Créé à l'occasion des 10 ans des Rencontres d'archéologie de la Narbonnaise (RAN) et en partenariat avec l'Inrap, le prix pour la préservation par l'étude du patrimoine archéologique méditerranéen a été décerné à Isabelle Régen, co-directrice de la Mission épigraphique française dans la tombe de Padiaménopé (VIIe s. av. J.-C.). Retour sur ce monument funéraire hors-norme, à la fois tombe et bibliothèque, qui a perpétué le souvenir du prêtre Padiaménopé.

Dernière modification
08 novembre 2022
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La Mission épigraphique française dans la tombe de Padiaménopé est portée depuis 2004 par l’Institut Français d’Archéologie Orientale, l’Université de Strasbourg et l’Université Paul-Valéry Montpellier 3 (UMR5140-ASM Cnrs).
Elle a pour objectif d'étudier ses inscriptions et son architecture, en alliant les techniques de l’épigraphie et de la photogrammétrie, d'approcher la personnalité de son propriétaire le prêtre, Padiaménopé (Pétaménophis), et de mettre en lumière les processus de transmission d’un gigantesque patrimoine textuel. 
Une nouvelle phase du projet « TT 33 » co-dirigé par Isabelle Régen, ingénieure de recherche à l’Université Paul-Valéry Montpellier 3, a débuté en 2017. Grâce à la mise en place de procédures d’assainissement, de conservation et de restauration de la tombe menées en collaboration avec différentes institutions partenaires et soutenu par le Fonds Khéops pour l'Archéologie (Paris), le travail de couverture photographique et d’édition des textes a pu être poursuivi et intensifié avec le concours du LabEx Archimède (ANR-11-LABX-0032-01) .

 

Quand a été découverte la tombe de Padiaménopé ?

Isabelle Régen : Ce monument, également appelé Tombe Thébaine n° 33 (TT 33, inventaire numéroté des tombes privées de la rive ouest de Louqsor), a plutôt été redécouvert. Il semble avoir été toujours accessible depuis le pillage antique de la tombe et a été réutilisé à diverses époques. Le plus ancien plan connu de la tombe de Padiaménopé semble être celui dressé par un voyageur anglais en 1743. Un plan beaucoup plus précis se trouve dans l’un des volumes de la Description de l’Égypte issue de la mission de documentation des savants de l’expédition de Bonaparte (1798-1801). Très tôt, ce monument pénètre l’imaginaire occidental grâce aux témoignages de voyageurs européens dont les récits oscillent entre fascination et épouvante. Tout concourt en effet à faire naître l’idée d’une tombe maudite : dimensions monumentales, architecture quasi labyrinthique, puits profonds, atmosphère pestilentielle, chauves-souris qui venaient éteindre le flambeau du visiteur.

Ce qui frappe d’emblée, ce sont ses dimensions hors norme. À juste titre, car c’est la plus grande tombe privée d’Égypte : l’enceinte monumentale de briques crues englobe une surface de près d’un hectare (9900 m2) ; c’est considérable pour une tombe égyptienne, cela équivaut à deux Notre-Dame de Paris. Avant d’arriver à l’entrée des infrastructures, on doit franchir deux pylônes (portes monumentales de briques crues) et deux cours à ciel ouvert.
Ensuite, la porte d’entrée proprement dite (qui était fermée par une porte de bois) mène vers environ 1 000 m2 d’appartements souterrains : 22 salles réparties sur quatre niveaux s'enfonçant jusqu'à 20 mètres sous le sol qui n’ont jamais été intégralement fouillés. Avant le déchiffrement des hiéroglyphes en 1822 par Champollion — nous en fêtons le Bicentenaire cette année —, on a pu penser que le propriétaire d’un monument aussi vaste était nécessairement un roi. Un voyageur avait même imaginé qu’étant proches de la Vallée des Rois, ces grands souterrains auraient pu être des sortes de quartiers d’été où les pharaons se retiraient pour se protéger de la chaleur ou du vent !

Outre ses dimensions frappantes, quelle est la particularité de cette tombe ?

