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Surveiller et punir : archéologie de la justice médiévale
Pour découvrir l’archéologie d’aujourd’hui, ses sciences connexes, mais aussi approcher et décrypter ce que la discipline recouvre de concepts, de modèles, Carbone 14, le magazine de l'archéologie, retrace les avancées de la recherche française et internationale et parcourt terrains, chantiers et laboratoires. Une émission à écouter chaque samedi, de 19 h 30 à 20 h sur France Culture et à réécouter sur Inrap.fr.
Mathieu Vivas, maître de conférences en histoire et archéologie du Moyen Âge, chercheur à l'IRHiS (Institut de Recherches Historiques du Septentrion - CNRS) à l'Université de Lille, et à l'Institut Universitaire de France.
Une archéologie des gibets et piloris, piliers de potence ou pendoirs, voire fourches patibulaires est-elle envisageable en France ?
Restitution en 3D des pendoirs de La Vallière au XVe siècle - Château-la-Vallière (37)
• Crédits : © traitement informatique M. Faure, architecte DPLG LA3M
A la croisée de l’archéologie, le magazine de l’archéologie de France Culture se penche sur une recherche, tout à la fois très nouvelle et peu connue : « surveiller et punir, l’archéologie de la justice médiévale ». L’archéologie révèle ce que les gens ont fait, comme ce que l’on a fait aux gens, mais permet-elle d’étudier la justice médiévale et moderne ? Bien entendu puisqu’elle est la matérialité du droit de punir…
Pour mieux réexaminer le droit de punir, nous tentons de percevoir les espaces, les significations et représentations sociales des vestiges liés à cette justice. Évoquer la mort, pénale, médiévale ou moderne, laisse immédiatement supposer une justice ecclésiastique, mais il n’en est rien, puisque c’est sous-estimer l’importance du monde civil laïc. Le droit de haute justice, celle de vie et de mort sur un territoire, permet de définir un nouveau concept, celui de « nécropolitique ».
Gibets et piloris, piliers de potence ou pendoirs
Vue, vers l’ouest, des piliers des fourches patibulaires royales, au col de l’Ange - Draguignan (83), (septembre 2016)
• Crédits : © Mathieu Vivas
Gibets et piloris, piliers de potence ou pendoirs, voire fourches patibulaires, tous ces lieux, sous la responsabilité administrative d’autorités civiles laïques sont le plus souvent liés, en France, à la pendaison. N’excluons toutefois pas la décapitation ou la roue. En ville, les places, les ponts, les portes, les rues et les murailles accueillent le spectacle de la mort pénale. Hors de la ville, les fourches patibulaires se situent au bord des voies de communication – bien souvent en limite de juridiction – et dans un milieu dégagé accentuant leur visibilité.
Les recherches de Mathieu Vivas ont exhumé les « Pendoirs » de Château-la-Vallière (Touraine). Après le dégagement des piliers de potence, des sondages ont été entrepris à la recherche des vestiges de ces corps stigmatisés, ceux-là même qui n’avaient le droit à aucune sépulture chrétienne. Nous savons qu’entre 1438-1490, cet édifice permet à Jean V de Bueil, compagnon d’armes de Jeanne d’Arc, d’ancrer matériellement son pouvoir et son autorité dans le sol, qui illustre parfaitement cette notion de nécropolitique.
Fourches patibulaires et inhumation double à Lubomierz (Pologne)
• Crédits : © D. Wojtucki, université de Wrocław
Chaînes servant à pendre aux fourches du XVe siècle, Lubàn (Pologne)
• Crédits : © D. Wojtucki, université de Wrocław
Une justice genrée ? Les trois femmes inhumées vivantes d’Orléans
En 2019, les archéologues de la ville d’Orléans surveillent les travaux de voirie engagés rue de la Porte Saint-Jean. Sous les trottoirs une mince tranchée, où des inhumations ont été découvertes, à l’écart de toute église, tout cimetière, connus. Les trois individus ont été déposés dans des fosses mais ne sont pas en position allongée. Le premier est à genoux, le buste relevé. Le second et le troisième sont assis, les jambes repliées, et tous trois ont les mains attachées dans le dos. Une première étude anthropologique révèle qu’il s'agit de trois femmes. Aucun signe visible sur les os ne témoigne de traumatisme. La position des corps révèle que ces femmes auraient pu être enterrées vivantes. Les éléments de datation indiquent une mise en terre au plus tard à la fin du Moyen-Âge, avant le XVe siècle. Aucun cas comparable n'est connu en France, toutefois, nous savons que les coutumiers médiévaux mentionnent des châtiments de peine d'ensevelissement vif pour des vols, meurtres ou adultères. Pour autant, qu’en est-il de l’usage genré des pratiques et des lieux de justice ?
Restes d'une femme, inhumée à genoux, les mains liées dans le dos (Orléans)
• Crédits : © Pôle d’Archéologie de la Ville d’Orléans
Pour aller plus loin
- Présentation de Mathieu Vivas (page de l'Université de Lille), et sa page twitter.
- Publications de Mathieu Vivas.