Labellisée « L’Inrap a 20 ans ! », l'exposition « Au pied du mur, l’enceinte romaine du Mans » est présentée au musée Jean-Claude-Boulard-Carré Plantagenêt du Mans (Sarthe). Stéphane Augry, archéologue à l’Inrap, et Julie Bouillet, responsable des collections archéologiques des musées du Mans, reviennent sur l'histoire de cette enceinte et sur la conception de cette exposition, la première consacrée à ce monument unique en Europe.

Dernière modification
07 juin 2022

Comment est né ce projet d’exposition ?

Julie Bouillet : En France, il existe très peu d’enceintes datant de l’Antiquité tardive conservées dans des proportions aussi conséquentes. Il n’y a jamais eu d’exposition rétrospective sur ce monument qui est unique. Le projet « Au pied du mur, l’enceinte romaine du Mans » a débuté en 2017 avec le projet collectif de recherche (PCR) unissant une quarantaine de chercheurs dont Stéphane Augry, Estelle Bertrand, Hugo Meunier et Martial Monteil qui sont les commissaires scientifiques de l’exposition, et moi qui en assure le commissariat général. Ce PCR est venu appuyer la candidature la ville du Mans pour classer l'enceinte au patrimoine mondial de l’humanité (Unesco). L’Unesco apporte une reconnaissance patrimoniale de niveau mondial. Il est apparu intéressant, à l’occasion de cette candidature, d’étoffer et d’affiner les recherches qui existaient déjà, notamment les travaux importants menés par Joseph Guilleux dans les années 1990-2000. Le label Unesco apporte une visibilité internationale à la ville, même si le travail mené actuellement et ses retombées ne se limitent pas à cette labellisation. La forteresse méritait d’être mieux reconnue au niveau national et aussi d’être redécouverte par les Manceaux et les Sarthois qui ne connaissent pas nécessairement son histoire.

Quand a été construite l’enceinte romaine ?

Stéphane Augry : Le chantier de construction a été énorme et sa durée est l’une des principales interrogations des archéologues. Jusqu’à présent, l’enceinte était datée de 280, alors qu’elle semblerait plutôt remonter au IVe siècle, dans une marge comprise entre 320-360. Cette différence est importante car la situation politique évolue beaucoup entre les deux siècles. On a ainsi souvent associé ces enceintes aux invasions barbares. Or, on s’aperçoit aujourd’hui que le chantier de construction s’inscrit dans une période de stabilité de l’Empire et surtout d’affirmation du pouvoir politique. Un chantier qui a demandé des moyens aussi importants nécessite une certaine stabilité. Il est encore difficile de mesurer le rôle des élites locales et des militaires, de savoir dans quelle mesure l’armée a pu participer à ce chantier.

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Détail du chantier de construction de l’enceinte. Illustration Olivier-Marc Nadel, 2022.

 ©Ville du Mans

On sait que celui-ci s’est déroulé par section et on a une idée du sens de sa progression, par exemple du nord vers le sud à partir de la tour d’angle, côté nord. Quant à savoir s’il s’est étalé sur 10, 15, 20 ans, c’est encore difficile à dire. Les datations du IVe siècle ne concernent qu’une petite partie de l’enceinte, au niveau de la collégiale Saint-Pierre-la-Cour. En réalisant des analyses sur d’autres secteurs on aura plus d'informations sur la construction globale de l’enceinte et on saura s’il y a des écarts de dizaines d’années ou si au contraire, le chantier a bénéficié de moyens suffisants et a été relativement court.

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Le Mans, soubassement de gros blocs et petit appareil de moellons de la tour d'angle.

© Stéphane Augry, Inrap

 

Pourquoi l’enceinte est-elle si bien conservée ?

Stéphane Augry : L’enceinte englobe une surface de 8,5 hectares. Elle comportait une quarantaine de tours à l’origine dont une vingtaine est conservée. Le mur est construit selon une technique romaine : du mortier entre deux parements. Ce que l’on appréhende moins c’est son épaisseur : 5 mètres à la base, ce qui est impressionnant. Cette monumentalité a évidemment favorisé la conservation de l’enceinte à travers le temps. L’enceinte a souffert notamment au niveau des tours mais elle a été globalement préservée, aussi parce qu’elle sert  de mur-terrasse pour l’intramuros, une fonction architecturale qui a également favorisé sa conservation. Cette surélévation permis de s’adapter au relief, à la butte à l’intérieur de la ville, et elle facilite les sorties d’eau à divers endroits de l’enceinte. Comme la fortification a perduré jusqu’à aujourd’hui, il y a évidemment beaucoup de modifications à observer à travers le temps à partir de l’Antiquité tardive, mais le tracé romain et la structure de l’enceinte sont préservés, contrairement à d’autres villes de l’ouest de la France, comme Angers, Tours, Rennes, Vannes, Nantes, où l’enceinte est beaucoup moins présente dans le paysage urbain actuel. Une autre particularité de l’enceinte du Mans qu’il faut également signaler est que cette enceinte est remarquablement documentée, en particulier grâce aux travaux réalisés dans les années 1990-2000 par Joseph Guilleux, qui est un historien, mais qui a aussi mené différentes fouilles de sauvetage et programmées. 