I. R. : C’est une sorte de tombe-bibliothèque, tant elle reproduit sur ses parois des livres (funéraires) et des styles d’époques très différentes, y compris très anciennes. En d’autres termes, au lieu de ne mettre que les textes funéraires de son époque, Padiaménopé en a compilé des plus anciens. Padiaménopé vivait au VIIe s. av. n.è et reproduit par exemple des textes apparaissant au XXIVe s. av. n.è. ! De la sorte, son monument s’apparente à un conservatoire du patrimoine écrit égyptien dans le domaine funéraire. C’est donc une bibliothèque de pierre, une véritable « BnF » de la littérature funéraire. Ses parois sont couvertes sur plus de 2 600 m2 de textes funéraires écrits en hiéroglyphes. Ces textes ont tous le même but : aider le défunt dans son existence post-mortem. Par exemple, le Livre des Morts contient des formules très pratiques (manger, boire, s’orienter, passer les obstacles, repousser les entités menaçantes….). C’est presque une feuille de route qui va permettre au mort de franchir toutes les étapes jusqu’au « paradis » égyptien, le domaine d’Osiris.

Mais au-delà même de cette compilation de textes, l’intérêt réside dans l’étude du contenu de ces « Livres », car les particularités de leurs copies (variantes de texte ou d’image) nous renseignent sur les procédés de transmission des textes, entre tradition et innovation. On voit que les textes de Padiaménopé ont puisé non pas à un mais à plusieurs modèles, plus ou moins éloignés dans le temps et l’espace. Padiaménopé était un intellectuel, un fin connaisseur des textes rituels ; il avait donc accès aux archives où étaient conservés des modèles très anciens ; nul doute qu’en tant que commanditaire du monument, il a mis une touche personnelle dans la décoration de son tombeau. Dans tous les cas, cela montre que le fonds d’archives de Thèbes au VIIe s. av. n.è. était particulièrement riche. De manière générale, les Égyptiens possédaient un très bon système d’archivage et ils avaient conscience d’un patrimoine écrit à conserver et à transmettre. Sans nul doute, la tombe de Padiaménopé est un monument clé dans la transmission du savoir funéraire.

La tombe de Padiaménopé se visitait-elle ?

I. R. : Les parties à ciel ouvert et le porche d’entrée, oui, certainement, pour y permettre les services d’offrandes et l’accueil de la famille ou des passants. Mais le reste de la tombe ? C’est une question à laquelle on ne peut apporter de réponse assurée.
On a pu supposer qu’une partie du premier niveau était accessible lors de certaines fêtes car des textes inscrits dans des salles reculées s’adressent aux vivants qui viendront voir la tombe. Mais nous n’avons pas de preuve tangible de ces visites, si elles ont existé. Aucun graffito antique n’a été repéré par exemple. Il n’en reste pas moins que, dans l’hypothèse où la tombe était accessible, le « clou du spectacle » aurait pu être l’énorme sarcophage d’Osiris ou « Cénotaphe osirien », un massif de 15 mètres de côté (salle XIII) dont on pouvait faire le tour, peut-être à l’occasion d’une fête particulière.

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Le cénotaphe osirien, TT 33 (salle XIII).

© Pascal Maître (2014)


Les trois derniers niveaux, accessibles par des puits, n’étaient sans doute pas accessibles et relevaient des zones réservées au défunt lui-même. Padiaménopé était enterré dans la 22e salle. Dans la salle précédente, une paroi formée de blocs parallélépipédiques dissimulait l’accès au caveau situé dans le plafond. La tombe a tout de même été pillée.

En quoi consistent les travaux de la mission française qui étudie cette tombe ?

I. R. : Le projet épigraphique (étude et publication des textes avec l’aide de la photographie et de la photogrammétrie) a été lancé en 2006, après un déménagement, en 2004-2005, des antiquités entreposées dans les trois premières salles de la tombe qui servait alors de magasin au Service des Antiquités égyptiennes.  Il a bénéficié à plusieurs reprises du soutien du LabEx Archimède (ANR-11-LABX-0032-01). En 2017, un projet de conservation, restauration et d’assainissement, soutenu par le Fonds Khéops pour l’Archéologie (Paris) y est venu s’adjoindre. Le monument a beaucoup souffert de l’outrage du temps, des réutilisations successives humaines ou animales (enterrements secondaires, incendies, déprédations des parois, présence de bétail ; guano de chauves-souris) mais aussi de conditions naturelles (tremblement de terre avec effondrement de parois des salles I et II) ; remontées de sels à travers la paroi calcaire).

