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Mis à jour le
12 juillet 2024
Collection
Carbone 14

Pour découvrir l’archéologie d’aujourd’hui, ses sciences connexes, mais aussi approcher et décrypter ce que la discipline recouvre de concepts, de modèles, Carbone 14, le magazine de l'archéologie, retrace les avancées de la recherche française et internationale et parcourt terrains, chantiers et laboratoires. Une émission à écouter chaque samedi, de 19 h 30 à 20 h sur France Culture et à réécouter sur Inrap.fr.

Avec :

  • Sophie Krausz, archéologue, protohistorienne, professeure des universités à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
  • Jean-Paul Demoule, archéologue, préhistorien français, professeur émérite de protohistoire européenne à l’université Paris-1 Panthéon-Sorbonne, membre honoraire de l'Institut universitaire de France et ancien président de l'Inrap.
  • Christophe Darmangeat, anthropologue social, maître de conférences, habilité à diriger des recherches, à l'Université Paris Cité.

Le magazine de l’archéologie de France Culture se consacre à « l’archéologie du genre », ce que l’anthropologie anglo-américaine dénomme depuis plus de trente ans, la « Gender archaeology », sujet à la croisée de l’archéologie et de l’anthropologie sociale, et actuellement fort débattu.

Un tout récent article, paru dans la revue Nature Human Behavior, et intitulé Evidence for dynastic succession among early Celtic elites in Central Europe (évidence de la succession dynastique parmi les élites celtes du début de l'Europe centrale), se penche, à l’aide du croisement de la paléo-génomique et des analyses isotopiques, sur la place des femmes au sein de cette société protohistorique. Fort peu de chose sont connus sur elles, et l’on évoque, parfois avec facilité, la fameuse tombe de la dame de Vix.

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Reconstitution du visage de la princesse de Vix (3D)

© Professeur Dirk Vandermeulen, université KU de Leuven

 

La dame de Vix, le meilleur exemple ?

Au pied du Mont Lassois, en Côte d’Or, la fouille d’un tumulus arasé, avait permis de découvrir la sépulture d’une « princesse gauloise » du VIe siècle avant notre ère. Au centre, celle-ci, âgée d’environ 40 ans, reposait sur la caisse du char à quatre roues. Elle était richement parée avec notamment un torque en or, des fibules en bronze décorées d’or, de corail et d’ambre... Un gigantesque cratère grec en bronze, issu de grande Grèce, le plus grand vase métallique de l’antiquité, occupait un angle de la tombe. Il est décoré d’hoplites, de chevaux et de chars et des gorgones forment ses anses. Sont aussi présents une phiale (coupe) d’argent, une œnochoé, des bassins de bronze… Une telle découverte avait fait supposer à certains archéologues une société dirigée par une aristocratie de type matriarcal !

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Reconstitution de la tombe de Vix (Musée du Pays Châtillonnais - Trésor de Vix). - © Antoine Maillier / 2012
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Plan de la chambre funéraire de la Dame de Vix proposé par Bruno Chaume (CNRS), établi à partir des photos et des plans de 1954 et 1958 de René Joffroy - © Dessin Klaus Rothe, PCR « Vix et son environnement »

Matrilinéarité et non pas matriarcat

A défaut de matriarcat, les chercheurs de la récente étude suggèrent une pratique de succession dynastique matrilinéaire puisqu’une relation biologique étroite existe entre deux des tumuli les plus riches.

Nous serions alors dans une relation « avunculaire » c’est-à-dire en lien avec un oncle, si la fille hérite des biens et privilèges de la mère, la transmission masculine se déroule de l'oncle, (le frère de la mère) au neveu, donc le fils de sa sœur. Comment les archéologues perçoivent-ils cette relation et peuvent-ils la confirmer ou l’infirmer, d’après leurs données de terrain ?

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Statuette féminine coiffée en craie, dite Dame d'Amiens, datée du Gravettien, 27 000 avant notre ère, trouvée sur le site d'Amiens-Renancourt 1 (Somme) - © Stéphane Lancelot, Inrap

Jean-Paul Demoule : "Quand la préhistoire émerge au cours du XIXᵉ siècle, on remarque que, quand on trouve des figurines humaines, elles sont essentiellement féminines et souvent avec des caractères sexuels exagérés. Donc, on a eu l'idée d'une part que c'était la maternité, la fertilité, et d'autre part, que, puisque l'on représentait les femmes, eh bien c'était que les femmes devaient avoir une position dominante."

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La vue d’artiste illustrant l’article de R. Haas, "Female Hunters of the Early Americas", Sciences Advances, 2020, vl. 6, n°45 - © Matthew Verdolivo / UC Davis IET Academic Technology Services

Et durant la préhistoire, quelle place pour les femmes ?

Durant la préhistoire, la femme passait pour faible et sans défense, par essence soumise, un récent livre associé à un téléfilm parus en 2021 en faisait une chasseresse, combative et puissante, mieux, respectée, honorée et vénérée : Lady Sapiens.

Jean-Paul Demoule : "Lady Sapiens", c'est un livre et un téléfilm, un grand succès puisque tout à fait dans l'air du temps. Mais comme nous avons été plusieurs à essayer de le dire, il ne faut pas forcément défendre une cause juste, c'est-à-dire l'égalité entre les femmes et les hommes, avec des arguments archéologiques préhistoriques qui soient beaucoup moins fondés."

Christophe Darmangeat : "On a peu de matériel archéologique qui nous parle de la division sexuée du travail quand on remonte au paléolithique, mais on ne voit pas très bien comment cette division serait apparue dans l'intervalle de manière indépendante chez les Inuits, dans la Terre de Feu, en Australie, etc., si elle n'avait pas déjà été présente et relativement universelle il y a un certain nombre de milliers d'années."

L’anthropologie sociale tend aujourd’hui à infirmer la présence du matriarcat primitif durant le Paléolithique, ainsi, le patriarcat, et donc la domination des hommes, ne seraient nés avec l’émergence du Néolithique, de la sédentarisation et de l’agriculture. Il en est de même de la place prépondérante de la femme dans les « grandes chasses » préhistoriques, celles de gibier dangereux. Il existe toutefois quelques exceptions, par exemple aux Philippines, où les femmes chassent aussi ce genre de proies.

Jean-Paul Demoule : "C'est évident que la génétique, depuis une dizaine d'années, a apporté énormément d'éléments, et ce qui me paraît le plus important, c'est justement dans ces questions de systèmes de parenté. [...] En définitif en archéologie, l'important, au-delà des méthodes et des techniques, c'est effectivement les modèles sociaux et historiques que l'on peut construire, l'archéologie comprenant le passé, à éclairer, aussi le présent, sinon le futur."

>> A visiter, l'exposition temporaire, Archéocapsule : féminin/masculin, archéologie des sexes jusqu'au 31 août 2024 au musée du Pays Châtillonnais - Trésor de Vix, une exposition conçue et réalisée par l'Inrap.

Bibliographie choisie (non exhaustive)

Pour aller plus loin

Année :
2024
Durée :
30 min
Année :
2024