Vous êtes ici
Les curieuses stèles d’Éthiopie : objets mémoriels ou gardiennes des esprits des morts ?
Pour découvrir l’archéologie d’aujourd’hui, ses sciences connexes, mais aussi approcher et décrypter ce que la discipline recouvre de concepts, de modèles, Carbone 14, le magazine de l'archéologie, retrace les avancées de la recherche française et internationale et parcourt terrains, chantiers et laboratoires. Une émission à écouter chaque samedi, de 19 h 30 à 20 h sur France Culture et à réécouter sur Inrap.fr.
Avec :
- Vincent Ard, chargé de recherche au CNRS (laboratoire TRACES), co-directeur de la mission archéologique Abaya en Éthiopie (Ministère de l'Europe et des Affaires Étrangères).
- Anne-Lise Goujon, secrétaire scientifique du Centre Français des Études Éthiopiennes (CFEE), co-directrice de la mission archéologique Abaya en Éthiopie (Ministère de l'Europe et des Affaires Étrangères).
- Aurélien Pierre, directeur des musées de Rodez agglomération, membre de la mission archéologique Abaya en Éthiopie (Ministère de l'Europe et des Affaires Étrangères).
En 1926, François Azaïs, père capucin, découvre des champs de stèles dissimulés sous une végétation luxuriante, sur les escarpements du lac Abaya en Éthiopie.
On le sait peu, le plus grand mégalithe du monde n’est pas le grand menhir de Locmariaquer, ni celui de Plouarzel dans le Finistère, mais bien le gigantesque obélisque d’Axoum de 24 mètres de haut, pillé, puis acheminé en 1937 à Rome par Mussolini et enfin restitué en trois morceaux à l’Éthiopie en 2008. On le sait encore moins, l’Éthiopie possède quantité de mégalithes et de stèles, dont on sait bien peu de choses, sur les sociétés qui les érigèrent et cela malgré plus d’un siècle de recherche archéologique.
Sur les marches de la vallée du Rift, le paysage forestier très dense est aussi hérissé de stèles, on parle alors de véritable « corridor mégalithique ». Près de cent trente sites identifiés à ce jour, rassemblent plusieurs milliers de stèles phalliques ou anthropomorphes. La densité des découvertes, répartie entre les zones Gedeo, Oromo Guji et Sidaama, est unique, à l’échelle du continent africain et en fait un ensemble d’intérêt mondial. Le paysage culturel du pays Gedeo vient d’être inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO en septembre 2023.
Des stèles phalliques puis anthropomorphes
En 1926, François Azaïs, un père capucin découvre des champs de stèles dissimulés sous une végétation luxuriante, sur les escarpements du lac Abaya en Éthiopie. En 1931, il les révèle à la communauté scientifique au travers de deux ouvrages. En 1934, Adolf Ellegard Jensen, anthropologue membre de la mission Frobenius poursuit les découvertes initiées tandis qu’un artiste, Alf Bayrle, dessine les stèles.
Toutes ces stèles sont taillées dans de l’ignimbrite, une roche formée à partir des débris volcaniques d’une nuée ardente. L'implantation des mégalithes révèle une distinction entre les stèles phalliques et anthropomorphes. Les stèles phalliques sont disposées en lignes simples ou doubles, formant parfois, sur quelques sites exceptionnels, de véritables champs de stèles. La datation de ces stèles phalliques reste difficile en l’absence de sépultures. La fouille du site de Soditi, en 2023, a révélé de nouvelles dates qui remonteraient leur érection au Ve ou VIIe siècle. Quoiqu’il en soit, ces stèles sont antérieures au XIIe siècle, époque où elles commencent à être réutilisées dans la construction des cimetières à stèles anthropomorphes.
Les stèles anthropomorphes, sont regroupées sur des cairns, de grandes accumulations de pierres, marquant des tombes. Elles sont datées du XIIe au XVIe siècle par le carbone 14.
Des stèles, objets mémoriels ou gardiennes des esprits des morts ?
Si les stèles anthropomorphes sont liées à des espaces funéraires, donc aux morts, celles phalliques, posent encore question. Ont-elles été érigées à la mémoire de quelque individu, pour quelque héros ou communautés de héros ?
En territoire Gedeo, ces multitudes de stèles subsistent, et, autour d’elles, bien des croyances et cela même si ces stèles n’ont jamais été mises en place par la population locale contemporaine. Ainsi, l’anthropologue allemand Adolf Ellegard Jensen qui les étudia dans les années 1934, signale la réticence des communautés autochtones qui craignaient de voir disparaître le pouvoir de ces pierres dressées : "la raison froide arrache les esprits des morts à leur paix, d’étranges étrangers lèvent le voile sur un secret autrefois bien gardé". Doit-on préciser que certaines stèles phalliques du site de Tuto Fela étaient traditionnellement enduites de beurre et décorées de ficelles !
>> A ne pas manquer, la très belle exposition, "Éthiopie, la vallée des stèles" au musée Fenaille de Rodez (Aveyron) du 15 juin au 3 novembre 2024.
À lire aussi : À Carnac, l'équilibre délicat de la préservation des menhirs
Pour aller plus loin
- Présentation d'Anne-Lise Goujon, sur le site du centre français des études éthiopiennes (CFEE).
- Ses publications, sur Academia, sur Research Gate, sur Open Edition Journals, sur Hypothèses (CFEE).
- Présentation de Vincent Ard, sur Sidestone press.
- Ses publications, sur Academia, sur HAL, sur Google books, sur Open Edition Journals.
- Présentation d'Aurélien Pierre, sur Linkedin,
- Ses publications, sur Academia.
- Site du musée Fenaille de Rodez. A lire, un article sur l'exposition (Le petit journal, mars 2024).
- Page sur la mission Abaya en Éthiopie.
- A regarder, une vidéo, Ethiopie : le peuple des pierres sacrées (Chaîne You tube Slice, avril 2022).
- A signaler, un documentaire diffusé sur Arte en mars 2021, Ethiopie, le mystère des mégalithes - bande annonce - (Réalisateur, Alain Tixier, Co-production MC4, Arte France, CNRS Images, 2018).