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Mis à jour le
14 janvier 2022
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Carbone 14

Pour découvrir l’archéologie d’aujourd’hui, ses sciences connexes, mais aussi approcher et décrypter ce que la discipline recouvre de concepts, de modèles, Carbone 14, le magazine de l'archéologie, retrace les avancées de la recherche française et internationale et parcourt terrains, chantiers et laboratoires. Une émission à écouter chaque samedi, de 19 h 30 à 20 h sur France Culture et à réécouter sur Inrap.fr.

Avec Julien Boislève, archéologue à l'Inrap et spécialiste des peintures murales et stucs d'époque romaine, appelé aussi un toichographologue, Alain Genot, archéologue au Musée départemental Arles Antique, et Marie-Pierre Rothé, responsable de l’opération archéologique au Musée départemental Arles antique.

Le site de la Verrerie, en Arles, a été fouillé récemment et a révélé d’exceptionnelles fresques (enduits peints) antiques. Depuis, un immense puzzle est entrepris afin d'en restituer l’éclat.

Plaque d’enduit recomposée et remontée à plat dans le sable.



Plaque d’enduit recomposée et remontée à plat dans le sable.

 

• Crédits : © Rémi Bénali / Inrap / MDAA

La maison de la Harpiste

Cette demeure romaine, baptisée « la maison de la Harpiste » en référence à l’un des personnages peints sur ses murs et fouillée sur 105 m², se distingue par sa datation très précoce, son caractère luxueux et l’état de conservation exceptionnel de ses enduits peints.
Elle est bâtie dans les années 70-50 avant notre ère, avant même la création de la colonie d’Arles, par des artisans venus d’Italie qui vont ériger la maison selon des techniques de construction romaines (murs maçonnés, tuiles, sols en briquettes placées en épis – opus spicatum qui seront généralisés en Gaule bien plus tard, dans les années 30 avant notre ère). Cette datation précoce témoigne qu’Arles était un point de diffusion important des nouvelles modes et techniques à travers les provinces nouvellement acquises à Rome.

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La salle d’exposition temporaire du musée départemental Arles antique mise à disposition pour l’étude des peintures romaines du site de la Verrerie.

 

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• Crédits : Rémi Bénali / Inrap / MDAA

Julien Boislève "Après les quatre campagnes de fouilles, nous avons tout de suite engagé les études de peinture dans le cadre de la post-fouilles, mais nous avons d'abord consacré notre travail aux peintures des maisons postérieures à la fameuse maison de la harpiste, donc aux peintures du deuxième et troisième siècles qui ont livré des ensembles tout à fait conséquents et intéressants. Évidemment, le gros morceau, entre guillemets, c'est l'ensemble de la maison de la harpiste qui présente 800 caisses de fragments sur les 1 200 que nous avons prélevés et dont nous étudions cette année, une première pièce."

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Arles, maison romaine de la Verrerie, Ier s. avant notre ère, personnage féminin jouant d'une sorte de harpe.

 

• Crédits : © Rémi Bénali / Inrap / MDAA

Julien Boislève "C'est une tradition en archéologie, d'appeler les maisons, dans les villes où l'on fouille depuis des années, soit par des objets, soit des éléments-clés, plutôt que par des numéros ou des lettres, un peu tristes. Et là, la peinture nous donnait, avec ce personnage emblématique qui avait fait un petit peu le tour du monde à l'occasion de sa découverte, l'occasion de retenir ce nom, la maison de la harpiste."

De plan traditionnel pour une domus de la fin de la République, son atrium comprend une galerie entourant un bassin recueillant les eaux pluviales (impluvium) et dessert une série de pièces dont deux ont été intégralement fouillées. Le décor de la première pièce suggère une salle à manger ou une chambre. La seconde pièce, largement ouverte sur l’atrium et aux somptueux décors peints, ne peut être qu’une salle de réception.
La maison est détruite entre 50 et 40 avant notre ère et est remblayée par ses propres décombres.

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Remontage des enduits peints dans l’atelier de conservation et de restauration du Musée départemental Arles antique.

 

• Crédits : © Rémi Bénali / Inrap / MDAA

Julien Boislève "Dans le cas d'Arles, ces enduits ont quand même traversé plus de deux mille ans, donc, c'est bien qu'ils sont assez solides. [...] On a un enduit à fresque, une peinture qui a été peinte dans le mortier frais où le pigment était durablement fixé de cette fraîcheur de la couleur. On n'est pas très loin, vraisemblablement, de la couleur d'origine."

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Julien Boislève (responsable de l’études des enduits peints, Inrap), autrement appelé toichographologue.

