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Roy Mata : le tombeau d'une légende au Vanuatu

Pour découvrir l’archéologie d’aujourd’hui, ses sciences connexes, mais aussi approcher et décrypter ce que la discipline recouvre de concepts, de modèles, "L'Entretien archéologique" retrace les avancées de la recherche française et internationale, parcourt terrains, chantiers et laboratoires. À écouter le vendredi de 16h30 à 17h sur France Culture.
Une coproduction de France Culture et Inrap.
Avec Frédérique Valentin, archéologue, directrice de recherche CNRS au sein de l’Unité Technologie et Ethnologie des Mondes Préhistoriques de la MSH Monde et Wanda Zinger, bio-anthropologue à l’Université de Tübingen au sein de l’équipe d’archéo-paléo-génétique et chercheuse associée au Musée de l’Homme.
En 1967, l’archéologue José Garanger découvre au Vanuatu la tombe d’un chef devenu légendaire : Roy Mata. Cette découverte réalisée à l’emplacement indiqué par la tradition orale marque un tournant dans l’archéologie du Pacifique. Comment une légende s’est-elle concrétisée avec cette découverte ?
José Garanger à la recherche de Roy Mata : de la tradition orale à la fouille archéologique
"Devant l’extension écrasante de la civilisation et l’anéantissement des cultures traditionnelles, l’archéologie reste l’un des derniers champs de l’aventure ethnologique".
André Leroi-Gourhan, préface à l’ouvrage Archéologie des Nouvelles Hébrides de José Garanger paru en 1972.

Au commencement de l’archéologie entourant le chef légendaire du Vanuatu, Roy Mata, il y a une rencontre entre un archéologue spécialiste des îles Pacifiques, José Garanger et un ethnologue-anthropologue spécialiste de l’Océanie, Jean Guiart. Dans les années 1960, tous deux s’intéressent à une légende du Vanuatu (archipel qu’on appelle alors “Nouvelles Hébrides”), une légende transmise oralement selon laquelle une lignée de chefs pacificateurs se serait installée sur l’île d’Efaté. Selon cette légende, l’un des chefs Roy Mata aurait été enterré sur la petite île de Retoka, en face d’Efaté, à la suite d’un banquet funeste. C’est sur cette île restée inhabitée et taboue que se rend José Garanger en 1967. Il y trouve deux pierres dressées indiquant une probable sépulture. La fouille de la zone révèle une sépulture collective particulièrement impressionnante, la plus importante tombe dans toute la région pacifique sud : la tombe de Roy Mata.

La sépulture de Roy Mata : un chef enterré avec sa cour
Cette sépulture collective abrite en son centre sous les deux pierres dressées, dans le niveau le plus profond, le squelette d’un vieil homme identifié comme Roy Mata, entouré d’un couple enlacé, d’un individu associé à un cochon, et d’une femme allongée aux pieds du chef. Tout autour sont répartis dans des niveaux moins profonds des squelettes d’individus enfants (en faible nombre), d’individus adultes seuls, mais aussi neuf couples mixtes en arc de cercle autour du chef et des paquets d’ossements humains témoignant d’une pratique de réinhumation.

La disposition des squelettes entiers, leur nombre, leurs parures, renvoient à la légende des funérailles du dernier Roy Mata. Toutes les personnes accompagnant le chef dans sa mort semblent avoir été enterrées en même temps que lui dans ce qui semble être un enterrement collectif. Les hommes ont-ils été drogués ? Les femmes associées aux hommes en position recroquevillées ont-elles été étranglées ? Difficile de connaître le déroulé exact de ces funérailles qui semblent participer d’une pratique d’enterrement collectif d’un chef et de sa cour, une pratique documentée en Mélanésie jusqu’au XIXe siècle.

Légende et postérité de Roy Mata : un élément clé de la culture du Vanuatu
La colonisation a imposé l’idée selon laquelle les sociétés sans écriture étaient des sociétés sans histoire. En mettant au jour cette sépulture d’une “légende vraie”, José Garanger a non seulement tordu le cou à ce préjugé, mais a aussi permis d’alimenter un mouvement de recherche en archéologie (en lien étroit avec l’ethnologie) tentant de retrouver la réalité historique qui sous-tend les traditions orales. Le dernier des Roy Mata à la sépulture spectaculaire a été enterré selon les datations au tout début du XVIIe siècle, avant l’arrivée des colons européens, mais son histoire a été transmise oralement jusqu’à nos jours et continue d’être vive au Vanuatu.
Quant aux recherches archéologiques le concernant, elles se poursuivent. Il y a quelques années, un prélèvement d’ossements de la sépulture collective de Roy Mata a été retrouvé dans les collections du Musée de l’Homme et examiné entre autres par Wanda Zinger.
Le mot de la fin revient à José Garanger qui dans son Archéologie des Nouvelles Hébrides parue en 1972 écrivait : « L'archéologue est un intrus dans la société autochtone. Les simples relations d'employeur à employés, sanctionnées par un échange monétaire, sont ici insuffisantes. Croyances et traditions veillent sous les attitudes modernisées et il y a grande indiscrétion à soulever ce voile et plus grande indiscrétion encore à toucher au domaine des morts. Il est donc non seulement nécessaire de se faire accepter mais encore indispensable d'obtenir que sa curiosité ne soit pas indiscrète et que le groupe lui-même participe à l'intérêt de sa recherche. »
Pour aller plus loin
Domaine du chef Roi Mata (UNESCO)
Roy Mata du Vanuatu : la réhabilitation des sociétés sans écriture (France Culture, 2019)
Bibliographie
Archéologie des Nouvelles Hébrides, José Garanger, 1972 (version PDF)
Les références musicales
Le générique du début : Glue, Bicep