment identifiez-vous ces restes végétaux ?
Je les identifie par la méthode d’anatomie comparée qui consiste à comparer des restes végétaux fossiles ou archéologiques à des graines et à des fruits actuels. J’ai constitué ma propre collection de référence à Clermont-Ferrand — une carpothèque et une anthracothèque — et je me sers aussi d’atlas. Le Muséum national d’histoire naturelle a une très belle collection de référence qu’il m’arrive d’aller consulter quand j’ai des problèmes d’identification, mais ma collection de référence me suffit généralement.
Collection de référence de charbons de bois.
© UMR 7209 CNRS – MNHN Paris
Vous avez étudié plusieurs sites antiques à Clermont-Ferrand. Quelles conclusions archéobotaniques avez-vous pu en tirer ?
Avec ma collègue carpologue, Charlotte Hallavant (Hadès), nous avons écrit un article pour l’atlas d’Augustonemetum, la ville antique de Clermont-Ferrand, un projet mené par Hélène Dartevelle du Service régional de l’archéologie (DRAC d’Auvergne). Augustonemetum entre dans le schéma général de l’arrivée des Romains, dans le nord de la Gaule, en Angleterre et partout dans l’Empire. Comme nous intervenons sur la plupart des sites et sur un maillage très serré sur le territoire, nous obtenons un schéma général assez précis de l’alimentation. Nous avons fait une synthèse des restes carpologiques qui ont été trouvés sur neuf sites dans le centre-ville ou dans la proche périphérie de Clermont-Ferrand pour l’époque romaine. Ces sites datent principalement du Haut Empire (Ier-IIe siècle apr. J.-C.). Il s’agit dans la majorité des cas d’occupations urbaines domestiques ou artisanales et de structures se prêtant le mieux à la récupération de carporestes : quelques niveaux incendiés mais surtout des puits dont certains ont été reconvertis en dépotoirs, des latrines, des fosses-dépotoir, des caniveaux, des canalisations, des égouts, ou d’autres types de réceptacles en eau : fossés, tranchées, etc. permettant l’évacuation de déchets ou les recueillant au gré d’activités variées. En l’occurrence, il s’agit surtout de restes végétaux conservés par l’eau : des noyaux et des graines de fruits.
Carré Jaude 2 - extension 2010, Clermont-Ferrand, vue du bâtiment gallo-romain en cours de fouille vers le sud-ouest.
© Loïc de Cargouet, Inrap
Quelles espèces avez-vous mis en évidence ?
Les Romains ont amené la viticulture dans le bassin de Clermont-Ferrand et on trouve donc fréquemment du raisin. La prune, la pêche, la cerise, et les fruits à coque, comme la noix, la noisette, sont également très fréquents. À l’exception de la noisette, la plupart de ces fruits ont été amenés d’Italie par les Romains qui mangeaient beaucoup de fruits. En termes d’acculturation, les élites romaines n’ont pas amené seulement leurs bâtiments, mais aussi leur alimentation. C’est la romanisation par les fruits. Tout se passe aux Ier-IIe siècles apr. J.-C., tout comme aujourd’hui on est passé du cassoulet au hamburger.
Furca de blé vêtu (Triticum sp.), trouvée sur le site néolithique de Trémonteix (Puy-de-Dôme).
© Manon Cabanis, Inrap
Pépin de raisin (Vitis vinifera L.) en vue ventrale et dorsale.
© Bénédicte Pradat, Inrap
Ces espèces étaient-elles cultivées à Augustonementum ?
Quand on trouve un reste végétal, on se pose toujours la question : est-il cultivé sur place ou importé ? La fréquence d’attestations d’un fruit, le nombre de sites où l’on le retrouve, nous permet de dire s’il s’agit ou non d’une culture locale. S’il y en a peu, c’est plutôt une importation. Ainsi, certains ont un nombre très limité d’occurrences et sont très probablement importés de la zone méditerranéenne, comme la pastèque, le melon-concombre, la gourde calebasse et la figue. Avec un char, on met une à deux journées, de Nîmes ou de Montpellier à Clermont-Ferrand. On a trouvé du melon-concombre sous le centre commercial de la place de Jaude, la place principale de la ville de Clermont. La datte, qui provient d’un palmier, pourrait venir d’Afrique.
