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À table !
Boire et manger c’est toute une histoire. Les fêtes de fin d’année en témoignent ! L’archéologie nous montre que l’alimentation est une question d’adaptation à l’environnement, varie en fonction des ressources disponibles, et résulte de choix influencés par les croyances, l’évolution des connaissances, les modes, l’économie… Autant de sujets essentiels à déguster dans la nouvelle Archéocapsule, Archéologie de l’alimentation.
Pour l’espèce humaine, comme pour tout animal, boire et manger est une nécessité biologique. Mais, au-delà de cette évidence primaire se cache une réalité plus complexe. L’archéologie nous montre que, dès les temps les plus anciens, non seulement l’alimentation est une question d’adaptation à l’environnement et varie en fonction des ressources disponibles, mais elle résulte aussi de choix influencés par les croyances, l’idéologie, l’évolution des connaissances, les modes, l’économie… Pour les Homo sapiens que nous sommes, l’alimentation est un fait éminemment culturel. En nous faisant prendre conscience de nos relations à la nourriture sur le temps très long, l’archéologie est un instrument de réflexion et de responsabilisation précieux pour le présent.
1. Régime Paléo
Sous un champ près d’Abbeville, dans la Somme, des ossements d’animaux portant des traces de coups et de découpe ont été découverts par milliers. Il y a 125 000 ans, des Néandertaliens ont dépecé, préparé et consommé là leur gibier. Mais n’allez pas croire que les Hommes du passé n’étaient que carnivores ! C’est parce que les os se conservent bien que les archéologues retrouvent souvent ce type de vestiges. L’usure de leurs dents le prouve : nos lointains ancêtres africains mangeaient déjà de tout. Quant aux Homo sapiens qui vivaient il y a 20 000 ans en Europe, ils n’ont jamais cessé de consommer des végétaux, pourtant rares en pleine période glaciaire. Car, comme nous, ils avaient un besoin vital d’accéder à certains éléments nutritifs introuvables dans la viande.
Os d’aurochs découvert à Caours (Somme). Il est présenté ici avec un outil en pierre qui a servi à le fracturer pour en récupérer la moelle.
Gaël Polin, Inrap
Omnivore par nature
Crétois, sans gluten, végétarien, végan : des régimes de toutes sortes sont adoptés par l’Homme en fonction des ressources dont il dispose, de ses croyances, de l’état de ses connaissances... Mais, si la culture intervient dans ses choix alimentaires, Sapiens reste un mammifère omnivore que des millions d’années d’évolution ont programmé génétiquement comme tel.
2. Veaux, vaches, cochons, couvées
Produire sa nourriture, ça change tout ! Après 300 000 ans de vie nomade à cueillir et à chasser, les humains se sédentarisent, et se mettent à cultiver la terre et à élever du bétail. Le site de Cuiry-lès-Chaudardes, le long de l’Aisne, témoigne de l’apparition de la vie paysanne dans cette région. Les dépotoirs de ce très vieux village ont livré d’innombrables ossements de gibiers, mais aussi d’animaux domestiqués. Élevés pour leur viande, leur lait ou leur toison, ces vaches, moutons et porcs sont issus d’espèces sauvages : l’aurochs, le mouflon et le sanglier. Les premiers paysans les ont peu à peu domestiqués, les transformant au point d’en faire de nouvelles espèces, génétiquement différentes. Le même processus s’observe sur des plantes, notamment des céréales et des légumineuses.
La domestication réduit la taille des animaux : en haut, un os d’une patte de vache ; en bas, le même os provenant d’une femelle d’aurochs. Fouille de Cuirylès- Chaudardes (Aisne).
Jean-Louis Bellurget, Inrap
Apprentis sorciers ?
La campagne, qui incarne pour nous le milieu « naturel », est un écosystème façonné par les humains depuis des milliers d’années. Aujourd’hui, avec ses moutons clonés et ses semences génétiquement modifiées, cet apprenti sorcier qu’est l’Homme maîtrise-t-il mieux la situation qu’au Néolithique ?