Le dégagement des déblais des trois premières salles de la tombe est indispensable préalablement à la mise en place de protocoles de restauration dans ces zones. L’an passé, la fouille de la salle I a été achevée aux deux tiers. Elle a livré du matériel inscrit (fragments de parois effondrées, figurines funéraires) mais aussi des traces de la réutilisation de la tombe jusqu’à des périodes relativement récentes où les premières salles servaient d’étable. Nous poursuivrons les fouilles lors de la prochaine campagne. Nous espérons pouvoir ouvrir une partie de la tombe au public.

L’assainissement du monument est également indispensable. Des études pluridisciplinaires menées par des experts ont permis d’identifier la nature de la pollution atmosphérique (C.O.V.) de la tombe. Ont suivi des recommandations d’hygiène et sécurité (masque à gaz, combinaison intégrale de type police scientifique) et la mise en place d’un système d’extraction d’air qui a permis de faire baisser drastiquement la concentration de C.O.V. Les experts ont pu déterminer que les parois émettent des C.O.V. Leur nettoyage permettra donc d’assainir la tombe. Enfin, des capteurs mesurent la stabilité de l’atmosphère de la tombe, y compris son humidité relative.

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TT 33. Vue de la salle XIII au terme du traitement des deux premiers kôms de fragments.

© Isabelle Régen, Mission épigraphique française dans la tombe de Padiaménopé

Qui était le prêtre Padiaménopé ?

I. R. : Padiaménopé était un homme puissant souhaitant apparaître aux yeux de la postérité comme un intellectuel : quand Padiaménopé n’utilise qu’un seul titre dans ses textes, il se désigne avant tout comme « prêtre ritualiste et chef », c’est-à-dire un lettré capable de lire et mettre en pratique les rituels.
Intime du roi de l’époque, il avait sa confiance et son écoute. Grâce à sa position de conseiller, il avait accès à des moyens qu’il n’aurait sans doute pas obtenus autrement. Ses fonctions incluaient des titres de premier ordre comme « secrétaire particulier du roi » (une sorte de ministre) ou « conducteur des fêtes d’Amon dans Karnak ». En effet, le seul habilité à mener les fêtes d’Amon-Rê dans le grand temple de Karnak, c’est Pharaon. Il a donc délégué ces fonctions rituelles très importantes à Padiaménopé, ce qui montre son degré de proximité avec le souverain.
Malgré une tombe gigantesque couverte d’inscriptions, on connaît paradoxalement très peu d’éléments de la vie et de la carrière de ce personnage.

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 TT 33. Fragments du plafond de la salle I, avec une partie de la titulature de Padiaménopé.

© Sylvia Einaudi, Mission épigraphique française dans la tombe de Padiaménopé

Padiaménopé est très préoccupé par l’éternité, est-il un cas à part ?

I. R. : Ce trait commun chez l’Égyptien est illustré de manière particulièrement spectaculaire chez Padiaménopé, qui a fait élaborer un tombeau sans pareil.
On trouve dans sa tombe un type de textes particulier nommés les « appels aux vivants ». Dans ces appels, il s’adresse à ceux venus visiter sa tombe : « Ô vous les vivants, ceux qui sont nés et ceux qui naîtront, vous qui passez par cette nécropole, venez dans cette tombe, lisez les inscriptions… ». Il faut au moins prononcer son nom, et idéalement faire des offrandes alimentaires, mais la lecture de la formule d’offrande et de son nom se suffit à elle-même car elle fonctionne comme une offrande. On incite toujours les visiteurs des tombes à faire une offrande, dire une prière, pour garantir le souvenir du défunt. On peut dire que la stratégie mémorielle de Padiaménopé a été efficace : sa tombe est construite au VIIe siècle avant n.è. et l’on parle encore de lui en 2022 !

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TT 33. Fragment de paroi, salle XIII. Haleurs de la barque solaire.

© Isabelle Régen, Mission épigraphique française dans la tombe de Padiaménopé

Malgré le pillage antique de la tombe, y a-t-on encore trouvé du mobilier ?

I. R. : Les objets précieux, s’il y en a eu, ont disparu et la fouille a révélé pour l’instant peu de mobilier funéraire de Padiaménopé, si ce n’est de très nombreux fragments de chaouabtis. Ces statuettes funéraires à l’image du mort sont censées répondre à l’appel du défunt et le remplacer dans les travaux des champs de l’au-delà. On en compte théoriquement une pour chaque jour de l’année, mais il y en a souvent beaucoup plus, car s’y ajoutent les différents chefs de ces ouvriers. Toutes ces figurines sont envoyées travailler à la place du mort afin que ce dernier puisse jouir en toute sérénité du paradis.

