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Pour une archéologie du sentiment : la prise en charge des vulnérables
Pour découvrir l’archéologie d’aujourd’hui, ses sciences connexes, mais aussi approcher et décrypter ce que la discipline recouvre de concepts, de modèles, Carbone 14, le magazine de l'archéologie, retrace les avancées de la recherche française et internationale et parcourt terrains, chantiers et laboratoires. Une émission à écouter chaque samedi, de 19 h 30 à 20 h sur France Culture et à réécouter sur Inrap.fr.
Avec Valérie Delattre, archéo-anthropologue à l'Inrap et chercheuse titulaire au laboratoire ArTeHiS (Archéologie, Terre, Histoire, Sociétés) de l'Université de Bourgogne.
Quels furent les comportements des sociétés passées face au handicap et à la vulnérabilité des plus faibles ? Auraient-elles été plus altruistes que les nôtres ?
Une nouvelle découverte au cœur de la grotte de Cova Negra
La Cova Negra, vaste grotte dans la province de Valence (Espagne) vient de révéler le premier cas de trisomie 21 sur un enfant néandertalien (syndrome de Down). Daté entre 273 et 146 000 ans avant notre ère, ce jeune individu, âgé de 5 ans, et désormais dénommé « Tina » souffrait aussi d’une pathologie congénitale, la dilatation d’un canal de l’oreille interne entraînant sa surdité et de puissants vertiges. Cette toute nouvelle découverte a été réalisée grâce au progrès de l’imagerie médicale, notamment la tomodensitométrie 3D. Parallèlement, il semble que « Tina » ait été en grande difficulté pour communiquer, et n’aurait pu téter sa mère. Elle aurait donc été prise en charge dès le plus jeune âge par ses proches et sa communauté.
Tina n’est pas le premier cas d’handicap, puisque, toujours en Espagne, deux anténéandertaliens, datés de 430 000 ans et provenant de la grotte Atapuerca en étaient atteints : un homme de 45 ans souffrant du syndrome de Baastrup (une arthropathie touchant les vertèbres lombaires) et une petite fille souffrant de plagiocéphalie et donc d’un retard cognitif.
Préhistoire et altruisme, jusque dans la mort…
Ces découvertes sont d’importance, puisqu’elles révèlent une part des comportements des communautés néandertaliennes, susceptibles de fournir de l’aide, voire prendre en charge un individu incapable de leur rendre la pareille.
La grotte de Qafzeh, en Israël, a mis en évidence des communautés de Sapiens datées de plus de 100 000 ans, mais aussi parmi les toutes premières sépultures de l’Humanité. Hors, un jeune individu de 12 à 13 ans (Qafzeh 11) a été inhumé avec une ramure de cerf, première offrande attestée durant le Paléolithique et témoignant de son éventuel statut. L’individu Qafzeh 10 souffrait d’hydrocéphalie et fut accompagné dans l’au-delà par un adulte valide.
Bien d’autres cas existent : le Néandertalien de Shanidar (Irak), les Sapiens de Brno, en République tchèque, et dans la grotte Tachtit, en Israël. Ainsi, des individus invalides ou infirmes, enfants ou vieillards, parfois dans l’incapacité de subvenir à leur besoin, n’ont subi aucune relégation et par la même d’exclusion, mais ont été l’objet de compassion de la part de leur groupe, et ces individus affectés du handicap et d'infirmités étaient même réellement valorisés au sein de leur communauté.
Si ces individus particulièrement faibles ont été l’objet de générosité et de solidarité, voire de philanthropie et d’humanisme, il n’en a pas été de même dans des sociétés plus récentes. L’Empire romain et son marché aux montres, le moyen-âge où le handicap ne peut être qu’une punition liée au péché. L’Allemagne nazie en sera, par ailleurs, et dès 1925, le paroxysme.
Soigner, réparer
La première attestation de la médecine remonte à environ 30 000 ans, en Indonésie et au travers d’une amputation. Dès le Néolithique, il y a environ 5 à 6 mille ans, la trépanation devient courante dans de nombreuses contrées du globe et notamment en Europe, où a eu lieu une première opération de neurochirurgie préhistorique, dont nombres de patients survivent. Viendra alors la naissance des prothèses, le fameux orteil du Caire vieux de plus de 3 000 ans, par exemple. Une gauloise du IIIe siècle avant notre ère de la nécropole de Bobigny a, quant à elle, été inhumée avec un appareillage unique, tige de métal réalisée « sur mesure » par un forgeron celte, afin de pallier les souffrances de sa spondylarthrite ankylosante. Partie intégrante d’elle-même, son appareillage l’accompagna jusque dans la mort.
Ce que propose Valérie Delattre, c’est la lecture des comportements humains face à la vulnérabilité : « Une archéologie du geste dont l’ambition est d’être une archéologie du sentiment » (Jean Leclerc).
À lire et à écouter aussi : Archéologie du handicap
Pour aller plus loin
- Valérie Delattre, présentation et publications sur Linkedin, Radio France, Cairn.info, Babelio, Hypothèses.
- Article, Valérie Delattre, archéologue des corps différents (Le Monde, Pierre Barthélémy, 22 février 2020) - article complet réservé aux abonnés.
- A lire aussi, un article, Un petit néandertalien, témoin du soin social pendant la préhistoire (Le Monde, Hervé Morin, 10 juillet 2024) - article complet réservé aux abonnés.
- Sur le même sujet, un article (en anglais), The child who lived : down syndrome among Neanderthals ? (Science Advances, juin 2024).
- Actualités de Défis de Civilisation sur l'archéologie, le handicap et le care (éditions CAP SAAA).
Bibliographie choisie
- Prothèses dirigé par Valérie Delattre et Ryadh Sallem (éditions CAP SAAA).
- Il était une fois la différence, les archéologues racontent le handicap, par Valérie Delattre et Vincent Bergier (illustrations) (Editions Actes Sud, 2020).
- Handicap : quand l’archéologie nous éclaire, par Valérie Delattre (éditions Le Pommier, en partenariat avec l’Inrap et la Cité des sciences et de l’industrie, 2018).