3. Un maximum de blé
Carbonisées, les graines peuvent, comme les os, traverser les âges. Recueillis sur une vingtaine de sites gaulois de la région de Clermont-Ferrand, dans le Puy-de-Dôme, ces minuscules vestiges botaniques, vieux de 2 000 à 2 500 ans, ont permis de dresser un panorama des productions agricoles locales. On récoltait alors de l’épeautre, de l’engrain, du millet, des fèves, des lentilles, du blé amidonnier… Mais l’étude a aussi révélé que, deux siècles avant la conquête romaine, le nombre des espèces cultivées avait nettement diminué – preuve, déjà, d’une spécialisation des cultures. À l’époque, l’agriculture était en plein essor : les outils en fer se sont généralisés, les surfaces agricoles se sont étendues. Une logique productiviste s’est mise en place, alors qu’apparaissaient les premières villes, dont il fallait nourrir les habitants.
Graines carbonisées de blé amidonnier (Triticum dicoccum) découvertes sur un site gaulois du Bassin clermontois.
Manon Cabanis, Inrap
Les lois du marché
Les humains se sont mis à cultiver pour se nourrir. Parvenant à dégager des surplus, ils ont commencé à les stocker et à les vendre. Désormais, dans les pays occidentaux, la production agricole alimente un marché mondialisé, le blé est devenu une donnée économique. La fonction nourricière de l’agriculture est-elle passée au second plan ?
4. Chien rôti à la gauloise
Pas la peine d’aller au bout du monde pour découvrir un peuple « cynophage », il suffit de creuser ! Au fil de centaines de fouilles, les preuves se sont accumulées : les Gaulois mangeaient du chien. Mêlés aux ossements de porc, de boeuf ou de mouton, les restes de canidés portent les mêmes traces de découpe et de cuisson. Cette viande, considérée comme noble, n’était pas consommée tous les jours. Si la langue et la cervelle étaient particulièrement prisées, on appréciait aussi l’épaule, le jambon, le filet… Sous l’influence des Romains, qui la trouvaient révoltante, cette pratique culinaire a décru. Mais il a fallu attendre quatre siècles pour la voir disparaître totalement : un lent processus qui indique qu’elle était profondément ancrée dans les moeurs.
Mandibule de chien mise au jour à Levroux (Indre). On remarque des traces de brûlures, dues à la cuisson, sur les canines et les prémolaires.
Marie-Pierre Horard-Herbin, université François-Rabelais, Tours
Du régal au tabou
Les interdits et tabous alimentaires sont présents dans toutes les sociétés humaines. Chaque culture définit ce qu’elle juge consommable, ce qui est bon ou mauvais, pur ou impur. Ces choix ne sont ni rationnels, ni immuables. À quand la fricassée d’araignée ?
5. Le goût du garum
Prenez des entrailles de poisson, du sel et des herbes aromatiques. Placez-les en couches successives dans un contenant. Laissez macérer plusieurs semaines avant de filtrer. Vous obtiendrez un liquide sombre au goût prononcé : le garum. Incontournable de la cuisine antique, ce lointain cousin du nuoc-mâm ravissait les papilles des Romains, qui l’utilisaient pour relever leurs plats. D’abord limitée au Bassin méditerranéen, sa consommation s’est étendue avec l’Empire. Au Ier siècle de notre ère, les sites de transformation du poisson se sont alors multipliés, notamment sur le littoral armoricain, pour alimenter les provinces gauloise et britannique. Avec ses quinze cuves, l’« usine » à garum de Plomarc’h Pella, à Douarnenez, dans le Finistère, est la plus importante qui soit connue à ce jour en Europe.
Vue aérienne du plus grand des quatre édifices dégagés à Plomarc’h Pella (Finistère). Découvert en 1906, le site a été régulièrement fouillé. En partie restauré, il est aujourd’hui ouvert à la visite.
Maurice Gautier
Dénominateur commun
Au sein du vaste Empire romain, les habitudes alimentaires étaient évidemment très variées. Par-delà les différences, la consommation de garum marquait l’appartenance à une sphère culturelle commune. De tous temps, les aliments ont incarné une dimension identitaire.
6. Santé !
On a modelé un visage sur son col, et une sorte de cuirasse sur sa panse. Trouvée lors d’une fouille en plein centre de Lyon, cette poterie remarquablement conservée n’est pourtant pas unique. Elle appartient à cette grande famille d’objets, propres au service du vin, qui prolifèrent aux XIIIe et XIVe siècles. À l’époque, la viticulture connaît un développement sans précédent et les manières de boire se transforment. Dans des traités de bonnes manières, on invente un vocabulaire de la dégustation. Sur toutes les tables, la vaisselle se sophistique. Même les humbles pichets en terre se parent d’un décor, adoptant souvent forme humaine. Remplis de vin, ils invitent, de manière imagée, à se régaler d’un breuvage qui, croit-on, revigore le sang.