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TT 33. Ouchebtis de Padiaménopé retrouvés pendant la fouille de la première salle hypostyle.

© Héloïse Smets, Mission épigraphique française dans la tombe de Padiaménopé

Quelle est l’idée du paradis chez ces les Égyptiens d’alors ? 

I. R. : D’après les textes (de l’élite), le « paradis » n’est accessible qu’à ceux ayant mené une existence vertueuse sur terre, comme en attestera le résultat de la psychostasie (épreuve de la pesée de l’âme). Sur la balance, le poids du cœur du mort est comparé à celui de la déesse Maât (ou de sa plume) qui incarne la vertu et l’équilibre cosmique. Si le cœur du défunt est plus lourd, il sera condamné à être dévoré par un monstre hybride, « la Dévoreuse » ; c’est la « seconde mort » ou mort définitive que redoutent les Égyptiens : sans conservation du corps, pas de survie post-mortem. 

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Pesée de l'âme : derrière la Dévoreuse, le dieu Thot écrit le résultat du jugement.

© Lionel Schmitt, Mission épigraphique française dans la tombe de Padiaménopé

Cette mission comporte un important volet d’épigraphie. Les égyptologues sont-ils épigraphistes et/ou archéologues ?

I. R. : L’opposition ancienne entre l’archéologue et l’épigraphiste tient aux origines de la discipline égyptologique. Les premiers égyptologues étaient souvent uniquement des philologues, car il a fallu d’abord passer par le déchiffrement, puis avancer dans l’étude de la grammaire et du vocabulaire, qui ne peut se faire sans l’étude et la publication d’un nombre considérable de textes. Le biais résultant de cette période de formation de la discipline est que l’égyptologue accorde trop souvent la primauté au texte (par opposition aux données de terrain). L’autre biais est que l’étude des tombes et des temples, monuments de pierre aux inscriptions monumentales, s’est longtemps faite au détriment des fouilles de l’habitat et plus généralement des études urbanistiques (l’architecture domestique est souvent en briques crues).

Dans la tombe de Padiaménopé, compte tenu de la masse de textes, la raison première de notre présence est le travail d’épigraphie. Nous prenons connaissance des textes en les copiant à la main avec un crayon, comme le faisait Champollion ; à partir de cette première copie et après de nombreuses vérifications, nous réalisons, sous Adobe Illustrator, un fac-similé vectoriel des scènes et des textes à partir d’une orthophotographie. Ce n’est pas un simple dessin car ce dessin est déjà une interprétation du texte, particulièrement dans le cas où des zones sont détériorées, comme c’est le cas pour de nombreuses inscriptions de la tombe de Padiaménopé. Il faut donc d’abord comprendre le texte avant d’en réaliser un fac-similé.

 

Quels textes étudiez-vous en particulier dans cette tombe ?

I. R. : Dans mon projet de recherche sur la transmission des Livres du monde inférieur à l’époque tardive, la tombe de Padiaménopé est un monument clé. J’y étudie des textes bien moins connus et diffusés que le célèbre Livre des Morts : le Livre de l’Amdouat, le Livre des Portes, les Litanies du Soleil et le Livre de la Nuit. Tous ont pour point commun de décrire et de représenter le voyage nocturne du soleil et d’associer le défunt à ce périple.

Comment situer Padiaménopé dans la longue histoire dynastique de l’Égypte ?         

I. R. : Padiaménopé vivait au VIIe s. avant notre ère, entre la fin de la XXVe dynastie (pharaons noirs de Kouch) et le tout début de la XXVIe dynastie (rois de Saïs, dans le Delta). L’essentiel de sa carrière serait à situer entre 680 et 660 avant notre ère. On a longtemps négligé l’étude de cette période, que l’on voyait comme une période de décadence après la période classique du Nouvel Empire, celle des rois conquérants et bâtisseurs (Thoutmosis, Amenhotep, Ramsès).
Ces périodes tardives, dont les désignations égyptologiques laissent songeur (Troisième Période « intermédiaire « ; « Basse » Époque) sont au contraire des périodes de grandes innovations et Padiaménopé en est un très bel exemple.

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Statue de Padiaménopé, Berlin ÄM 23728.

© J. Liepe
 

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