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Intaranum - Échos d'une ville romaine
Prolongée jusqu'au 15 novembre 2020, l'exposition « Intaranum - Échos d'une ville romaine », présentée au musée de Clamecy et réalisée en partenariat avec l’Inrap, met en scène le patrimoine archéologique d'Entrain-sur-Nohain (Nièvre), l'ancienne cité éduenne. Au programme de la visite, un abondant mobilier lapidaire, une reconstitution patiente d'enduits peints et du remarquable plafond en stuc découvert par l'Inrap en 2014.
Située à une vingtaine de kilomètres de Clamecy, au nord du département de la Nièvre, la commune d’Entrains-sur-Nohain était une localité assez importante quand elle s’appelait Intaranum, aux premiers siècles de notre ère. Aux marges des territoires (civitas) des Sénons, des Bituriges et des Éduens, elle est alors au carrefour des voies reliant Bourges/Avaricum (sud-ouest), Orléans/Cenabum (nord-ouest), Auxerre/Autessiodurum et Sens/Agedincum (nord-est) et, enfin, Autun/Augustodunum (sud-est), sa capitale politique et administrative. Par cette dernière, elle se voyait ainsi rattachée aux Éduens, l’un des plus puissants peuples de la Gaule, allié de longue date des Romains.
L'agglomération antique d'Intaranum
À partir du XIXe siècle, le passé antique d’Entrains-sur-Nohain se révèle peu à peu par la découverte de monnaies, de statues et de stèles qui suscitent l’intérêt des érudits locaux et vont enrichir le musée de Clamecy, créé en 1876. Les premières fouilles archéologiques sont tardives (1966, 1982) et ce sont celles menées par l’Inrap de 2008 à 2015, préalablement à des travaux de lotissement, qui permettent pour la première fois d’appréhender un quartier antique d’Intaranum dans sa globalité. Situé au nord du bourg actuel, ce quartier se déploie le long de la voie romaine qui conduit vers le nord en direction d’Auxerre, l’un des deux principaux axes de l’agglomération antique. Le second axe, perpendiculaire au premier, correspond à l’actuelle rue d’Orléans. Le croisement de ces deux voies marquait vraisemblablement le centre de la ville gallo-romaine, situé sous le coeur du bourg actuel.
Localisation des vestiges d’époque romaine connus dans le bourg d’Entrains-sur-Nohain
Ville de Clamecy, Inrap
Les recherches récentes nous éclairent sur la chronologie de l’agglomération. Probablement d’origine gauloise, Intaranum ne prend son essor qu’à partir des premières décennies du Ier siècle de notre ère, avec l’installation d’artisans forgerons dans des maisons de terre et de bois. Au milieu du IIe siècle, les forges disparaissent au profit de bâtiments à fonction résidentielle et commerciale édifiés, cette fois, en pierre. D’abord modestes et standardisées, certaines de ces maisons se sont agrandies et embellies au fil de l’enrichissement de leurs propriétaires, qui les ont dotées de peintures murales imitant le marbre, d’installations balnéaires et parfois de jardins à péristyle agrémentés d’arbustes taillés, de bassins et de statues. L’agglomération couvrait alors 70 hectares (à la même époque, Auxerre s’étend sur environ 40 hectares), mais, à la fin du IIIe siècle et au début du IVe siècle, Intaranum subit une phase de déclin : les bâtiments publics sont abandonnés, l’habitat se rétracte pour n’occuper plus que le coeur de l’agglomération.
Archéologie du décor
L’exposition du musée de Clamecy, réalisée en partenariat avec l’Inrap, invite à découvrir le patrimoine archéologique d'Entrain-sur-Nohain dans une scénographie qui restitue la voie romaine et le quartier fouillés. Le visiteur peut ainsi passer de la forge à la taverne, repasser par la rue et découvrir les différents espaces qui composaient ces riches demeures bâties en pierre au IIe siècle : thermes, cave, jardin d'agrément, mais surtout intérieurs luxueusement décorés. Des murs étaient couverts de fresques dont on a retrouvé des milliers de fragments d'enduits colorés. Armé de patience, le toichographologue (spécialiste des enduits peints et stucs) a ainsi pu proposer la restitution de modèles bien connus en Gaule romaine aux IIe et IIIe siècles (imitation d'opus sextile, grandes scènes figurées ou « mégalographies » à sujet mythologique, ...), mais aussi des graffitis et un remarquable abécédaire grec.
