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Archéologie de la piraterie et des économies illicites
Pour découvrir l’archéologie d’aujourd’hui, ses sciences connexes, mais aussi approcher et décrypter ce que la discipline recouvre de concepts, de modèles, Carbone 14, le magazine de l'archéologie, retrace les avancées de la recherche française et internationale et parcourt terrains, chantiers et laboratoires. Une émission à écouter chaque samedi, de 19 h 30 à 20 h sur France Culture et à réécouter sur Inrap.fr.
Avec Jean Soulat, archéologue, ingénieur d'études au laboratoire LandArc.
Comment identifier la piraterie et la contrebande dans les archives archéologiques ? Départ pour "l'île aux Forbans", dans l'Océan Indien.
Aux origines de la piraterie
La piraterie existe probablement depuis les origines de la navigation et s’avère toujours d’actualité, notamment en Mer d’Arabie et en Mer de Chine méridionale. Mentionnée dès l’Iliade et l’Odyssée, elle fut un phénomène endémique, véritable calamité maritime, notamment en Méditerranée. Ainsi, on se souvient de ses pillages et ravages, au cours du 1er siècle avant notre ère, dont seule la flotte de Pompée mit un terme, à la fin de la république romaine.
L’âge d’or des forbans
L’âge d’or de la piraterie couvre les 17e et 18e siècles, une époque pour laquelle les historiens possèdent nombre de sources écrites, témoignages, voire romans d’aventure. Toutefois, les données de l'archéologie restent, pour ce thème, d’une rare indigence. L’archéologie de la piraterie et des économies illicites, s’avère surtout une recherche anglo-américaine, probablement eu égard à la proximité des Caraïbes. Elle restait inconnue en France et, c'est Jean Soulat, archéologue, qui s’est récemment lancé dans cette problématique, autour d’épaves, mais aussi de camps de pirates.
"Dans l'imaginaire collectif, l'île de la Tortue, c'est le repère pirate par excellence des Caraïbes !"
Jean Soulat : "L'archéologie de la piraterie est une branche de l'archéologie maritime, une thématique de recherche très particulière, qui s'intègre dans ce qu'on appelle aujourd'hui l'archéologie des outremers, [...] et qui s'intègre aussi parfaitement, grâce à sa culture matérielle, à cette archéologie moderne, post-médiévale, comme on dit en Angleterre ou aux États-Unis, dans cette grande période, que sont les temps modernes."
La flibuste dans l’Océan Indien !
Le pirate, c’est étymologiquement "celui qui tente la fortune." Cette fortune, les forbans la recherchent tout d’abord dans les Caraïbes. Hormis les épaves, l’île de la Tortue (au large d’Haïti), a été une véritable île de la flibuste française, qui reste cependant totalement à investir par les archéologues. Sous une forte pression des nations européennes, la piraterie faiblit dans les Caraïbes, à la toute fin du 17e siècle, et migre alors vers de nouveaux territoires et de nouvelles mers. Cette migration de la forfaiture porte désormais ses champs dans l’Océan Indien et, en 1720, le gouverneur de l’île Bourbon (île de la Réunion actuelle) dénombre quelque 1 150 pirates œuvrant dans ces mers.
L’île Sainte-Marie, établissement hors-la-loi
À quelques encablures de Madagascar, l’île Sainte-Marie est, durant cette époque, un des grands points de ralliement de la flibuste : dans la baie d’Ambodifotatra (ou Ambodifototra), subsistent encore des toponymes évocateurs, dont "l’île aux forbans". C’est dans cette baie qu’a été coulé, en 1721, le Fiery Dragon du capitaine Christopher Condent. Identifier une épave constitue généralement un défi pour l’archéologue : des canons, plus de 2 800 porcelaines chinoises, mais aussi des monnaies d’or provenant de Hollande, d’Allemagne, d’Autriche, d’Italie et de l’empire ottoman ont été remontés à la surface. Parmi la céramique, un tesson sort du lot puisqu’il appartenait au vice-roi des Indes dont le navire a été capturé par Olivier Levasseur, dit "La Buse."
En 2022, l’équipe de Jean Soulat part à la recherche des installations pirates sur l’île, qui abritait un fortin de la flibuste. Mais comment reconnaître un site d’habitat pirate, puisque l’ensemble du mobilier n’a pas été créé par eux, mais issu de pillages ? C’est probablement la mixité des objets, collectés au fur et à mesure des larcins, qui semble aujourd’hui le meilleur indicateur de la présence d’un site pirate…
Pour aller plus loin
- Présentation de Jean Soulat : sur Academia, sur le site du laboratoire LandArc, sur Linkedin, sur Wikipédia, sur le laboratoire CNRS Archéologie des Amériques (Arcam), sa page Twitter.
- Site du laboratoire LandArc.
- Ses publications, sur academia, sur le site archéophile, sur babelio.
- Présentation de son ouvrage, Pirates (éditions Alisio, novembre 2023), et du précédent Archéologie de la piraterie (éditions Mergoil, décembre 2019).
- À écouter ou à réécouter, deux émissions avec Jean Soulat, sur France Inter : Le Temps d'un bivouac, Dans le sillage des pirates (17 juillet 2023) et Les Savanturiers, Sur les traces des pirates avec l'archéologue Jean Soulat (7 janvier 2023).
Quelques références citées
- Page sur Alexandre-Olivier Exquemelin (1645-entre 1707 et 1711), chirurgien, pirate, écrivain et historien.
- Page sur le Capitaine Charles Johnson, écrivain.
- Page sur Christopher Condent (1690-1770), pirate anglais.
- Pages sur Barbe Noire (1680-1718), Samuel Bellamy (1689-1717), Charles Vane (1680-1721), Jack Rackham (1682-1720), Henry Every (1659-1699), Olivier Le Vasseur, dit "La Buse" (1695-1730), pirates.
- Page sur la VOC, Compagnie néerlandaise des Indes orientales.
- Page sur la prise de la Vierge du Cap, bataille navale d'avril 1721.
- Page sur l'îlot Madame, petite île à l'ouest de l'île Sainte-Marie et à l'est de Madagascar.
- Page sur les Betsimisarakas, peuple de Madagascar.
- Page sur Etienne de Flacourt (1607-1660), explorateur, biologiste, historien et chef de colonie à Madagascar.
- Page sur Luis de Meneses (1632-1690), homme politique et historien portugais.
- Page sur l'épave du speaker du pirate John Bowen, coulé en 1702 au large de l'île Maurice.