L’Inrap consacre sa cinquième saison scientifique et culturelle au Néolithique. Cette période charnière de notre histoire voit le développement de l’agriculture et le passage à un nouveau mode de société, basé sur la production, qui bouleverse notre rapport à la nature. Aujourd'hui, le Néolithique est invité aux grand débats sur l’Anthropocène, dont il serait, pour certains chercheurs, le déclencheur. Il est aussi un objet de recherche archéologique dense, dont la connaissance a fait un bond en France ces trente dernières années grâce à l’essor de l’archéologie préventive. La saison « Néolithique » offre ainsi l’occasion de faire se rencontrer le débat archéologique et les questionnements les plus actuels. Mais, au fond, qu’est-ce que le Néolithique ?

Dernière modification
24 mars 2021

L’agriculture, mais pas seulement…

Moment fondamental dans l’histoire de l’humanité, le Néolithique est le phénomène culturel qui a vu des communautés nomades, vivant jusque-là de chasse et de cueillette, construire les premiers villages, domestiquer des animaux et des plantes et bâtir les premières sociétés hiérarchisées. Dans les vieux manuels scolaires, le Néolithique ou littéralement « âge de la pierre nouvelle » est l’âge de la pierre polie. Aujourd’hui, il existe un large consensus sur le postulat selon lequel le Néolithique apparaît pour la première fois au Proche-Orient avec la maîtrise de l’agriculture et de l’élevage, avant de réapparaître de manière indépendante et à des dates variées dans plusieurs autres « berceaux » de l’agriculture : Amérique centrale, Andes, Chine, Japon, Afrique, Nouvelle-Guinée...

Si l’on conditionne sa naissance à l’« invention » de l’agriculture (entendons ici l’élevage d’animaux et la culture de plantes domestiques), le Néolithique apparaît au sens strict vers 8000 avant notre ère au nord du Croissant fertile, au Proche-Orient. Ce moment ouvre la séquence au cours de laquelle différents groupes humains, très progressivement et sans exclure la chasse et la cueillette, vont fonder l’essentiel de leur subsistance sur la culture de céréales et de légumineuses (pois et lentilles), et sur l’élevage du mouton et de la chèvre, puis du bœuf et du cochon, ainsi que des plantes textiles (pour la fabrication de tissus). C’est aussi au cours de cette première phase du Néolithique, que la céramique (attestée déjà au Japon à des dates bien plus anciennes) se développe au Proche-Orient, une technique qui a servi de marqueur et de vecteur aux différentes cultures du Néolithique et dont les vestiges permettent ainsi de suivre les évolutions et les dynamiques d’expansion.

La dame de Villers-Carbonnel (Somme), vers 4000 avant notre ère, mise au jour en 2010.

La dame de Villers-Carbonnel (Somme), vers 4000 avant notre ère, mise au jour en 2010.

© Dominique Bossut, Inrap 

On utilise régulièrement le terme de « rupture » ou de « révolution » pour qualifier l’importance du tournant néolithique. Ce terme laisse entendre un processus très rapide, ce qui n’est pas tout à fait exact du point de vue des inventeurs de l’agriculture,puisqu'il aura fallu plusieurs centaines d'années au processus pour se développer, résultat d’un long brassage entre cultures, d’accidents et de tentatives autonomes plus ou moins fructueuses. Tous les berceaux du Néolithique, de la Chine à l’Amérique du Sud en passant par le Proche-Orient connaissent des expériences agricoles : riz, haricot, maïs, courge, manioc… De plus, cette phase d’invention a été précédée au Proche-Orient de deux grandes phases (entre 12 500 et 8300) au cours desquelles apparaissent la sédentarisation et certains des grands traits qui caractérisent le Néolithique : maisons, villages, enceintes, haches polies, premières mises en culture…

Arrivé, vers 5800 avant notre ère en France, dans un espace encore occupé par les sociétés de chasseurs-cueilleurs autochtones, le mode de vie néolithique ne prendra que quelques centaines d’années pour se diffuser et « coloniser » l’ensemble du territoire, un moment très bref si on le replace à l’échelle des temps paléolithiques et mésolithiques qui l’ont précédé. 

É​léments de mouture, culture Villeneuve-Saint-Germain, Néolithique ancien, Champagne-sur-Oise (Val-d'Oise).

Éléments de mouture, culture Villeneuve-Saint-Germain, Néolithique ancien, Champagne-sur-Oise (Val-d'Oise).