Pichet en céramique très décoré, découvert dans un comblement de latrines lors d’une fouille préventive, rue Édouard-Herriot à Lyon (Rhône). Il est daté du XIVe siècle, mais son origine reste inconnue.
Christian Thioc, musée de la Civilisation gallo-romaine, Lyon
Un jour sans vin ?
Héritier de pratiques et de croyances anciennes, le vin conserve une forte valeur symbolique en Occident, où il accompagne souvent les événements festifs de la vie familiale et sociale. Pourtant, on sait tous désormais que l’alcool est un danger pour la santé. Peut-être finira-t-on un jour par le considérer comme un poison…
7. Exclus et mal nourris
Aujourd’hui disparu en Occident, mais encore fréquent dans le reste du monde, le rachitisme empêche les os des jeunes enfants de se développer convenablement. Provoquée par une carence en vitamine D, cette maladie est le plus souvent la marque d’une dénutrition. Près de Paris, à Charenton, dans le Val-de-Marne, des archéologues ont pu fouiller un cimetière protestant du XVIIe siècle. Tibias et radius étrangement arqués, colonnes vertébrales et genoux déformés : la quasi-totalité des enfants exhumés présentaient les signes du rachitisme et de nombreux adultes en portaient des séquelles. Il ne fait aucun doute que cette communauté vivait dans un grand dénuement, mise à l’écart et persécutée à cause de ses croyances tout au long du règne de Louis XIV.
Détail des membres inférieurs d’un squelette d’enfant atteint de rachitisme mis au jour à Charenton (Val-de- Marne), dans un ancien cimetière protestant.
Cécile Buquet-Marcon, Inrap
Inégalités alimentaires
Les riches ne mangent pas comme les pauvres, qui sont beaucoup plus susceptibles de connaître la faim et ont plus de difficultés à accéder à une nourriture de qualité, saine et équilibrée. Cette réalité plonge ses racines dans le Néolithique, époque où se sont mises en place les premières inégalités sociales.
8. Délices d'ailleurs
Sur la rive droite de la Saône, à Lyon, non loin de la cathédrale, se trouvait jadis le port du Sablet. La berge était alors un véritable dépotoir que la rivière avait parfois du mal à nettoyer – pour le plus grand bonheur des archéologues ! Menée préalablement à la construction d’un parking, une fouille a permis d’exhumer quantité d’objets du quotidien, parmi lesquels plusieurs verseuses. Dédiés au service du chocolat ou du café, ces récipients de facture modeste, datés du XVIIIe siècle, témoignent d’une certaine démocratisation de ces boissons exotiques. Originaires des colonies, ces nouveaux produits, longtemps luxueux, ont d’abord été consommés par les élites, avant de se diffuser dans l’ensemble de la société, et de connaître le succès.
Récipients en terre vernissée du XVIIIe siècle. Originaires du Jura, ils ont été découverts sur le site du parc Saint Georges à Lyon (Rhône). Ils ont pu servir de cafetière ou de chocolatière.
Alban Horry, Inrap
Le luxe n'est plus ce qu'il était
Longtemps, la provenance lointaine d’une denrée l'a rendue précieuse, car elle était inaccessible au commun des mortels. Aujourd’hui, alors que des produits venus de loin inondent nos supermarchés, ce n’est plus leur exotisme mais bien la qualité des aliments qui fait figure de luxe.
Ce dispositif d’exposition itinérante aborde une question contemporaine au travers de l’archéologie : santé, migrations, aménagement du territoire, esclavage, alimentation, monde des morts, élites et pouvoir, habitat, climats et paysages …
Archéocapsule N° 5 : Archéologie de l’alimentation
Direction de projet : Alessia Bonannini et Théresia Duvernay, Inrap
Conseil scientifique : Dominique Garcia, Inrap
Archéologues référents pour la thématique : Manon Cabanis, Lamys Hachem et Alban Horry, Inrap
Conception rédaction : Claire Henneguez, Bureau oblique
Design : Designers Unit
Graphisme : Travaux-Pratiques
Illustrations : Marie Guillard