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Boulevard Henri-Henrot (ZAC du Vieux Port)
A Reims, Marne, les aménagements des bords de Vesle dans la capitale de la Gaule Belgique
La ville antique de Reims est implantée dans la partie nord de la Champagne sèche sur une plaine dont l'altitude moyenne est de 85 m NGF. Elle occupe le centre d'une cuvette topographique limitée à l'est par quelques faibles hauteurs et à l'ouest par une rivière, la Vesle. Le terrain est situé dans le quart sud-ouest de la ville du Haut-Empire, à proximité immédiate de l'ancien lit de la rivière.
Le chantier de la ZAC du Vieux Port se trouve dans un secteur particulièrement riche en vestiges archéologiques, révélé par plusieurs opérations menées par l'Afan puis par l'Inrap sur des surfaces importantes. Dès le début des années 1970, des ateliers de potiers gallo-romains ont été identifiés lors de la rénovation du quartier Saint-Remi. Plus récemment, les chantiers de la rue Gambetta, de la rue de Venise et de la rue de l'Équerre ont confirmé ce potentiel archéologique. Des informations de tout premier ordre ont permis de restituer l'évolution des structures d'habitat, de la fin du Ier s. av. J.-C. jusqu'à la fin du IIIe-début du IVe s. apr. J.-C. Au sein de ces îlots, l'artisanat et le commerce tenaient une place prépondérante. Plusieurs types d'activités artisanales ont été reconnus dont la poterie, le tissage et la verrerie. À propos du commerce, ce sont les vestiges d'une boutique d'importation de vaisselle de table (assiettes, bols et coupes en sigillée fabriqués dans le sud de la Gaule) qui ont été identifiés.
La fouille de la ZAC du Vieux Port a été menée sur une surface de près de 4 000 m² et fait suite aux résultats du diagnostic effectué en décembre 2005 par Stéphane Sindonino (Inrap). Elle constitue pour le site antique de Reims la première opération d'archéologie préventive qui permet d'aborder la rivière ainsi que les aménagements de berge où débouche une rue orientée est-ouest, et les vestiges des constructions implantées à proximité.
Une phase d'occupation des XIIIe-XVe s. a été identifiée et correspond au creusement de grands bassins utilisés probablement comme viviers ou fosses à rouissage. La spécificité de cette opération réside dans l'étude de vestiges particulièrement bien conservés du fait de la faible profondeur de la nappe phréatique (moins de 3 m) ; de plus, nous avons pu étudier certaines techniques de constructions utilisées par les Gallo-Romains en milieu humide. Les matériaux organiques retrouvés, essentiellement le bois et le cuir mais aussi les pollens et les graines, présentent un état de conservation exceptionnel dont l'étude va fournir de précieuses informations sur certains types d'objets usuels ainsi que sur le paléoenvironnement.
L'aménagement de la berge
La rive droite de la rivière a été dégagée sur une quarantaine de mètres de longueur et se trouve en limite ouest de la surface décapée. Les premières constructions, établies probablement durant le premier quart du Ier s. apr. J.-C., sont localisées dans la partie nord du chantier et correspondent à l'aménagement de la berge et à celui de la rue. Un quai a été construit le long de la rivière, complété par un système de digues aménagé perpendiculairement au cours d'eau et au sud de la rue permettant de protéger la chaussée. L'une des digues mesure 1,20 m de large et a été repérée sur 10 m de long. Elle est constituée d'un assemblage de pieux, poteaux ou piquets enfoncés verticalement et consolidés par des planches en chêne posées de chant. L'intérieur de cette structure a ensuite été rempli d'argile.
La rue antique
La rue est orientée est-ouest et débouche directement sur le quai à l'intérieur duquel le passage des caniveaux a été aménagé afin que les eaux qu'ils drainaient puissent s'écouler dans la rivière. Ces caniveaux sont boisés. Celui qui longe la rue au sud est parfaitement conservé : il mesure au moins 1,40 m de profondeur pour une largeur de 0,80 m et est constitué sur chaque côté de 3 planches superposées maintenues par des piquets. Les planches sont en chêne, mesurent jusqu'à 6 m de longueur et présentent des traces qui attestent qu'elles ont été débitées à la scie.