Quel est le décor de l’enceinte et quand s’est-il mis en place ?

Stéphane Augry : L’enceinte est essentiellement construite avec des ressources locales dont le grès roussard qui donne cette couleur rouille-rouge très caractéristique, en plus du mortier rose, des briques ocre et, par-dessus, le calcaire ou le grès plus clair, ce qui permet des motifs variés. Quatorze types ont été identifiés : des chevrons, des fleurs, des colonnes, des « x », etc. On retrouve partiellement cette typologie sur des monuments plus anciens en Sarthe, des villas ou des temples, ce qui fait penser qu’il y a une tradition locale qui est assez forte. On retrouve aussi certains décors sur l’enceinte de Nantes, mais de manière moins marquée. Par rapport à la labellisation par l’Unesco, une question importante était de savoir si tous ces décors ont un caractère authentique, puisque l’enceinte côté Sarthe a été en partie restaurée au XIXe siècle, faisant dire à certains que le décor avait été inventé par les restaurateurs de l’époque. Or, lors de fouilles préventives, nous avons mis au jour des parties de l’enceinte enfouies au XIVe siècle qui ont démontré le caractère authentique du décor que l’on observe sur tout le reste de l’enceinte.

Comment l’enceinte a-t-elle évolué au cours de l’histoire ?

Stéphane Augry : Les interventions archéologiques majoritairement menées par l’ Afan-Inrap sont assez bien réparties tout autour du noyau primitif, formé par l‘éperon du Mans, mais elles sont rares en cœur de la ville où il n’y a pas eu de grands aménagements. Il y a donc des données sur l’origine de la ville qui font défaut, mais quelques soient les interventions que nous menons au Mans, l’enceinte est toujours à considérer même si les emprises ne la concernent pas directement. La fouille que j’ai menée en 2017-2018 au pied de la cathédrale, le long du groupe épiscopal (voir la chronique de site et la notice sur Dolia), a livré des éléments très intéressants sur l’enceinte durant le Moyen Âge. C’est une période d’accalmie et de prospérité au cours de laquelle l’enceinte perd sa fonction défensive et voit la construction du chevet gothique qui déborde du mur. Au-delà du chevet, c’est tout un quartier qui s’est développé alors, sous l’égide de la Reine Bérengère, la veuve de Richard Cœur-de-Lion. Au début de la guerre de Cent Ans, en 1350, la situation change du tout au tout. Le contexte politique est moins stable et une nouvelle enceinte médiévale vient s’agréger à l’enceinte romaine. Elle est construite de manière précipitée, dans l’urgence. On rase le quartier qui venait de se mettre en place et on utilise même les pierres des maisons pour construire ex nihilo une nouvelle fortification qui vient fermer le chevet gothique. Elle est un élément du système défensif, dont le principal est un grand fossé, de 20 m de large et de 5 à 6 m de profondeur. Les terres de ce fossé sont rabattues contre la cathédrale et ce sont ces terres qui ont protégé en partie l’enceinte romaine dans son état médiéval. La stratigraphie atteint par endroit 8 m et la terre a protégé des élévations de l’Antiquité tardive, ainsi que des parties du chevet gothique.

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Le chantier au Moyen Âge final, illustration, Olivier-Marc Nadel.

©Ville du Mans

Les sources écrites évoquent des raids anglais dans les faubourgs du Mans, d’où l'importance de ces fortifications. La forteresse évolue donc beaucoup dans le temps, mais pas seulement du fait de sa fonction militaire. Il y a également un aspect sacré qui est important et qui s’affirme au VIIe siècle quand une partie des tours ont été transformées en oratoires. La tour Saint-Michel qui a été fouillée est romaine. Or, on sait grâce au testament de l'évêque Bertrand, qu’elle a été transformée en oratoire. Cette sanctuarisation a aussi une fonction protectrice. Le chapiteau mis à jour dans la tour Saint Michel provient d’un aménagement carolingien. Un fragment d’arcade avec des cordons appartiendrait à un ciborium, un dispositif liturgique que l’on retrouve souvent en Europe de l’est voir en Gaule du nord. Ces deux lapidaires sont présentés dans l'exposition.

Quand et de quelle façon s’est effectuée la patrimonialisation de l’enceinte ?

Julie Bouillet : Au XIXe siècle, Arcisse de Caumont a fait des relevés de certaines des tours et de nombreux érudits locaux se sont intéressés au monument sachant qu’à cette époque, l’enceinte n’était pas  aussi visible qu'actuellement. Il y avait tout un quartier, le quartier des tanneurs, qui s’était installé sur les bords de Sarthe. Dans l’exposition, des peintures du XIXe siècle montrent de quelle façon l’enceinte était alors englobée dans l’habitat, faisant apparaître ici et là une tour ou une poterne.