© Denis Gliksman, Inrap

 

« Baby-boom » et expansion néolithique

Partout dans le monde, le passage à une économie agropastorale a coïncidé avec une poussée démographique sans précédent, dont témoigne l’augmentation considérable des vestiges archéologiques, en particulier dans les nécropoles. Cette croissance démographique (ou « transition démographique agricole ») s’explique par l’ impact du nouveau mode de vie (sédentarité, alimentation plus riche…) sur le taux de fécondité. Concomitant de l’agriculture, ce boom démographique se traduit au Proche-Orient par l’expansion géographique de ces populations agropastorales. Ce mouvement n’a pas pour origine une crise de surpopulation ou un désir de conquête : une partie des habitants se déplace vers un territoire généralement proche (peut-être moins proche s’il s’agit d’une navigation maritime) afin d’exploiter de nouvelles terres cultivables et fonder de nouveaux villages. Ces groupes emportent avec eux leurs troupeaux, leurs grains, leur manière de construire des maisons, leurs modes de vie, introduisant à leur passage leurs espèces domestiquées, bœufs, chèvres, moutons, légumineuses, qui font ainsi leur entrée en Europe. C’est la répétition de ce processus, de proche en proche, génération après génération (avec aussi ses temps d’arrêt et son « arythmie »), qui aboutit progressivement au peuplement de la Turquie entre 8000 et 7 000 avant notre ère, puis de la Grèce, de la Péninsule balkanique dans son entier vers 6500 avant notre ère.

Lames de haches polies découvertes sur différents sites des Côtes-d'Armor.

Lames de haches polies découvertes sur différents sites des Côtes-d'Armor.

© Hervé Paitier, Inrap 


 

Premières implantations du Néolithique en France

Propageant ce processus  dit de « néolithisation » sur de larges territoires, cette dynamique de peuplement a aussi pour conséquence une multiplication des foyers d’origine qui complexifie la compréhension des voies et des rythmes de pénétration du Néolithique en Europe. Les recherches archéologiques, en particulier sur les vestiges en céramique, ont néanmoins permis de mettre en évidence deux premiers grands courants ou vagues de colonisation de la France, l’un méridional (culture de la céramique « cardiale »), l’autre continental et danubien (culture de la céramique « rubanée »). Le premier courant, maritime et littoral, suit les côtes dalmates et italiennes, la Sicile, la Corse, la Sardaigne, le sud de la France où il commence à s’implanter à partir de 5800 avant notre ère, tout en se diffusant sur le littoral de l’Espagne. Le second courant, dit « danubien » ou « rubané », part d'Europe orientale, franchit le Danube vers 5500 et le Rhin vers 5200 avant notre ère, avant de s’étendre vers l’Europe septentrionale et occidentale, et de s'engager jusque dans le Bassin parisien. C’est un autre groupe, qui lui succède, dénommé « Villeneuve-Saint-Germain » (du nom d’un site situé près de Soissons), qui poursuit l’expansion des colons-agriculteurs vers l’ouest. Il atteint la Bretagne vers 4800 avant notre ère.

En mettant à part le monde outremer (Antilles, à partir de 500 avant notre ère, Guyane entre 300 et 600 de notre ère), le Néolithique se développe en France entre 5800 et 2100 avant notre ère. Une des particularités de la France est d’être en position finistérienne. C’est ainsi que vers 4800 avant notre ère, le groupe de Villeneuve-Saint-Germain se heurte aux côtes atlantiques, marquant l’arrêt de la longue avancée vers l’ouest. La France représente ainsi cet espace singulier en Europe où deux grands courants culturels néolithiques, l’un méridional et l’autre continental vont finir par se rencontrer, vers 4500 avant notre ère, au centre de la France, et commencent de s’influencer mutuellement. Sur le territoire, de nombreux groupes culturels vont se succéder et se recomposer jusqu'à l'aube de l'âge du Bronze.

La saison scientifique et culturelle
 

Des recherches dynamiques

Depuis trente ans, les recherches sur le Néolithique en France ont largement bénéficié du développement de l’archéologie préventive. Les fouilles extensives sur de grandes surfaces ont permis d’étudier des sites majeurs, villages entiers et enceintes néolithiques comme à Pont-sur-Seine (Aube), Carvin (Pas-de-Calais), Avrillé (Vendée), Villers-Carbonnel (Somme), Cournon (Puy-de-Dôme), Bergerac (Dordogne), Villeneuve-Tolosane (Haute-Garonne), maisons et habitat à Chambly (Oise), Mézière (Ille-et-Vilaine), Lannion (Côtes-d'Armor), nécropoles à Thonon-les-Bains (Haute-Savoie), Fleury-sur-Orne (Calvados), minière de silex à Jablines (Orne), violence de masse à Achenheim (Bas-Rhin) et Bergheim (Haut-Rhin), « amputé » de Buthiers-Boulancourt (Seine-et-Marne), traces de pas à Alizay (Eure), sans oublier les découvertes exceptionnelles récentes  comme l’hypogée de Saint-Memmie (Marne, 2019), la  série d’alignements de menhirs et le cairn de Veyre-Monton (Puy-de-Dôme, 2019) et la sépulture collective de Saint-Doulchard (Cher, 2020-2021) dont la fouille vient à peine de se terminer. Toutes ces activités de terrain alimentent les travaux de laboratoire, des études variées (céramologie, études lithiques, géomorphologie, archéobotanique, archéozoologie…) et des corpus de données mis en commun dans des projets de recherche.

