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Le mystère du Mormont, espace sacré des Helvètes ?
Pour découvrir l’archéologie d’aujourd’hui, ses sciences connexes, mais aussi approcher et décrypter ce que la discipline recouvre de concepts, de modèles, Carbone 14, le magazine de l'archéologie, retrace les avancées de la recherche française et internationale et parcourt terrains, chantiers et laboratoires. Une émission à écouter chaque samedi, de 19 h 30 à 20 h sur France Culture et à réécouter sur Inrap.fr.
Avec Lionel Pernet, archéologue, spécialiste de l’âge de fer et Claudia Nitu, archéologue responsable de fouilles.
C’est un lieu majestueux au sommet d’un massif suisse, au cœur du canton de Vaud, et surtout un lieu énigmatique qui demeure sans équivalent en Europe celtique.
Occupé au tournant des IIe et Ier siècles avant notre ère, le Mormont soulève quantité de questions sur son statut, sa fonction, les pratiques religieuses et les rites qui s’y sont déroulés. Entre 110 et 80 av. J.-C., des centaines de personnes sont probablement montées sur la colline du Mormont pour y célébrer des moments importants de la vie communautaire mais aussi y pratiquer des rites atroces.
Le mystère du Mormont
Découvert en 2006, à mi-distance entre les lacs Léman et de Neuchâtel, le site a fait l’objet de plus de dix années de recherches, lors de fouilles préventives sur de vastes surfaces menacées par l’exploitation d’une carrière de ciment.
Le site se compose de 250 fosses, certaines profondes de cinq mètres, dans lesquelles ont été disposés des milliers de restes de repas, ainsi que des dépôts rituels complexes impliquant non seulement des objets encore fonctionnels, mais aussi des animaux entiers et des ossements humains.
La population qui fréquentait le Mormont est variée, on le voit grâce à la diversité des objets mis au jour dans les fosses, ainsi qu’aux restes humains d’une cinquantaine de personnes. Femmes, hommes, enfants et jeunes sont impliqués, mais aussi des esclaves ou des prisonniers, puisque des entraves de cou ont été mises au jour. Les quelques restes d’armement indiquent que des guerriers ont participé aux rituels. Parmi eux, figure une exceptionnelle cotte de mailles.
Amas de restes culinaires trouvés dans cette fosse de 1,30 m de diamètre avec plus de 2200 ossements de faune domestique, découpés et carbonisés, et des récipients en céramique
- © photo C. Cantin, Archeodunum Investigations Archéologiques SA
Des festins celtiques ?
La place du banquet est capitale dans le monde grec ou romain, elle l’est aussi dans l’univers religieux celtique. Ceux-ci sont bien présents au travers de la consommation immodérée de viande, mais aussi au travers des ustensiles du festin celtique, amphore vinaire sabrée, vaisselle métallique (situle, chaudrons etc.) souvent d’inspiration méditerranéenne, ou encore, exceptionnelles cornes à boire.
Crâne d’un grand cheval / Anneaux, bagues et bracelets (bronze, fer et verre) / Situle (seau) en bronze / Détail d’une bouteille ornée / Outils de forgerons en fer / Trident en fer (foëne)
- © photo Y. André, MCAH
Un espace funéraire ?
Un tiers des fosses contiennent des humains, mais aussi nombres d’éléments dont des tibias des fémurs, des humérus et des os coxaux entiers. Deux corps sont particulièrement intéressants puisqu’ils ont été cuits et que les plats de côtes ont été enlevés, pourrait-on un voir une anthropophagie rituelle, ou tout au contraire un acte de justice par le feu ?
Des individus ont aussi été décapités, certains cranes pourraient d’ailleurs s’apparenter à des reliques, cranes lustrées et polis, précieusement conservés comme le relate comme le relate Posidonios d’Apamée ? Quoiqu’il en soit, des tombes sont aussi présentes avec ces exceptionnels individus assis, probablement momifiés comme dans le site d’Acy Romance et le sanctuaire de Saint-Just-en-Chaussée.
Les Helvètes, pas sûr !
Nous savons, grâce à César, que les Helvètes étaient « enfermés d’un côté par Le Rhin […] d’un autre par le Jura […] et du troisième par le Léman et le Rhône » (BG I, 2). En revanche, César ne dit rien du moment de leur arrivée sur ce territoire. Les chercheurs pensent actuellement que ceux-ci auraient pu s’implanter dans cette région dans les années 80 avant notre ère, donc juste durant l’abandon du site du Mormont. Aucun élément ne nous permet aujourd’hui d’affirmer que les Celtes du Mormont étaient bien des Helvètes !
Le Mormont : un sanctuaire ?
Entre 110 et 80 av. notre ère, une population locale vient au Mormont, pour y célébrer des moments importants de la vie de la communauté. Pour autant, quel est le statut du site : un lieu funéraire d’exception ? Un site de hauteur assiégé par les Cimbres ? Un sanctuaire dédié à quelques dieux chtoniens, divinités des profondeurs ? Aucune hypothèse ne fait actuellement le consensus.