La Place de la Libération à Troyes a été le cadre d'une fouille archéologique avant la création d'un parking souterrain de 2004 à 2006. Cette recherche et ses multiples approches interdisciplinaires brosse le tableau d'une cité antique émergente, la vie quotidienne d'une population urbaine nouvellement romanisée au tournant de notre ère, en évoquant son statut social, ses coutumes alimentaires, son état sanitaire.

Dernière modification
19 février 2016

Durant la Préhistoire, l'environnement était particulièrement inhospitalier du fait de crues fréquentes puis de la présence de marécages.
Il faut attendre l'époque augustéenne et les années 20 avant notre ère pour que ce milieu soit viabilisé par un réseau de fossés de drainage qui structurent l'espace. Une première implantation se caractérise par des ensembles excavés et un habitat en bois.

Une urbanisation antique progressive au coeur d'un milieu inhospitalier

À partir des années 30 de notre ère, l'urbanisation proprement dite d'Augustobona débute par un assainissement du terrain. Le programme urbanistique, sans doute entamé sous les règnes de Tibère (14-37) puis de Claude (41-54), va connaître son apogée à la période flavienne (vers 60-85).
La cité périclitera vers la fin du IIIe siècle.

Les objets en matériaux périssables : un aspect de la culture romaine

Au cours de la fouille, plus d'une vingtaine de latrines et de puits cuvelés en bois, réutilisés comme dépotoirs, a été mise au jour. Parfaitement conservées grâce à l'humidité permanente du sous-sol, ces fragiles constructions ont livré des déchets alimentaires. La coriandre, l'origan, le raisin font partie d'une alimentation riche importée du monde méditerranéen. Une cinquantaine d'objets en bois a été découverte dans les latrines et les puits : peigne, boîte en buis, fuseau en érable, vannerie d'osier mais surtout tablettes d'épicéa et de sapin.
Un des éléments les plus remarquables est un tonneau gallo-romain d'une capacité 1000 litres. Conservé sur une hauteur de 1,30 m pour un diamètre de près d'1 m, il est formé de 19 douelles (épicéa et sapin) cerclées de lanières en noisetier. Le tonneau a été réutilisé comme cuvelage de puits ce qui a permis sa parfaite conservation. Fabriqué vers 47 de notre ère dans la région lyonnaise, il devait à l'origine mesurer plus de 1,80 m. Il sert au transport d' acetum ? du vin piqué voire du vinaigre ? utilisé pour préparer la posca, boisson des soldats romains faite d'1/10e d'acetum pour 9/10e d'eau.
Pourrait-il à lui seul attester de l'implantation temporaire d'une légion à Troyes, vecteur de romanisation de sous l'empereur Claude (41-54) ?

Les tabulae ceratae de la place de la Libération

Dans le monde romain l'utilisation de tablettes de cire est très répandue pour la correspondance ou les documents officiels. Généralement en buis, ces plaquettes de dix à vingt centimètres de long ont une surface évidée dans laquelle est coulée une mince couche de cire teintée qui permettait d'écrire à l'aide d'un stylet, sur une surface effaçable et renouvelable à l'infini. Communément assemblées, elles étaient au moins doubles. Plusieurs fresques du Ier siècle à Pompéi en illustrent l'usage, mais la conservation de ces objets en bois est extrêmement rare.
Hormis deux éléments en épicéa, tous les autres sont fabriqués en sapin, parfois à partir du même tronc. Ces tablettes sont attribuées à la seconde moitié du Ier siècle et deux d'entre elles, par dendrochronologie, sont datées précisément des années 50 et 51 de notre ère.
Certaines faces portent des incisions dans le bois évoquant des lignes d'écriture, en cours d'étude par les épigraphistes. Au dos de certaines tablettes, des graffitis pourraient indiquer le contenu ou les auteurs du document.
Les 26 pièces de Troyes constituent un corpus unique en France qui évoque les trouvailles du fortin romain de Vindolanda, en Écosse.
Archéologue responsable d'opération : Philippe Kuchler, Inrap
Contrôle scientifique : Service régional de l'archéologie (Drac Champagne-Ardenne)
Aménageur : Ville de Troyes