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Le bonheur est dans la grotte
Pour découvrir l’archéologie d’aujourd’hui, ses sciences connexes, mais aussi approcher et décrypter ce que la discipline recouvre de concepts, de modèles, Carbone 14, le magazine de l'archéologie, retrace les avancées de la recherche française et internationale et parcourt terrains, chantiers et laboratoires. Une émission à écouter chaque samedi, de 19 h 30 à 20 h sur France Culture et à réécouter sur Inrap.fr.
Avec Laurent Bruxelles, Géomorphologue à l’Inrap, au CNRS, à l’Institut français d'Afrique du Sud (IFAS) et Directeur de la mission française Human Origins in Namibia (MEAE).
Carbone 14, le magazine de l'archéologie, France Culture, le samedi à 19h30
Par Vincent Charpentier
Émission du 27 mars 2021
Chaque grotte à sa couleur, son odeur. Les cavernes sont un monde, Laurent Bruxelles nous en fait faire le tour ! (France, Namibie, Afrique du Sud…).
Une jeune femme regardant une chauve-souris en vol - Toca de Boa Vista (Lage dos Negros, Bahia, Brésil)
© Philippe Crochet
Sous Terre
Un groupe de quinze volontaires vient de se confiner, pour 40 jours, dans une cavité d’Ariège : rien de nouveau ! Voici 170 000 ans, Neandertal était déjà spéléologue et s’enfonçait au plus profond des cavernes, en témoigne la grotte de Bruniquel, dans le Tarn-et-Garonne.
Vue d'un des passages de la partie aménagée de la grotte du Mas-d'Azil (Ariège).
© Carole Bruxelles
Chaque grotte est différente. On ne peut pas dire que l'on en connaisse deux pareils. D'abord parce qu'elles répondent à des questions géologiques et géomorphologiques dans leur évolution. Et ensuite, parce qu'il y a toute l'évolution postérieure de leur recoupement par la surface, pour qu'on puisse rentrer dans la grotte. Dans la grotte elle-même, il faut aussi que l'entrée se soit formée. Et, enfin, il y a l'occupation de la faune et de l'homme qui aménage aussi la grotte ; donc chaque cavité à sa caractéristique.
Plonger dans les grottes, voici le quotidien de notre invité puisqu’il étudie sous toutes les coutures l’une d’elle à quelques centaines de mètres de sa demeure cévenole.
Tout à la fois géomorphologue, spéléologue et « karstologue », Laurent Bruxelles est un des très rares spécialistes mettant en lumière l’évolution des processus cavernicoles, les lois physiques notamment liées aux karsts, ces massifs calcaires dans lesquels l'eau a creusé des cavités.
Chauve-souris suspendue à une stalactite dans la grotte Slin (Gard)
© Philippe Crochet
En ce moment (en mars), si on ne veut pas déranger les chauves souris, l'idéal est d'aller de nuit sous terre puisqu'elles sont sorties pour chasser. Hier soir, nous sommes rentrés à 3 heures du matin pour aller faire des petits prélèvements dans une grotte sans les déranger parce que l'on aime les chauves-souris et qu'évidemment, il faut les protéger !
Crottes en grottes
Dans cet inventaire des formes de parois, Laurent Bruxelles étudie l’impact de l’occupation passée d’immenses colonies de chauves-souris. Hormis la curieuse habitude de dormir la tête en bas, celles-ci produisent d’énormes quantités d’excréments (le guano) qui libère beaucoup d’acide dans l’air. Leur respiration dégage du CO2 et de la vapeur d'eau qui, combinés, forment un acide très agressif pour les parois calcaires. Ces observations ont un impact direct sur l’archéologie, puisque des parois, originellement peintes ou gravées, ont reculé de plusieurs centimètres, voire dizaines de centimètres. Qu’en est-il, dans ce cas, de la répartition de l’art pariétal au sein des grottes ?
