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On a ouvert les sarcophages de Notre-Dame !
Pour découvrir l’archéologie d’aujourd’hui, ses sciences connexes, mais aussi approcher et décrypter ce que la discipline recouvre de concepts, de modèles, Carbone 14, le magazine de l'archéologie, retrace les avancées de la recherche française et internationale et parcourt terrains, chantiers et laboratoires. Une émission à écouter chaque samedi, de 19 h 30 à 20 h sur France Culture et à réécouter sur Inrap.fr.
Avec Eric Crubézy, paléoanthropologue biologique, Professeur d’anthropobiologie à l’Université Toulouse III, directeur du laboratoire « Anthropologie moléculaire et imagerie de synthèse », et membre de l’Institut universitaire de France et Christophe Besnier, archéologue à l’Inrap, coordinateur de la fouille du transept de Notre-Dame de Paris.
Les archéologues de l’Inrap ont exhumé deux sarcophages en plomb à la croisée du transept de Notre-Dame de Paris. Relativement bien conservés, ceux-ci ont été acheminés au CHU de Toulouse, afin d’être ouverts, puis fouillés avant d’entreprendre une série d’analyses.
Des découvertes d’exception !
C’est sans conteste la découverte qui, en 2022, a passionné les Français, celle à la croisée de l’histoire, la grande histoire... Il faut dire que l’incendie de Notre-Dame de Paris avait suscité effarement, que les travaux de reconstruction avançaient à marche toute militaire, surtout que rien, absolument rien, ne prédisait que les archéologues puissent avoir l’opportunité de fouiller dans le saint des saints… Les résultats sont là : les découvertes sont à la hauteur de la grande cathédrale, non pas des pierres mais des sculptures – du jubé médiéval, non pas des tombes mais des sarcophages…
Fouille du transept de Notre-Dame (printemps 2022) et découverte de deux sarcophages
- © Denis Gliksman / Inrap
Dépoussiérage des deux sarcophages
- © Denis Gliksman / Inrap
Dans le premier sarcophage, un riche prélat, Antoine de la Porte (1627-1710)
Une fois n’est pas coutume, c’est l’archéologie qui nous renseigne sur l’individu inhumé dans ce sarcophage de plomb. Dans un caveau, le cercueil en plomb portait une épitaphe « c’est le corps de messire Antoine de La Porte […] décédé en 24 décembre 1710 en sa 83e année ». Surnommé le « chanoine jubilé », ce riche prélat participa financièrement au réaménagement de la clôture du chœur de Notre-Dame en réalisation du Vœu de Louis XIII et il est inhumé entouré des vestiges liés à la destruction du jubé médiéval. Sur son sarcophage étaient déposées trois médailles à son effigie le représentant de profil. Le cercueil n’est pas intact et l’apport d’oxygène a décomposé les tissus organiques au fil des ans.
Epitaphe retrouvée sur le sarcophage d'Antoine de la Porte
- © Denis Gliksman / Inrap
Un des médailles retrouvées dans le sarcophage d'Antoine de la Porte, à son effigie.
- © Denis Gliksman / Inrap
Les premiers résultats anthropologiques révèlent bien un individu qui porte son âge et les pathologies qui vont de pair. Celui-ci avait aussi une inflammation au gros orteil : la goutte, maladie arthritique liée à un abus de viande, de fruits de mer ou d’alcool, qui a affecté nombre de membres de la famille royale.
Travail au laboratoire de Toulouse sur les sarcophages
- © Denis Gliskman / Inrap
Dans le second sarcophage, un cavalier solitaire... et inconnu !
Dans le second cercueil en plomb, l’autre individu est encore anonyme. Le cercueil contenait des restes du linceul ainsi que de très nombreux restes de feuilles et de fleurs : une couronne de fleurs, au niveau du crâne. Son traitement funéraire diffère radicalement du chanoine de La Porte et laisse envisager un statut aristocratique. En effet, le crâne est scié, preuve d’un embaumement. Le squelette est celui d’un homme d’une trentaine d’années, mais surtout d’un cavalier, dès le plus jeune âge. Il aurait surtout souffert d’une grave maladie, la cause du décès est d'une méningite chronique, dont la cause la plus connue est la tuberculose ! La fin de sa vie a, semble-t-il, été difficile puisqu’il a rapidement perdu ses dents. Enfin ce cavalier aurait une « déformation crânienne toulousaine » liée au port d’un bonnet durant la tendre enfance.
Nous voici au début de cette étonnante étude et nombre de recherches sont désormais en cours, dont celles liées à la paléo-génomique et analyses isotopiques, afin de déterminer leurs habitudes alimentaires, leurs carences, les causes de la mort, la date du décès, la stature physique et les spécificités de l’inhumation. Les premiers résultats seront annoncés en fin d’année 2023.
Différentes étapes de l'analyse des sarcophages au laboratoire de Toulouse
- © Denis Gliksman / Inrap
Etude de la mâchoire d'un des deux squelettes retrouvés
- © Denis Gliksman / Inrap
Restes de feuilles retrouvés dans un sarcophage
- © Denis Gliksman / Inrap
Christophe Besnier "Dès la fouille elle-même, monseigneur Chauvet, recteur de la cathédrale Notre-Dame à l'époque, a béni les corps. Après, les squelettes et les cercueils ont suivi le processus d'étude classique en archéologie funéraire. La ré-inhumation, ce sera une question qui échappe à l'Inrap et qui sera traitée de concert avec les autorités religieuses et le ministère de la Culture."
Pour aller plus loin
- Pages d'Éric Crubézy : sur le réseau Linkedin, sur le site de l'Institut Universitaire de France, sur le site Babelio (et ses publications). Ses publications sur le site Cairn.info.
- A lire, un article/portrait sur Éric Crubézy, La passion de la diversité humaine (2016), paru sur le site Exploreur créé par l'Université Fédérale Toulouse Midi-Pyrénées.
- Page de Christophe Besnier sur le réseau Linkedin.
- A lire, l'article de l'Inrap sur la fouille des deux sarcophages.
- A visionner, une vidéo sur les fouilles du transept de Notre-Dame, d'avril 2022, avec notamment Christophe Besnier (site de l'Inrap).
- Article sur la découverte de la sépulture de Louise de Quengo en 2014/2015 à Rennes (site de l'Inrap), citée pendant l'émission.
- Page sur Eugène Viollet-Le-Duc (1814-1879), architecte du XIXe siècle, cité pendant l'émission.