La saison Néolithique est l’occasion de stimuler et de mettre en avant des grands travaux de recherche. Rappelons d’abord deux études internationales importantes auxquelles l’Inrap a contribué.  L’une a porté sur les données génomiques de 243 individus échantillonnés dans 54 sites archéologiques français afin de retracer 7 000 ans d’histoire, du Mésolithique à l’âge du Fer et a établi des liens entre les premiers agriculteurs arrivés en France et des populations plus anciennes d'agriculteurs anatoliens et des éleveurs de la steppe pontique d’Europe orientale. L’autre étude porte sur la céramique du littoral atlantique européen afin d’identifier les traces des premières productions laitières néolithiques. Des analyses de tessons de céramique provenant de deux sites français, Lannion (Côtes-d’Armor) et Alizay (Eure), indiquent une consommation de lait de ruminant et de viande dans une enquête qui tend à démontrer le rejet des produits de la mer par les Néolithiques au profit de produits laitiers, avec une prédominance du lait de vache sur le littoral nord de l’Europe et du lait de brebis et de chèvre sur le littoral sud.

Plusieurs nouveaux grands projets interdisciplinaires et collectifs démarrent cette année :

  • sur les « Monumentalités, espaces et compétitions sociales au Néolithique en Europe atlantique (MONUMEN) » (ANR) ;  
  • sur l’« Évolution typologique et technique des meules du Néolithique à l'époque médiévale » (PCR) ;
  • sur les « Dynamiques d'occupation et d'exploitation du sel dans les golfes charentais, du Néolithique à l'âge du Fer » (PCR).

Plusieurs publications sont également prévues, sur le mobilier lithique (silex) du site néolithique de Courdimanche (Val-d’Oise), sur l'enceinte néolithique monumentale de Passel (Oise), et celle du site littoral d’Escalles « Mont d’Hubert » (Pas-de-Calais). À noter également des travaux de doctorat comme par exemple celui sur l’« Organisation des productions lithiques en silex au Néolithique dans la boucle de Jablines en basse vallée de Marne de la fin du Ve au IIIe millénaire avant notre ère ».

Enfin, l’Institut contribuera cette année aux grands cycles de manifestations réunissant préhistoriens et néolithiciens, ainsi le 29e Congrès préhistorique de France (« Hiatus, lacunes et absences : identifier et interpréter les vides archéologiques », Toulouse, du 31 mai au 4 juin 2021), le Congrès international de l’Union internationale des sciences préhistoriques et protohistoriques ( « Evolution of the human societies of prehistory to protohistory », Meknes, du 2 au 7 septembre 2021), les Rencontres méridionales de Préhistoire récente (Rodez, du 22 au 25 septembre 2021), et, enfin, les Rencontres Nord-Sud de Préhistoire récente (La Rochelle, du 28 au 30 octobre 2021).

Une riche programmation culturelle

Cette saison « Néo » est aussi l’occasion de montrer à quel point la période offre matière à débat. Comme le remarquait Jean Guilaine , « le Néolithique n’est pas un simple espace archéologique, c’est le lieu de rencontre de tous ceux qui réfléchissent sur ce moment où l’humanité a basculé vers ce qu’on appelle la « croissance », c’est-à-dire une forme de pression sur l’environnement engendrant des déséquilibres devenus plus aigus, pour ne pas dire inquiétants. De ce fait le Néolithique est partie prenante du débat philosophique sur la place de l’homme dans la nature et sur le sens de sa trajectoire et future ». Cette phrase pourrait servir d’illustration à l’exposition coproduite avec l’Inrap  « La Terre en héritage, du Néolithique à nous », qui se tiendra du 2 avril 2021 au 13 février 2022 au musée des Confluences à Lyon.

Détail d'une maquette présentant un village-type du Néolithique en France présentée dans l'exposition La Terre en héritage.


Détail d'une maquette présentant un village-type du Néolithique en France présentée dans l'exposition La Terre en héritage.

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Inrap/Musée des Confluences

Domestication des animaux, culture des plantes, habitat, transport, production, consommation, le parcours de l’exposition identifie des innovations et des moments-clefs de la maîtrise de l’environnement au Néolithique remis dans la perspective de l’histoire contemporaine où les modifications environnementales atteignent une ampleur sans précédent. Voilà donc le Néolithique propulsé dans notre présent et dans un nouvel horizon chronologique, climatique et culturel, l’Anthropocène, dont il aurait posé les prémisses (early anthropocene), invitant à point nommé la réflexion archéologique à nos questionnements les plus actuels.

Tout au long de l’année, la programmation culturelle de l’Inrap permettra d’approfondir la thématique « Néolithique », au gré des nouvelles découvertes, des ressources et des manifestations culturelles prévues pour la saison. Multimédias, films, entretiens, rencontres, podcasts, jeux, expositions, activités pédagogiques. Toutes ces ressources et ces actualités seront rassemblées dans un espace thématique d’inrap.fr entièrement dédié à la saison scientifique et culturelle.