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La révolution de l’anthropologie funéraire
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Pour découvrir l’archéologie d’aujourd’hui, ses sciences connexes, mais aussi approcher et décrypter ce que la discipline recouvre de concepts, de modèles, "L'Entretien archéologique" retrace les avancées de la recherche française et internationale, parcourt terrains, chantiers et laboratoires. À écouter le vendredi de 16h30 à 17h sur France Culture.
Une coproduction de France Culture et Inrap.
Avec Valérie Delattre, archéo-anthropologue à l'Inrap et chercheure titulaire au laboratoire ArTeHiS (Archéologie, Terre, Histoire, Sociétés) de l'Université de Bourgogne et Patrice Georges, archéo-anthropologue à l’Inrap, spécialiste des momies.
L’anthropologie funéraire vit une formidable révolution, révolution méthodologique conceptuelle, débouchant sur de nouvelles problématiques interdisciplinaires.
La mort, les morts, et les gestes des vivants
En quarante ans, l’anthropologie funéraire a vécu une formidable révolution, révolution méthodologique bien entendu, mais surtout conceptuelle, débouchant sur des problématiques interdisciplinaires, croisant désormais Histoire, archéologie et anthropologie culturelle, toujours autour de la mort. Etudier des sépultures, c’est percevoir, tout à la fois, les morts et la mort, mais aussi, nombre de gestes appartenant au monde des vivants. Rappelons, comme l’écrit Maurice Godelier, que « nulle part, la mort, ne s’oppose vraiment à la vie » et que de par le monde, les rites funéraires sont toujours rythmés par trois temps : les rites de séparation, les rites de marge et les rites d’agrégation...
Par chance, au fil du temps, ces pratiques, ces gestes, ont été d’une invraisemblable diversité et ceux-ci constituent, désormais, une source d’informations capitale pour appréhender les sociétés du passé. Cette anthropologie funéraire que l’on dénomme l’archéo-thanatologie s’avère donc biologique et sociale.
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Des tombes d’exception
Longtemps, l’ouverture de tombes n’était pratiquée que pour y collecter des objets ; aujourd’hui les archéo-anthropologues font une recherche in situ des faits, de "tous" les faits. Deux exemples sont évoqués parmi les sépultures d’illustres. Le premier, Louis XI, mort d’une hémorragie cérébrale et inhumé, le 6 septembre 1483, non pas à Saint-Denis mais dans la basilique de Notre-Dame de Cléry. Le second, est le prince de Lavaud, aristocrate celte du Ve siècle avant notre ère, dont la tombe est en cours d’étude. Les dernières recherches révèlent que ce très grand personnage, inhumé avec de la vaisselle grecque et étrusque, ne possédait pas de réelle pathologie à son décès, n’appartenait pas à la sphère guerrière, mais à une élite intellectuelle.
Peste et sépultures de crise
Aujourd’hui, en France, est lancé un vaste programme d’analyses paléo-génomiques et isotopiques autour de la peste justinienne qui ravagea l’Europe.
« Les sépultures de catastrophe » sont dénommées aujourd’hui "sépultures de crise". Une des plus belles est celle du Félix Potin de Réaumur-Sébastopol, à Paris. Au rayon shampooings, deux volées d’escaliers permettaient de déboucher sur des centaines de corps alignés sur le sable, morts d’une épidémie de peste, tuberculose, ou choléra…
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- © D. Glicksman / Inrap
L'archéo-anthropologie au service de la justice
L’anthropologie funéraire trouve aussi d’étonnants débouchés dans des enquêtes judiciaires. Juges d’instruction, gendarmerie et police emploient des archéo-anthropologues de l’Inrap et les méthodes de l’archéologie préventive, pour mettre en évidence des corps disparus, enlevés ou non, notamment dans les grandes affaires, très médiatiques. Patrice Georges, invité de l’émission, est parallèlement expert auprès du tribunal international de La Haye.
Aujourd’hui, à la demande d’associations de Harkis et du Secrétariat des anciens combattants, des recherches sont entreprises dans les camps de Rivesaltes et de Laudun-L’Ardoise. Le camp de Saint-Maurice-l’Ardoise est l’un des principaux camps ayant accueilli des harkis et leurs familles en France après le cessez-le-feu du 19 mars 1962. Fermé en 1976, 31 enfants y sont décédés et inhumés entre 1962 et 1964. En 2023, le cimetière des harkis du camp a fait l’objet, en accord avec les familles, de fouilles par l’Inrap, au cours desquelles 27 tombes ont été découvertes, certaines parfois vides.
Une archéologie de la Guerre d’Algérie est-elle envisageable ?
Ces nouvelles recherches autour des communautés Harkis soulèvent une réelle question : une archéologie de la Guerre d’Algérie serait-elle envisageable malgré une énorme chape de plomb posée par l’ensemble des parties prenantes ?
Si rien n’est actuellement vraisemblable, voire concevable, l’émission évoque une archive d’exception. En 1982, le journal Libération publiait, sous la plume de Lionel Duroy, un article retentissant : la découverte d’un charnier dans une petite ville des Aurès, Khenchela, et la fouille de plus de 1 200 victimes au sein d’un camp de l’armée française, pleinement occupé entre 1956 et 1962. Cette archive de l’Ina, issue d’un reportage sur le terrain de TF1, a certains propos qui peuvent choquer.
Aujourd'hui, l’archéologie de la Guerre d’Algérie ne débute donc pas dans les Aurès, mais en France, avec les premières fouilles dans les camps de Rivesaltes et de Laudun-L’Ardoise
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Archives diffusées
- Extrait du journal télévisé de 20h de TF1 - daté du 3 juin 1982 - Le charnier (l'INA éclaire l'actu).
- Extrait du journal présenté par Philippe Labro - daté du 4 juin 1982 - Antenne 2 midi - Le charnier (l'INA éclaire l'actu).
Pour aller plus loin
- Patrice Georges, sur le site du laboratoire TRACES (Travaux et Recherches Archéologiques sur les Cultures, les Espaces et les Sociétés) de l'Université de Toulouse Jean Jaurès. Sur le site de l'Inrap. Sa page Twitter et sa page Linkedin.
- Ouvrages de Patrices Georges sur le site des éditions de l'Harmattan.
- Valérie Delattre, présentation et publications sur Linkedin, Radio France, Cairn.info, Babelio, Hypothèses.