Les vestiges de construction et les activités artisanales
En ce qui concerne les constructions et les activités qui régnaient dans ce secteur, l'ensemble des différents vestiges exhumés montre qu'à cet endroit de la ville les abords de la rivière ont été réservés au stockage de denrées et aux activités artisanales. Un grand bâtiment de plus de 50 m de long a été mis au jour dans la partie sud du chantier. Construit vers la fin du Ier s. ou au début du IIe s., il est constitué de deux murs parallèles orientés nord-sud et espacés de 7 m entre lesquels plusieurs murs de refend ainsi qu'une cave ont été relevés. Les murs de cet entrepôt sont fondés en pierre et leur largeur de 0,90 m suppose des élévations importantes. À proximité de ce bâtiment trois aires d'hypocauste ont été identifiées et leur présence semble rattachée au séchage de marchandises (laine ou céréales). L'une de ces pièces chauffées est bien conservée, elle est carrée et mesure 3,50 m de côté.
Plusieurs puits, creusés à proximité de la rivière, sont sensiblement alignés sur la berge à environ une dizaine de mètres. Les creusements traversent les couches d'argile et n'entament le substrat que de quelques dizaines de centimètres. L'eau qui y était puisée, filtrée par les sédiments alentour, était certainement plus saine que celle de la rivière où se déversaient les caniveaux des rues. Deux types de cuvelages ont été observés. Le premier correspond à 4 ou 5 assises carrées constituées de planches d'une hauteur de 0,40 m en moyenne assemblées à queue d'aronde ou à mi-bois. Au fond de l'un de ces puits, un seau a été trouvé. Il présente un bon état de conservation, mesure 0,50 m de haut et est constitué de douelles maintenues par des cerclages métalliques ; l'anse et la chaîne qui le reliait au treuil sont également conservées. Le second type de cuvelage est circulaire et correspond au réemploi de tonneaux. Trois cuvelages ont été réalisés de cette manière. Les tonneaux sont sensiblement identiques, avec un diamètre de 0,90 m et une hauteur de près de 2 m. Ils sont constitués de 20 à 25 douelles taillées dans du résineux et maintenues par des cerclages en bois (noisetier) reliés par du chanvre.
Au début du IVe s. un bâtiment rectangulaire est construit perpendiculairement à la rivière. La technique employée pour la réalisation des fondations montre que les bâtisseurs gallo-romains s'étaient affranchis des contraintes liées aux constructions en milieu humide : tout d'abord des pieux en chêne sont enfoncés dans les couches d'argile sous-jacentes et descendent jusqu'au niveau du substrat géologique. Les pieux (1,20 x 0,15 x 0,15 m en moyenne) sont implantés selon un maillage de 0,30 m, puis recouverts d'un radier très compact, constitué de pierres liées par de la craie dont la surface est damée. Le soubassement du mur et l'élévation sont alors construits sur cette solide fondation. À l'intérieur de ce bâtiment, une batterie de fours, disposés côte à côte, a été mise au jour. Trois d'entre eux sont conservés. Le foyer est constitué de 4 dalles de suspensura sur lesquelles les traces de feu montrent que les parois étaient circulaires.
Plusieurs activités ont été mises en évidence, dont la préparation de la laine pour le tissage et la métallurgie. À l'intérieur de l'entrepôt, une des pièces a été utilisée pour le tissage et, lors de la fouille, près de 30 pesons (en terre cuite et triangulaires) de métier à tisser ont été recueillis. Cette activité est étayée par la présence de nombreux fragments de brosses à carder (dont une pratiquement entière) découverts lors de la fouille des sédiments de la rivière. En ce qui concerne la métallurgie, de nombreux foyers ont été mis au jour sur l'ensemble de la surface fouillée, avec une densité toutefois plus importante à proximité de la rue. Ils sont aménagés directement sur des sols en craie et correspondent le plus souvent à une ou deux tegula(e) ou à une dalle de suspensura.
Le secteur est vraisemblablement abandonné vers le milieu du IVe s. et utilisé à partir du XIIIe s. pour creuser de grands bassins reliés à la rivière par de petits canaux. Les parois de ces bassins sont boisées. Dans l'un d'eux, les poteaux qui maintiennent les planches correspondent aux éléments d'une charpente. De nombreux prélèvements ont été effectués dans le remplissage de ces bassins et sont en cours d'étude afin de déterminer quelle a été leur utilisation : viviers, fosses à rouissage...
La phase de post-fouille commence à peine, mais les premiers résultats des études spécialisées, en particulier ceux de l'étude dendrochronologique sont très prometteurs et, corrélés à ceux de l'étude céramologique, vont permettre de fixer le cadre chronologique des premières implantations gallo-romaines et leur évolution dans ce secteur de la ville.