Liste des 22 fruitiers ordonnés de manière croissante selon le nombre d’apparition sur 11 occupations (OC), rappel du nombre de restes extraits, tous sites confondus (NMI) et précisions sur leur statut.
© Charlotte Hallavant et Manon Cabanis, « Consommation végétale » in Augustonemetum : atlas topographique de Clermont-Ferrand, 2023
Vous avez rejoint le PaleoLab, un laboratoire nouvellement créé à Clermont-Ferrand qui se consacre à l'étude de l'ADN ancien des restes archéobotaniques (paléogénomique).
C’est un laboratoire qui est porté par l’INRAe (l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement) et dont l’Inrap est partenaire au travers d’une convention. Il est possible d’analyser le patrimoine génétique de restes archéobotaniques et de mener en condition confinée les premières étapes du travail de carpologue : tamisage, tri, identification. Dans les centres, aucune précaution n’est prise, sinon nettoyer nos coupelles à l’alcool, alors qu’une analyse ADN requiert les conditions les plus propres possibles. Ce laboratoire est une première en Europe et même dans le monde. Il existe des laboratoires d’ADN fossiles, notamment celui qui a trouvé l’ADN de Neandertal, mais un laboratoire où l’archéobotanique et la carpologie sont prises en considération dès le départ, n’existait pas jusqu’alors.
PaleoLab, 24 mars 2023 (inauguration).
© Sébastien Gaime, Inrap
Et sur quel projet travaillez-vous au sein du PaleoLab ? Pourquoi l’INRAe ?
Ce nouveau laboratoire est adossé au projet ANR sur l’origine et la domestication du blé. L’INRAe travaille principalement sur les céréales, blé, orge, avoine et conserve plusieurs variétés anciennes de blé. Au début de la domestication, il y avait énormément de variétés de blé et l’agriculture a peu changé jusqu’aux années cinquante. On a tellement sélectionné depuis que l’on a perdu cette diversité céréalière. On n’a pas sélectionné des espèces robustes, mais des espèces productives, de sorte qu’il n’y a plus aujourd’hui que trois ou quatre espèces de blé qui sont fragiles, sensibles au changement climatique, alors que les espèces d’avant les années cinquante étaient des espèces robustes. Notre projet est donc intéressant au titre de la conservation des restes, mais aussi de l’adaptation : nous avons des blés anciens, gaulois par exemple, ou des blés romains, ou même des blés plus anciens, néolithiques, et ce sont des variétés qui ont complètement disparu. Si l’on arrive à remettre la main sur l’ADN de ces blés anciens, il est possible d’apporter de la diversité génétique au blé actuel et l’on pourra trouver des éléments de solution pour l’adaptation de ces nouvelles variétés de blé au dérègement climatique, amener notamment plus de robustesse. Nos restes archéobotaniques permettent de comprendre l’origine de la domestication, de donner des marqueurs chronologiques et de rapporter la diversité génétique perdue au cours du temps pour repenser les futurs programmes de sélection dans le contexte d’une agriculture durable.
Jean Cayrol, archéologue à l'Inrap devant des échantillons de restes végétaux au PaleoLab de l'INRAe.
© Sébastien Gaime, Inrap
- Quel est votre métier à l’Inrap ?
- De quelle manière intervenez-vous sur le terrain ?
- Comment identifiez-vous ces restes végétaux ?
- Vous avez étudié plusieurs sites antiques à Clermont-Ferrand. Quelles conclusions archéobotaniques avez-vous pu en tirer ?
- Quelles espèces avez-vous mis en évidence ?
- Ces espèces étaient-elles cultivées à Augustonementum ?
- Vous avez rejoint le PaleoLab, un laboratoire nouvellement créé à Clermont-Ferrand qui se consacre à l'étude de l'ADN ancien des restes archéobotaniques (paléogénomique).
- Et sur quel projet travaillez-vous au sein du PaleoLab ? Pourquoi l’INRAe ?