Dans la ville antique de Tullum (Toul), l'Inrap a mis en évidence des éléments d'un édifice monumental dont un imposant bloc de calcaire sculpté au décor impérial caractéristique des grandes architectures monumentales urbaines. Premier élément architectural de ce type mis au jour dans la ville, ce bloc pourrait confirmer l’importance de cette dernière et préciser le moment où elle succède à la ville de Nasium (Meuse) en tant que chef-lieu de cité des Leuci.

Dernière modification
19 juillet 2024

Le SRA de Lorraine a prescrit une opération de suivi de travaux courant 2023, concernant un projet d’installation d’un réseau de chaleur dans le centre ancien de la ville de Toul. L’opération consiste à suivre l’ouverture de plusieurs portions de tranchées d’installation du futur réseau de chauffage urbain, sur une longueur totale d’environ 2 km, de mars à novembre 2024.

Tullum-Toul

La ville antique, médiévale et moderne de Tullum-Toul s’est développée à la confluence de la Moselle et du ruisseau de l’Ingressin, au pied des côtes de Moselle. Elle est située au carrefour de voies romaines (dont la Via Agrippa), de chemins anciens et de ponts enjambant la Moselle. Elle a prospéré dès l’Antiquité, devenant le chef-lieu de cité des Leuci. Siège d’un évêché érigé au IVe siècle et d’un vaste diocèse reprenant l’ancien Pagus Tullensis, Toul est associée aux Trois-Évêchés lorrains Verdun et Metz dès le milieu du XVIe siècle, rattachés au royaume de France.

En tant que place stratégique militaire au centre de la Lorraine, elle a fait l’objet au cours de son histoire de plusieurs programmes défensifs : castrum antique repris partiellement durant le Moyen Âge et fortification de la ville médiévale incluant les faubourgs (dernier état connu XVe siècle). Sa grande place forte est édifiée sous Vauban à partir de 1700 et durant le premier quart du XVIIIe siècle, avant d'être de nouveau renforcée au cours du XIXe siècle.

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Plan des fortifications de Toul.

© Inrap

Plusieurs éléments architecturaux et vestiges de fortifications ont déjà été mis au jour, après trois mois de chantier. Mi-avril, deux blocs lapidaires d’époque gallo-romaine ont été  découverts sur et à proximité d’un vestige de muraille épaisse de 2,2 m environ. Celle-ci pourrait faire partie du tracé défensif du castrum antique de la ville, sur son flanc oriental. Un des blocs en appareil monumental comporte une décoration remarquable qui peut fournir des éléments de datation.

Un fragment d’entablement de corniche modillonnaire de style corinthien

Suite à la découverte  probable du mur antique à 2,5 m de profondeur, constitué d’un appareil en petits moellons jointoyés, associé à un gros bloc de type antique en remploi dans sa maçonnerie, plusieurs indices architecturaux d’époque romaine ont été mis au jour dans le secteur du n°25 de la rue Drouas. Un premier muret ou pilier maçonné « à la romaine » a été découvert non loin du mur défensif antique. À environ 6-7 m de ce mur gallo-romain, un bloc lapidaire sculpté enfoui à 1,5 m de profondeur dans un niveau de remblai terreux  a pu être extrait sans dommage, pour un premier nettoyage in situ.

Le bloc en calcaire blanc coquillier, probablement extrait des côtes de Moselle, correspond à un gros fragment d’entablement modillonnaire, ayant appartenu à un édifice monumental. Il est brisé aux deux extrémités mais conserve toute l’amplitude de sa hauteur originelle sur sa façade décorative. Il atteint 1,2 m de long, 1 m de profondeur et 0,52 m de haut. Il était plus long à l’origine (peut-être plus de 2 m) et comporte sur son lit de pose une mortaise carrée d’emboîtement. Le bloc pèse plus de 400 kg. Il a certainement été brisé partiellement lors de son démontage, pour être ensuite remployé en tant que bloc de construction mis en œuvre dans le mur proche du probable castrum.

