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Quand les rois de France barraient la route aux Vikings
Pour découvrir l’archéologie d’aujourd’hui, ses sciences connexes, mais aussi approcher et décrypter ce que la discipline recouvre de concepts, de modèles, Carbone 14, le magazine de l'archéologie, retrace les avancées de la recherche française et internationale et parcourt terrains, chantiers et laboratoires. Une émission à écouter chaque samedi, de 19 h 30 à 20 h sur France Culture et à réécouter sur Inrap.fr.
Avec Cyril Marcigny, archéologue et protohistorien à l'Inrap et Vincent Carpentier, archéologue et chercheur à l'Inrap.
Les fouilles de l’enceinte d’Alizay, sur de la Seine normande, mettent en lumière un exceptionnel ouvrage défensif d’âge viking.
Les raids vikings
Les premières incursions vikings débutent en 793 sur les côtes anglaises. Après Noirmoutier en 819, ceux-ci explorent l’embouchure de la Seine. En 841, ils incendient Rouen, et de 120 navires assiègent Paris en 845, puis en 851-852. Le plus spectaculaire des raids vikings se déroule à Paris entre 885 et 887.
Face à la menace, les royaumes occidentaux, dont les francs, se voient dans la contrainte d’indemniser les vikings, au travers du "Dangeld", le tribut aux Danois. Toutefois, cette stratégie s’avère une catastrophe, suscitant la venue de plus en plus de prédateurs.
Entre Igoville (premier plan) et Alizay (rive opposée), les décapages composent un vaste espace (rectangle) près du cours actuel de la Seine. Fouille C. Marcigny, (Inrap)
- © Cliché H. Paitier / Inrap
Pont-de-L’Arche (Eure) : barrer la route aux vikings
Charles le chauve met en place, en 860, une nouvelle stratégie : barrer la Seine à Pont-de-L’Arche, la Loire au Pont de Cé, pour mieux contrecarrer le fléau scandinave.
Le système se compose de deux enceintes quadrangulaires protégées de trois puissants fossés entrecoupés de talus aux poutrages de bois. Celles-ci protègent le pont qui barre le cours du fleuve par des chaînes, voire peut-être de pieux de bois dans la Seine, comme à Londres. En 873, Adon de Vienne évoque l’ensemble comme un ouvrage d’une puissance remarquable, prêt à subir l’assaut des vikings.
Les sources carolingiennes sont exceptionnelles sur cette forteresse de Pont-de-L’Arche : les annales de Saint-Bertin nous renseignent sur l’année 869, tandis que nous savons que l’abattage des arbres pour édifier les enceintes, est entrepris en 862.
Vue des fours 70821/70822 en cours de fouille. Fouille C. Marcigny.
- © Cliché B. Aubry / Inrap.
En attendant les vikings, une sorte de « Désert des tartares »
Nous savons peu de chose sur la garnison et les occupants de ce fort, hormis la découverte des vestiges d’un repas qui laissent supposer la présence de 150 personnes. La découverte de tombes, datées des années 862-929, nous renseigne sur la présence d’une population de basse condition, affectée aux travaux de mise en défense du site.
Petit méreau monétaire, type au pentalpha, daté v. 1150-1250.
- © Inrap / DR
Le mobilier de l’enceinte, essentiellement métallique, a été mis au jour dans le comblement des fossés et s’échelonne du 9e au 15e siècles, il s’agit de flèches et de carreaux, d’arbalètes, de monnaies et d’exceptionnels méreaux (jetons) mais aussi des boucles, plombées de pêche etc.).
Le pont et ses fortifications subirent les assauts scandinaves, pour autant les vikings semblent le contourner. Partant de l'embouchure de la Seine, ils mettront ainsi, en 876, quatre mois avant de se présenter devant Paris.
Plan de la ville de Pont-de-l’Arche dressé le 9 décembre 1699 par N. Bouret, arpenteur juré du bailliage.
- © cliché Archive nationale / KK 1309, no 219
Pont-de-l’Arche
Le traité de Saint-Clair-sur-Epte, entre Charles III le simple et Rollon, achève, en 911, cet épisode de raids et de pillages et constitue la base de la fondation de la Normandie.
Ainsi, les vikings, désormais chrétiens, s’intégreront. Pour autant, le pont et ses enceintes conserveront leur rôle stratégique au cours des siècles et lors des phases d’occupation militaire de la forteresse qui se succèderont du XIIe au XVe siècles.
Pont-de-L’Arche est encore, de nos jours, paré des fortifications de Philippe-Auguste et possède quelques éléments remarquables, la tour de Crosne, notamment.
Le souvenir de l’époque viking a, quant à lui, subsisté dans la toponymie : Pont-de-l’Arche possède un nom composé tout à la fois d’un terme latin et scandinave, Archas as Dans, preuve de l’implantation des vikings sur cette zone frontière de la Seine.
Pont-de-l’Arche. Vue d’un moulin du pont, de l’île d’un gord et, à l’arrière-plan, de la ville de Pont-de-l’Arche en 1852. Dessin de Félix Benoist (1818-1896), lithographié par Charpentier (1852)
- © Félix Benoist (1818-1896), lithographie Charpentier (1852)
Pour aller plus loin
- Présentation du livre de Vincent Carpentier et Cyril Marcigny, Pont de l’Arche et le fort d’Alizay-Igoville, les fortifications de la Seine normande, de l’âge viking à la guerre de Cent ans, publié aux PUC (Presses Universitaires de Caen, 2023).
- Page Wikipédia sur Ragnar Lodbrok.
- Autre référence bibliographique sur le sujet : présentation de l'ouvrage "Histoire des vikings. Des invasions à la diaspora" par Pierre Bauduin (Editions Tallandier, 2023).
>> Cyril Marcigny
- Ses pages Wikipédia et Twitter.
- Sa bibliographie (site inrap/academia).
>> Vincent Carpentier
- Sa page sur le Centre Michel de Boüard - CRAHAM (Centre de recherches archéologiques et historiques anciennes et médiévales).
- Sa bibliographie et articles (site inrap/academia).