La grotte est un milieu initialement très stable, mais par contre, la moindre source d'acidité va très vite la faire évoluer. Alors, souvent l'entrée de la grotte va évoluer de manière assez rapide parce qu'il y a, par exemple, le froid qui va entrer, un peu de végétation, de la matière organique... Mais très profondément, en fait, on s'est aperçu que les chauves-souris - elles peuvent aller jusqu'à 2 kilomètres sous terre - vont amener tout un écosystème avec elles.
Tour du monde cavernicole
Lascaux (Dordogne), Chauvet (Ardèche), Gargas (Hautes-Pyrénées), le Mas-d’Azil (Ariège), ses recherches ne portent pas que sur la France, puisqu'à la tête d’une mission française, Laurent Bruxelles explore les cavités de Namibie, du Mozambique et du Botswana à la recherche de nouveaux fossiles d’hominines. Son but est d'élargir le berceau de l’humanité au travers de régions encore inexplorées.
(Dans la grotte du Mas-d'Azil en Ariège) Les seuls endroits où on trouve de l'art pariétal, ce sont dans les petites galeries latérales où les chauves souris ne sont pas allées. Et d'ailleurs, dans ces galeries latérales, on voit encore les formes de creusement, c'est-à-dire les formes que la rivière a laissées lorsqu'elle coulait. Donc, finalement, on se dit qu'il y a certainement quelque chose qui se passe là où les chauves souris ne sont pas allées. Si les conditions étaient bonnes, l'art pariétal est préservé, mais par contre, là où elles sont allées, l'agressivité est telle que l'art a disparu et ça veut dire qu'il faut revoir certainement toutes les grottes ornées.
Par exemple, lorsqu'on regarde la grotte Chauvet, si les peintures aujourd'hui sont intactes et préservées, c'est parce que le porche s'est effondré et que les chauves-souris n'ont pas pu y entrer. La grotte Cosquer, c'est parce que la mer est montée et donc, là aussi, il y a une préservation de cet appareil vital. Les grottes de Cussac, de Niaux, de Pech Merle, toutes sont des grottes qui ont une histoire où, à un moment, la connexion avec la surface s'est fermée et donc, finalement, l'art pariétal a été préservé.
Le lac de Sterkfontein. Sous le niveau de la nappe phréatique, la grotte continue à se creuser, lentement. De futurs pièges à fossiles sont en formation.
© Laurent Bruxelles / Inrap / IFAS / TRACES
L’émission est aussi l’occasion de plonger, à nouveau, dans une des plus célèbres grottes du monde pour une visite guidée de Sterkfontein au nord-ouest de Johannesburg (Afrique du sud), y redécouvrir Little Foot, l’Australopithèque vieux de 3,7 millions d’années, un peu plus ancien que Lucy, juste d’un demi-million d’années !
Laurent Bruxelles est géomorphologue à l’Inrap, au CNRS, à l’Institut français d'Afrique du Sud (IFAS) et directeur de la mission française Human Origins in Namibia (MEAE).
Le squelette de l'australopithèque Little Foot, complet à plus de 95%, est conservé dans une chambre forte de l'Université du Witwatersrand à Johannesburg (Afrique du Sud)
© Laurent Bruxelles / Inrap / IFAS / TRACES
Pour en savoir plus
- A lire, deux articles sur l'expérience "Deep time" démarrée le 14 mars 2021 : l'article paru sur le site de France Bleu Occitanie "Pourquoi 15 volontaires vont s'enfermer dans une grotte de l'Ariège pendant 40 jours à partir de dimanche" et l'article "En Ariège, 15 volontaires confinés 40 jours dans une grotte pour une expérience scientifique inédite" sur la page Sciences du site Le Figaro.fr.
- A lire, un article/entretien avec Laurent Bruxelles "L'appel de la grotte" (Site de l'Inrap, Avril 2020).
- A découvrir, la mission "Human Origins in Namibia" (site de l'association Grottes et Archéologies).
- A admirer, les magnifiques photos de faune souterraine du spéléologue Philippe Crochet sur son site personnel.
- A visionner, le reportage d'Envoyé Spécial diffusé le 19 avril 2018 sur France 2 "L'aventurier et le berceau de l'humanité", qui a suivi Laurent Bruxelles.