Malgré cela, l’enceinte est classée monument historique dès 1862 et est évoquée dans de nombreux textes. Dans la première moitié du XXe siècle, des dégagements, des travaux à l’occasion d’effondrement, suscitent un nouvel intérêt autour de la question de la propriété de certaines portions de l’enceinte. Dans l’exposition, nous montrons une affiche touristique qui date de 1935-1938 où l’on voit « Le Mans, son golf, son enceinte » témoignant que l’enceinte est déjà un symbole touristique. Dans les années 70, un projet de création d’une 4 voies au pied de l’enceinte occasionne une véritable levée de boucliers des protecteurs du patrimoine. C’est à ce moment-là que les bords de Sarthe sont dégagés. 1980 est l’année du patrimoine et marque une nouvelle politique patrimoniale qui place le monument au premier plan pour la ville et la région

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Comment se structure l’exposition ?

Julie Bouillet : L’exposition est divisée en cinq sections qui sont précédées d’une introduction présentant la ville du Mans avant qu’elle ne se rétracte à l’intérieur de l’enceinte. La première partie du parcours s’attache à la symbolique de cette enceinte, dédiée à la représentation de l’autorité, sans négliger sa fonction défensive et militaire.  La question de sa datation est également évoquée. La seconde partie est consacrée au chantier de construction lui-même, les matériaux utilisés, les outils nécessaires à la construction, les décors. La troisième s’intéresse à la vie quotidienne et s’attache à décrire les manières de vivre au Mans aux IVe-Ve siècle, une période souvent peu présente dans les musées. Nous évoquons des aspects assez classiques comme la parure, les soins du corps, l’alimentation, l’économie, ainsi que les rituels funéraires qui évoluent au cours de la période, puisque l’on passe de l’incinération à l’inhumation.

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Corne à boire, verre, IVe siècle, musée Jean-Claude Boulard – Carré Plantagenêt.

©Ville du Mans

L’enceinte romaine est restée une limite territoriale forte tout au long du Moyen Âge. La ville s’est développée en l’englobant progressivement sans quasiment jamais la détruire. Son utilisation a évolué au fur et à mesure des siècles, certaines tours sont par exemple utilisées comme chapelles dès le haut Moyen Âge. La quatrième partie de l’exposition évoque ce sujet de l’enceinte au fil des siècles, entre le Ve et le XVIIIe siècle.
Pour terminer le parcours, la dernière section porte sur l’enceinte du XIXe siècle jusqu’à nos jours. On découvre alors que la fortification, devenue quasiment invisible au XIXe siècle fait malgré tout l’objet d’études et de relevés par les érudits et archéologues de l’époque. Les dommages dont elle a été victime sont évoqués ainsi que le travail mené pour la redécouvrir, la valoriser et la restaurer jusqu’à être aujourd’hui un symbole touristique et patrimonial fort de la ville.

Quels sont les objets qui sont présentés dans l’exposition ?

Julie Bouillet : La difficulté de cette exposition est que le « chef d'œuvre » de l’exposition, l’enceinte, est à l’extérieur du musée. Il y a très peu de mobilier découvert au Mans, malgré des trouvailles exceptionnelles, comme les deux lapidaires médiévaux mis au jour par Stéphane en 2017-2018 dans les jardins de la cathédrale. Pour pallier ce manque, des prêts ont été réalisés auprès de musées, d’institutions patrimoniales et d’archives, avec l’aide notamment des chercheurs de l’Inrap des Pays de la Loire, Bretagne, de Normandie, mais aussi des collègues des SRA (Services régionaux de l’archéologie) et d’autres spécialistes.

Nous avons également mis en place un nombre important de dispositifs numériques dont des vidéos, « paroles d’experts », qui ponctuent le parcours et font intervenir plusieurs chercheurs de l’Inrap. Stéphane évoque l’enceinte au Moyen Âge, Élodie Cabot les rites et pratiques funéraires, Stéphanie Raux, la vie quotidienne… Il y a un film d’animation en motion design qui explique les trois techniques de datation : carbone 14, archéomagnétisme et la luminescence optiquement stimulée (OSL). Surtout, nous présentons une restitution 3D qui montre les étapes-clé de l’histoire de l’enceinte, non pas vue côté Sarthe, qui est la partie la plus connue, mais côté cathédrale et hôtel de ville. On voit la ville avant la construction de l’enceinte romaine, pendant le chantier, au XIVe siècle (pendant la guerre de Cent ans), au XVIIIe siècle et aujourd’hui, alors que l’enceinte n’est quasiment plus visible mais toujours présente.
Enfin, tout au long de l’exposition, avec le service patrimoine nous proposons un important programme de médiation et d'animation. À l’occasion des Journées européennes de l’archéologie et des Journées européennes du patrimoine, des démonstrations du travail du verre, de taille de pierre, des spectacles sont au programme !

Commissariat général
Julie BOUILLET, responsable des collections d'archéologie des Musées du Mans
Commissariat scientifique
Stéphane AUGRY, Archéologue, Inrap, UMR 6566 CReAAH
Martial MONTEIL, Professeur d'archéologie romaine, Université de Nantes, UMR 6566 CReAAH
Hugo MEUNIER, Archéologue, Ville de Laval / Le Mans Université, UMR 6566 CReAAH
Estelle BERTRAND, Maître de Conférences en histoire romaine,  CReAAH-UMR 6566, Le Mans Université