Répertoire décoratif

Le bloc de calcaire présente un décor de type corinthien classique développé au cours des Ier et IIe siècles à Rome et dans tout l’Empire, avec un décor végétal très couvrant, sans vide.
On peut distinguer deux métopes décorées de forme rectangulaire entre deux modillons conservés, dont un probable bouclier (pelta ?) et une tête de Gaulois de type « tête d’indien au bandeau » qui reprend le profil typique de l’avers d’un potin leuque (monnaie régionale du Ier siècle avant. J.-C.).
Cette tête de gaulois mort, de profil, coupée au cou, à l’œil creux, repose sur un glaive romain bien identifiable. Cette image apparaît comme un symbole très explicite de la victoire des Romains sur les peuples gaulois. La frise supérieure est ornée de rais-de-cœur en ciseau stylisés, celle inférieure d’une file de feuillage.

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Tête de Gaulois déposée sur un glaive romain.

© Inrap



Les deux modillons encore conservés représentent des décors végétaux de type acanthe ainsi qu’un masque de personnage feuillu aux traits grossiers. On peut distinguer également un fleuron et une feuille de vigne dans le remplissage intermédiaire.
Les comparaisons pertinentes de ce type d’entablement de corniches ornées appartenant à de grandes constructions en grand appareil, se retrouvent presque à l'identique dans des grands sites antiques gaulois, comme ceux de Bavay et d'Autun (pour les plus proches stylistiquement), mais également de Grand, Reims et Langres. Elles proviennent toutes d’édifices publics monumentaux.

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Face sculptée du bloc.

© Inrap

Comparaisons architecturales

Ces éléments décoratifs, comme les deux frises inférieures et supérieures, se retrouvent sur un pilier d’un grand mausolée mis au jour dans la nécropole de Neumagen, au nord de Trèves (tombeau-pilier n° 8) ou encore à Autun chez les Éduens (enceinte des Marchaux, Musée Rolin). Les proportions de ce bloc et les modules des modillons, des frises et métopes sont plutôt à rapprocher des gabarits de grands édifices monumentaux urbains, comme la « porte d’Arroux » à Autun, « l’arc romain » de Langres. Mais ce type de décor imposant et ostentatoire peut aussi se retrouver sur les façades de théâtres, temples, grands édifices édilitaires ou arcs de triomphe, élevés sous les règnes de Domitien, Trajan ou Hadrien et encore ceux des Antonins durant la seconde moitié du IIe siècle, dans les villes gallo-romaines. Ces constructions sont caractéristiques du développement de l'urbanisme lors de la Pax Romana. Des éléments d’une porte à Bayeux sont également comparables pour l’époque sévérienne.

C’est apparemment le premier élément architectural de ce type mis au jour à Toul, d’où l’intérêt de sa découverte pour le patrimoine monumental local. Le bloc a été enlevé pour conservation et étude et mis en dépôt temporaire à la base de l’Inrap à Metz. Nul doute que cette pierre emblématique du passé antique toulois sera à l’avenir présentée au musée de Toul, actuellement en rénovation.

 

Le transfert du chef-lieu de la cité des Leuques de Nasium vers Tullum

On sait, grâce à un document épigraphique, que Tullum n'est pas le chef-lieu primitif de la cité des Leuques ;  ce statut revient à la ville de Nasium dans la Meuse, jusqu'au règne d'Hadrien au moins. Toul est néanmoins mentionnée comme chef-lieu de cité dans la Notice des Gaules, datée de la fin du IVe siècle. Elle a donc obtenu ce statut à une date inconnue entre la première moitié du IIe siècle et la fin du IVe siècle. S'il s'avérait que ce bloc appartient à un édifice public caractéristique de la parure d'un chef-lieu de cité, tel qu'une porte monumentale par exemple, sa datation stylistique pourrait permettre
d'affiner la datation du transfert du chef-lieu depuis Nasium vers Tullum.

Cette découverte confirme l’importance de Tullum en tant que chef-lieu de cité des Leuci et témoigne de son développement urbain probable durant le IIe siècle après J.-C.
Cette opération de suivi de travaux permet d’y effectuer des découvertes inédites et des observations concernant la topographie urbaine de cette ville fortifiée, antique, médiévale et moderne, utiles à la restitution de son évolution historique.

Aménageur : Mairie de Toul, Engie solutions
Contrôle scientifique : Service régional de l’archéologie (Drac Grand Est)
Recherche archéologique : Inrap
Responsable de recherche archéologique : Jean-Denis Laffite