Vue de l'exposition: reconstitutions d'intérieurs
Frédéric Beauclair (scénographe)
L’exceptionnel plafond en stuc, datant de la fin du IIe siècle ou du IIIe siècle, dont les fragments ont été découverts par l'Inrap en 2014 dans un ancien foyer d'hypocauste, fait également l'objet d'une restitution. Son bon état de conservation (il s'agit du plus complet de cette époque, retrouvé en France) a permis au toïchographologue de recomposer le décor, géométrique, dans sa globalité.
En avant de cette pièce chauffée par le sol, le foyer a été comblé par des milliers de fragments d’un décor stuc détruit dès l’Antiquité.
© Julien Boislève, Inrap
Un visage apparaît au milieu de la gangue de terre.
© Antoine Morfaux, Inrap
Détail d’un visage joufflu cerné de feuillages.
© Philippe Gerbet, Inrap
Détail d’un petit masque qui ornait un plafond stuqué.
© Philippe Gerbet, Inrap
Le toichographologue assemble les fragments pour recomposer le décor et en identifier la nature.
© Philippe Gerbet, Inrap
Fleuron à quatre pétales ornant le centre d’un caisson du plafond.
© Julien Boislève, Inrap
Un réseau d’octogones et de carrés, qui sont rehaussés de bandes peintes rouges ou bleues et agrémentés de nombreux motifs (personnages, feuillages, fleurons, oiseaux, grappes de raisin), encadre un large médaillon central circulaire. Imitant les caissons de pierre des édifices monumentaux (comme les voûtes d’un arc de triomphe), cette luxueuse réalisation appartenait à un habitat de haut standing, si ce n’est un bâtiment public. La complexité de la trame géométrique, qui a nécessité de nombreux tracés préparatoires, et la mise en oeuvre du stuc selon le modelage à la main et l’utilisation de gabarit supposent une grande maîtrise de la part des artisans.
Restitution d’un plafond en stuc, décor en caisson.
Ville de Clamecy
Un important mobilier lapidaire
Dans cet espace sont également exposées plusieurs sculptures de divinités découvertes dans les vestiges des maisons d’Entrains, parmi les centaines découvertes sur la commune depuis le XIXe siècle (dont la célèbre sculpture monumentale d’Apollon, conservée
au Musée des Antiquités nationales).
Taillées dans la pierre des carrières entourant la localité, ces oeuvres standardisées répondent à la demande des particuliers pour leur culte domestique. Elles représentent pour la plupart des divinités familiales, dieux et déesses assis, seuls ou en couple (« couples
éduens »). Leur style de représentation s’inspire des modèles gréco-romains classiques mais avec une forte interprétation locale, visible dans le traitement des coiffures bouffantes, des vêtements masculins ou encore des mains disproportionnées. Si aucun atelier de sculpteur n’a clairement été identifié sur le terrain, l’analyse stylistique des oeuvres permet de reconnaître au moins une douzaine d’artisans actifs à Intaranum entre la fin du Ier siècle et le début du IVe siècle. Le traitement du visage, des drapés, des mains ou des chevelures passent pour de véritables signatures.
Vue de l'exposition : "intérieurs"
Frédéric Beauclair (scénographe)
Frédéric Beauclair (scénographe)
Vue de l'exposition : "côté jardin".
Frédéric Beauclair (scénographe)
Commissariat général : Pierre-Antoine Jacquin, responsable du musée de Clamecy
Commissariat scientifique : Stéphane Venault, responsable de recherche archéologique – Inrap (UMR 6249 Chrono-Environnement) ; Violaine Bresson, conservatrice du patrimoine, chargée des collections -Service régional de l'archéologie (DRAC Bourgogne - Franche-Comté)
Comité scientifique : Marion Berranger, archéométallurgiste - CNRS - « Métallurgies et Cultures » (UMR 5060 UTBM - CNRS - IRAMAT) ; Julien Boislève, toïchographologue – Inrap ;
Luisella Cabboï, archéométallurgiste – Inrap ; David Cambou, archéozoologue – Inrap ;
Pierre-Antoine Lamy, spécialiste de sculpture gallo-romaine, chercheur associé (UMR 6298 – UBFC – CNRS – MC) ; Sylvie Mouton-Venault, céramologue – Inrap ; Ghislain Vincent, responsable de recherche archéologique, Inrap ; Nicolas Tisserand, responsable de recherche archéologique, spécialiste du mobilier Instrumentum ; Julian Wiethold, Archéobotaniste, Inrap
Gestion du mobilier archéologique : Emmanuel Laborier, gestionnaire de collections - Inrap ; Violaine Bresson, conservatrice du patrimoine, chargée des collections -Service régional de l'archéologie (DRAC Bourgogne - Franche-Comté)