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Des Gaulois inhumés assis rue Turgot à Dijon (Côte-d'Or)
Une équipe de l’Inrap vient de mettre au jour des sépultures gauloises atypiques - une série de défunts enterrés assis - lors de la fouille liée à la restructuration du groupe scolaire Joséphine Baker à Dijon. Menée sur prescription de l’État (Direction régionale des affaires culturelle Bourgogne-Franche-Comté), entre octobre et décembre 2024, sur une superficie d’environ 1000 m², cette opération a également livré une nécropole d’immatures datant de la période gallo-romaine et des vestiges allant, de façon discontinue, jusqu'à la période contemporaine.
Un site à vocation funéraire remplacé par une occupation agricole
L'opération se situe à l’extrémité sud de l’ancien jardin du couvent des Cordeliers, actuellement limité par la rue de Tivoli, qui marque le tracé de l’ancien rempart datant de la période moderne. À moins d’une centaine de mètres au nord de la fouille, deux opérations archéologiques menées au préalable à la construction du parking Sainte Anne et de la résidence Fyot, durant les années 1990, ont permis de mettre notamment en évidence la présence d’occupations datées de la fin de la période gauloise et de l’Antiquité.
Les principales occupations mises au jour au cours de cette nouvelle opération concernent en premier lieu des sépultures individuelles de défunts inhumés en position assise remontant vraisemblablement au second âge du Fer. Le site a également livré une nécropole gallo-romaine datée du Ier siècle de notre ère, consacrée à l’inhumation d’une vingtaine d’enfants décédés vraisemblablement avant un an est installée dans une large partie de l’espace exploré. Ses limites ne sont pas clairement définies, l’installation de fosses de plantation, de fossés et la réalisation, pendant la période moderne, de travaux agricoles ayant effacé plusieurs tombes.

Vue générale d’une partie de la fouille après le second décapage.
© Christophe Fouquin, Inrap
Des inhumations atypiques gauloises
Les niveaux les plus anciens de la parcelle, datés vraisemblablement du second âge du Fer, ont livré une série de 13 sépultures. Ces fosses circulaires d’environ un mètre de diamètre, régulièrement espacées les unes par rapport aux autres, forment une bande rectiligne de 25 m de longueur, orientée sud-nord. Ces structures sont globalement bien préservées malgré une érosion importante qui a provoqué le déplacement voire la destruction des os les moins enfouis.
Les défunts sont des sujets adultes déposés selon une modalité identique, assis sur le fond de la fosse, le dos en appui contre la paroi orientale de la fosse, le regard vers l’ouest. Leurs bras reposent le long du buste, les mains posées à proximité du bassin ou des fémurs. Leurs jambes sont très fléchies, souvent de façon asymétrique. À l’exception d’un brassard en roche noire (daté entre 300 et 200 avant notre ère), aucun mobilier personnel ou de parure n’est associé aux dépouilles. Sa datation permet de rattacher l’occupation à l’époque gauloise.

Inhumation d’un individu assis avec stigmates d’une blessure au crâne et portant un bracelet en roche noire.
© Hervé Laganier, Inrap

Sépulture d’un individu assis en cours de démontage.
© Hervé Laganier, Inrap

Inhumation d’un individu assis, détail de l’affaissement du haut du corps.
© Christophe Fouquin, Inrap
Dans les années 1990, la fouille, proche, du quartier Sainte-Anne avait livré deux sépultures de ce type. Cette proximité impliquerait une même occupation se déployant à partir de la parcelle de la rue Turgot en direction du nord, où a été reconnu un espace (daté entre la fin de la période gauloise et le début du Ier siècle de notre ère) structuré par la construction d’un imposant fossé défensif et d’un axe de circulation bordé par une zone dédiée à l’ensevelissement d’animaux. Cet ensemble comporte le dépôt de squelettes entiers de chiens, moutons et porcs, pratique qui pourrait révéler la présence d’un lieu de culte de la fin de l’époque gauloise.

Vue générale d’une partie de la fouille après le second décapage.
© Christophe Fouquin, Inrap
Quelques pistes d’interprétation
Cette découverte de la rue Turgot est particulièrement remarquable par le nombre d’inhumations mises au jour et le bon état de conservation des squelettes. Des exemples de défunts déposés en position assise sont avérés à partir du Mésolithique et bien que rares durant toute la Protohistoire.

Fouille en cours de deux sépultures d’individus assis.
© Christophe Fouquin, Inrap
À l’issue de la fouille il est trop tôt pour tirer des conclusions sur l’occupation funéraire de la rue Turgot. Mais les caractéristiques communes à l’ensemble des tombes et l’uniformité des gestes funéraires évoquent des occupations similaires qui couvrent la totalité de la période de La Tène (environ entre 450 et 25 avant notre ère). Une douzaine de sites archéologiques seulement livrent une cinquantaine de défunts « assis » dont les fosses sont placées à proximité d’habitats aristocratiques voire de sanctuaires ou de lieux de culte, à l’écart des nécropoles.
Neuf de ces sites sont répertoriés en France, répandus dans la moitié nord de la Gaule, trois autres en Suisse. Malgré l’éloignement de ces sites, des concordances se répètent : ces structures sépulcrales sont installées en limite des occupations ; les individus concernés sont des adultes dont le sexe, lorsqu’il est déterminé, est masculin. De plus l’uniformité des positions (une même orientation, la disposition soignée du cadavre) rappellent les figurations en pierre ou en métal de personnages accroupis voire assis en tailleur datées entre La Tène finale et le Haut-Empire ; ces inhumations évoquent une pratique vraisemblablement destinée à des sujets particuliers.
La spécificité du traitement funéraire réservé à un nombre limité d’individus dont les corps reposent dans une attitude codifiée porte à s’interroger sur leur statut : s’agit-il de membres issus de familles dominantes, de guerriers, d’ancêtres, d’individus liés à la sphère politique ou religieuse ?