• Crédits : © Rémi Bénali / Inrap / MDAA
 

Remonter les fresques : un puzzle en 800 caisses de fragments

Dans un état de conservation remarquable, les peintures se présentaient à la fois en place sur les murs et en milliers de fragments effondrés dans les niveaux de comblement. Ils remplissent 800 caisses. La recomposition du premier décor est menée, depuis avril 2021, au cœur du musée d’Arles, où les fragments de fresques s’étalent sur plus de 220 m². Des recherches sont également engagées sur le rouge vermillon afin de prévenir son noircissement irrémédiable.

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Détail d’une petite frise d’Amours chasseurs en cours de recomposition.

 © Rémi Bénali / Inrap, MDAA

Julien Boislève "C'est la première fois que nous avons une paroi complète du sol au plafond de deuxième style pompéien en Gaule, ce qui nous donne la mesure exacte de la pièce. On est à deux mètres 90 sous plafond et on retrouve un décor d'architecture : toujours un podium, une zone médiane avec des orthostates, des premiers rangs d'assises, puis des rangs d'assises supérieures. On a ajouté, simplement, un petit effet de profondeur, un premier plan avec des colonnes également traitées en jaune, qui se développent, avec un très beau chapiteau à feuilles d'acanthe et à volutes."

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Relevé des peintures romaines sur film plastique transparent.

• Crédits : © Rémi Bénali / Inrap / MDAA
 

D’exceptionnels décors peints

À ce stade de l’étude, au moins six décors ont été reconnus, témoins du luxe ostentatoire développé par le propriétaire. Seuls les plus riches commanditaires, pétris de culture romaine, disposaient des moyens nécessaires pour faire intervenir des ateliers italiens. Les décors de deuxième style restent rares en France et aucun autre site n’avait jusqu’alors livré un ensemble aussi conséquent, diversifié et d’une telle qualité.

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Restauration en cours des peintures déposées sur le site de la Verrerie.

• Crédits : © Rémi Bénali / Inrap / MDAA
 

La première pièce, étudiée cette année, présente un décor d’inspiration architecturale qui divise la salle en deux espaces distincts.
Dans l’antichambre, la partie inférieure du mur imite un podium en marbre gris qui supporte de lourdes colonnes jaunes tandis que des rangs de blocs colorés occupent la partie supérieure. Dans l’alcôve, le décor est de même inspiration mais développé avec une polychromie plus luxueuse. Le podium aux couleurs vives est rehaussé de rosaces tracées en rouge bordeaux. De riches panneaux d’imitation de placages de marbre occupent la zone médiane, surmontée de rangs de blocs tout aussi chatoyants et une délicate frise d’Amours chasseurs s’y insère. Ce type de décor correspond au seul modèle de deuxième style jusqu’alors trouvé en Gaule : une quinzaine de sites en possède des exemples moins complets (Saint-Rémy-de-Provence, Nîmes, Narbonne…).

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Installation d’une plaque recomposée à plat dans le sable.

• Crédits : © Rémi Bénali / Inrap / MDAA
 

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Les fragments sont disposés sur des plaques de polystyrène, triés et classés pour faciliter leur recomposition.

• Crédits : © Rémi Bénali / Inrap / MDAA
 

Les peintures de la pièce d’apparat seront étudiées en 2022. Elles comportent un autre type de décor encore inconnu en Gaule : une galerie de grands personnages, dont la harpiste, positionnés sur des piédestaux et se dégageant sur un fond rouge vermillon. La musicienne est accompagnée d’autres personnages appartenant sans doute au cortège bachique. Ce type de figuration de grande taille est appelé “mégalographie”. De rares exemples représentant des personnages sur fond rouge vermillon sont connus en Italie, notamment dans la villa des Mystères à Pompéi. En France, ce type de décor dans un tel état de conservation représente une réelle nouveauté.

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Consolidation de surface d’un fragment de peinture romaine.

• Crédits : © Rémi Bénali / Inrap / MDAA
 

Julien Boislève - à propos du mot "toichographologue" - "Il se trouve que notre discipline est assez récente en France. Elle existe depuis les années 70 et on s'appelait pompeusement "les spécialistes des peintures murales et stucs d'époque romaine". [...] Et un peu par hasard, j'ai contacté l'Académie française. Il se trouve qu'il y a un service dictionnaire, des commissions et personnes chargées de créer des néologismes scientifiques. Le collègue de l'Académie m'a rappelé deux jours après avoir fait des recherches dans les textes grecs. [...] "toîkhos", c'est le mur, la muraille, "graphein", l'écriture, le dessin, la peinture. On a rajouté "logos", donc celui qui cherche, qui travaille sur la peinture murale."

Pour en savoir plus

Année :
2022
Durée :
29 min