Sépultures de deux individus assis.
© Hervé Laganier, Inrap
Une nécropole d’immatures datant de la période gallo-romaine
Distinct de cette première occupation, un espace funéraire daté de la période gallo-romaine s'installe au Ier siècle de notre ère. Cette nécropole, mise en évidence principalement dans la partie ouest de l’emprise, a livré 22 sépultures d’individus âgés de moins d’un an au moment de leur décès. L’absence de sujets plus âgés semble indiquer qu’il s’agit d’un espace dédié à l’inhumation de très jeunes enfants. Ces sépultures mettent en œuvre des pratiques funéraires courantes pour cette période, les individus étant disposés allongés sur le dos ou sur le côté.
Des coffrages en pierre, ainsi que des clous attestant la présence de cercueils en bois, aujourd’hui disparus, ont été mis en évidence au cours de la fouille de plusieurs des sépultures. Ces inhumations sont également parfois accompagnées d’offrandes, sous la forme de monnaies ou de céramiques déposées dans le creusement de la fosse sépulcrale.

Coffrage en pierre d’une sépulture d’immature, avant sa fouille.
© Astrid Couilloud, Inrap

Dépôts de céramiques dans la tombe d’un individu immature.
© Astrid Couilloud, Inrap

Tombe d’un individu immature avec coffrage en pierre, en cours de fouille.
© Astrid Couilloud, Inrap
Les tombes sont rassemblées en petits groupes marquant des alignements. Une partie de cet ensemble funéraire a été perturbée au cours de périodes plus récentes. En effet, les niveaux archéologiques dans lesquels elles viennent s’installer ont été partiellement oblitérés par les labours et le creusement de fosses d’époque moderne.

Alignement de fosses sépulcrales en cours de fouille.
© Astrid Couilloud, Inrap
Des fosses de plantation antiques ?
Dans la partie est de l’emprise, une série de fosses de plantation a été mise au jour durant la fouille. Les structures présentent un plan quadrangulaire et sont disposées en rangs parallèles espacés régulièrement. Les alignements de ces fosses suivent une orientation d’axe nord-ouest/sud-est. De façon systématique, ces structures d’une longueur moyenne d’1,5 m présentent des excroissances linéaires en V à l’une des extrémités du creusement initial qui se répètent régulièrement sur une même ligne. Ces surcreusements réguliers laissent deviner un aménagement voulu dès l’origine du creusement. Les éléments de céramique retrouvés dans le comblement de ces fosses pourraient être attribués à la période gallo-romaine. Néanmoins une étude plus approfondie permettra de préciser ces datations, ce mobilier résiduel pouvant provenir de niveaux plus anciens perturbés lors du creusement des fosses.
Une partie de ces structures vient s’insérer dans l’espace de la nécropole d’immatures, ce qui tend à confirmer que ces deux occupations ne sont pas contemporaines l’une de l’autre. Les fosses de plantation semblent marquer une mutation de cet espace, à la suite de l’abandon de la zone funéraire, vers des pratiques agraires, possiblement viticoles, vu leur ressemblance avec celles mises en évidence en 2008 à Gevrey-Chambertin (« Au-Dessus-de-Bergis ») et qui avaient été attribuées à d’anciennes pratiques viticoles.

Fosse de plantation en cours de relevé.
© Christophe Fouquin, Inrap

Rangées de fosses de plantation.
© Stéphanie Forel-Boeckler, Inrap
Des vestiges d’époques moderne et contemporaine
Ces différentes occupations sont scellées par d’importants niveaux de terres de jardin conservés sur une épaisseur d’environ 1,4 m et datés de la période moderne. Ils correspondent aux anciens niveaux de jardin du couvent des Cordeliers. Dans l’extrémité ouest de l’emprise, un niveau de circulation associé à ces espaces a été mis en évidence. Il vient s’installer sur une couche d’assainissement constituée par un épandage de rejets datant des XVIe-XVIIe siècles. Dans ces niveaux, de nombreux fragments de crânes de bovidés ont été mis au jour ; ils semblent marquer la présence d’activités de boucherie à proximité qui pourraient être spécialisées dans la préparation des « palais de bœufs ».

Vue générale des maçonneries contemporaines en bordure de l’actuelle rue de Tivoli. Présence d’un puits perdu et de son dalot associé au premier plan.
© Pauline Roussey, Inrap

Vue intérieure du puits perdu et de sa voûte.
© Clarisse Couderc, Inrap
Au cours de la période contemporaine, ces niveaux de terres de jardin sont en partie perturbés, au sud, par l’installation de bâtiments qui s’appuyaient probablement contre le mur de promenade du rempart moderne. Seuls quelques vestiges de ces constructions contemporaines ont été mis au jour, ces bâtiments ayant été démolis à la fin du XIXe siècle lors de la construction de l’école Turgot en 1877.
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (Direction régionale des affaires culturelle Bourgogne-Franche-Comté)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable scientifique : Hervé Laganier, Inrap
Responsable de secteur : Pauline Roussey, Inrap
Archéo-anthropologue : Annamaria Latron